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7 juillet 2017 5 07 /07 /juillet /2017 05:23
Répression de l'immigration: UE-Libye: le partenariat de la honte (Médiapart, Amélie Poinssot - 6 juillet 2017)
UE-Libye: le partenariat de la honte
 PAR 

Un an et demi après l’accord UE-Turquie, l’Union européenne a renforcé, ce jeudi au sommet de Tallinn, le partenariat avec la Libye pour endiguer la venue de réfugiés africains en Europe. Une réponse qui fait fi de la situation des droits humains dans cet État failli du Maghreb.

 

Après l’accord avec un État autoritaire, la collaboration avec un État failli : l’Union européenne n’en a pas fini de sous-traiter la gestion des migrants à des pays tiers peu respectueux des droits de l’Homme pour limiter au maximum l’arrivée de réfugiés sur son sol. Un an et demi après l’accord UE-Turquie par lequel les autorités turques se sont engagées, en échange de plus de 3 milliards d’euros, à empêcher les départs de migrants vers les îles grecques de la mer Égée, les ministres européens de l’intérieur ont décidé ce jeudi de renforcer le partenariat avec la Libye afin de stopper le mouvement d’exil qui aborde actuellement les côtes italiennes.

« Continuer à augmenter la capacité des gardes-côtes libyens », « renforcer les retours volontaires aidés depuis la Libye et le Niger vers les pays d’origine », « renforcer de manière notable et significative les contrôles aux frontières sur les frontières extérieures de la Libye (en particulier celles du sud) » : telles sont les priorités fixées par les ministres de l’intérieur de l’UE réunis jeudi 6 juillet à Tallinn, la capitale estonienne.

Ces propositions, combinées avec un encouragement au retour des « migrants irréguliers » des pays européens et à l’établissement en Italie d’un « code de conduite »pour les ONG intervenant dans les opérations de sauvetage en mer, ne font que confirmer ce que la réunion parisienne des ministres italien, français et allemand avait esquissé dimanche. Elles entérinent en définitive l’orientation prise par la Commission européenne cet hiver, qui avait déjà affecté pour 2017 200 millions d’euros, en plus des millions déjà versés, à des projets de collaboration avec Tripoli comme la formation et l'équipement des gardes-côtes libyens. Objectif : endiguer les départs et refouler les embarcations de migrants avant qu’elles n’atteignent les eaux internationales. Une fois de plus, l’Union européenne se fourvoie en empêchant les personnes fuyant les conflits ou des conditions de vie impossibles de pouvoir déposer une demande d’asile en Europe.

Le fait que la Libye soit une zone de non-droit pour les migrants ne pose semble-t-il pas de problème aux dirigeants européens. État failli, où les autorités centrales n’ont le contrôle que d’une partie du pays, la Libye est pourtant un enfer pour les personnes originaires d’Afrique subsaharienne qui y échouent. Le reportage que Mediapart publiait la semaine dernière le montre bien. On y lisait avec effroi le récit d’Achille, un Togolais enlevé sur une route libyenne il y a deux mois. « Ma femme était enceinte de trois mois et demi. Ils l’ont violée devant moi, sodomisée… Ils m’ont mis un sac sur la tête, mais j’entendais tout. Après ça, elle a perdu notre bébé. Moi, j’ai été torturé avec des câbles électriques dans l’anus, j’ai été battu à la matraque, giflé… Tout ce que tu imagines qui peut faire mal… »

Les innombrables témoignages recueillis depuis des années par les ONG vont tous dans le même sens : les ressortissants des pays d’Afrique subsaharienne sont victimes en Libye d’un racisme généralisé ; ils sont maltraités par leurs logeurs, exploités par leurs employeurs, emprisonnés dans des conditions atroces... quand ils ne sont pas torturés ou tués pendant leur détention. Violences raciales, viols, enlèvements, travail forcé, détention illimitée et arbitraire, conditions dégradantes sont le lot quotidien des personnes détenues dans ce pays non signataire de la Convention de Genève sur les réfugiés de 1951, ne disposant ni de loi ni de procédure d’asile, et considéré comme « non sûr » par l’Union européenne.

Favoriser l’externalisation de la prise en charge des migrants par la Libye ne constitue pas seulement une grave entorse au droit d’asile. Elle risque de rendre encore plus dangereuse une route migratoire déjà jonchée de morts, tant il est évident qu’une frontière ne peut être fermée hermétiquement, a fortiori quand elle s’étale sur des milliers de kilomètres de mer. Les personnes qui ont besoin de quitter leur pays continueront de le faire...

 

« Les gouvernements de l'UE préfèrent privilégier le démantèlement des réseaux de passeurs et empêcher les départs de bateaux depuis la Libye, écrit Amnesty International dans un communiqué diffusé ce jeudi.Une stratégie vouée à l'échec qui se traduit par des traversées toujours plus périlleuses et par trois fois plus de décès – 0,89 % pour le deuxième semestre 2015, comparé à 2,7 % en 2017. » Car les interceptions par les gardes-côtes libyens mettent souvent en péril les réfugiés et les migrants, écrit Amnesty qui prédit un triste record de décès en mer cette année.« Leurs techniques d'intervention ne respectent pas les protocoles élémentaires de sécurité et peuvent engendrer des mouvements de panique et des chavirements catastrophiques. (…) En outre, des allégations sérieuses accusent certains gardes-côtes d'être de connivence avec les passeurs et des éléments prouvent qu'ils maltraitent les migrants. »

Ce n’est pourtant pas comme si l’on découvrait aujourd’hui les pratiques inhumaines des geôliers et des gardes-côtes libyens. En 2012 déjà, le documentaire saisissant d’Andrea Segre et Stefano Liberti, Mare Chiuso (« Mer fermée ») donnait la parole à des hommes et des femmes passés par la Libye. « Tous les gens qui ont été en Libye savent que les Libyens maltraitent les Noirs, racontait l’un d’entre eux dans le film (dont quelques extraits peuvent être visionnés ici). Ils peuvent t’arrêter sans raison. De nombreuses personnes sont mortes, de nombreuses autres ont été torturées. Donc j’ai compris que je devais fuir. » Le cauchemar de ces migrants ne s’est malheureusement pas arrêté à leur départ de Libye. Une fois en pleine mer, arrêtés par des gardes-côtes italiens, ils ont été remis aux gardes-côtes libyens. Entre 2009 et 2011, quelque 2 000 migrants ont ainsi été refoulés en pleine mer dans le cadre d’un accord bilatéral entre la Libye et l’Italie.

En dépit de ces innombrables alertes, Bruxelles maintient donc le cap d’une politique criminelle. Et si les ministres de l’intérieur réunis à Tallinn encouragent à « prendre toutes les mesures nécessaires pour garantir la relocalisation de ceux qui y sont éligibles », force est de constater que le programme européen de relocalisation des réfugiés, péniblement mis au point il y a deux ans par les 28, est un échec. Sur les 160 000 places prévues pour les réfugiés de Grèce et d’Italie dans les 26 autres États membres, seules 22 841 personnes ont été effectivement réinstallées, dont les deux tiers depuis la péninsule hellénique.

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