Ces derniers jours, les tensions sont montées d'un cran entre le Parti de Gauche et le Parti Communiste au niveau national, après la tentative de Jean-Luc Mélenchon et du Parti de Gauche d'empêcher l'élection à la tête du Parti de la Gauche Européenne de Pierre Laurent au motif qu'il a soutenu à titre personnel la perspective d'une union de la gauche à Paris.
Comme beaucoup de communistes attachés au développement du Front de Gauche et à la construction d'une alternative crédible au social-libéralisme pour mener des politiques de transformation sociale dont l'Europe et la France ont plus que jamais besoin en ces temps troublés et dangereux où la pression des pouvoirs financiers et du vote d'extrême-droite se font plus que jamais sentir, j'ai été déçu, et même très déçu par la décision des communistes de Paris, de Toulouse et d'autres grandes villes comme Nantes, Rennes ou Brest de faire alliance au premier tour avec le PS aux municipales pour avoir des élus et mener, espérons-le, une politique municipale progressiste. Nous avions des élections à deux tours: il fallait utiliser le premier tour pour marquer notre différence, créer un rapport de force, dire que nous avions une ambition autre que de gérer la misère ... de budgets publics locaux en baisse et d'une population fragilisée par l'austérité.
Ces décisions s'inscrivent toutefois dans les statuts du PCF, qui prévoient que les militants décident souverainement de la stratégie aux élections municipales dans leur commune. Elles peuvent s'expliquer par des circonstances particulières au niveau local et elles procédent aussi sans doute de la volonté légitime d'un certain côté de défendre un bilan, de battre la droite au niveau local pour mener des politiques au service des habitants.
Elles ne renforcent pas l'unité et la crédibilité du Front de Gauche comme force politique capable par sa cohérence et sa constance d'intention de constituer une alternative à gauche à un PS qui depuis un an et six mois mène au niveau national une politique libérale de centre-droit, ne cessant de faire des concessions au MEDEF et à l'orthodoxie économique en ignorant les revendications du mouvement social et les attentes de la population et du peuple de gauche, du moins ce qu'il en reste.
Ces décisions créent de l'ambiguïté et une certaine confusion dans l'esprit des militants et des électeurs et nous rappellent combien il est difficile d'exister pour un mouvement politique transformateur face au bipartisme de fait qu'organisent les institutions de la Ve République et au scrutin majoritaire à deux tours, préféré au scrutin proportionnel qui permet une juste représentation de la diversité des sensibilités politiques de l'électorat.
Seulement, même si l'on peut comprendre la frustration de Parti de Gauche et d'autres composantes du Front de Gauche, il ne faudrait pas que l'absence de mesure et d'esprit de responsabilité l'emporte en mettant en péril notre patrimoine commun, le Front de Gauche, un rassemblement divers en son principe mais uni par une analyse de la réalité politique et un programme de transformation sociale, économique, démocratique et écologique, L'humain d'abord, qui est le seul, sur l'échiquier politique français, à répondre aux défis du temps.
Les médias au service des forces conservatrices font leur chou gras de nos divisions qui renforcent aussi les partis qui co-gèrent un système de plus en plus inégalitaire et brutal pour la population.
Sur le plan de leur action parlementaire, les députés nationaux et européens, les sénateurs communistes élus sous l'étiquette et grâce aux électeurs du Front de Gauche n'ont jamais désavoué leur mandat et leur programme, votant contre les lois anti-sociales (retraites, ANI) les budgets d'austérité, le pacte budgétaire européen, faisant des propositions pour conquérir de nouveaux droits pour les salariés et la population, propositions qui ont été le plus souvent déboutés sans débat par le PS, EELV et les radicaux.
Pierre Laurent, dans ses discours publics, ne témoigne d'aucune connivence avec la politique que mène le PS au niveau national, sans pour autant renoncer à convaincre les électeurs et élus de gauche déçus par la politique du gouvernement.
Nous ne voulons pas nous enfermer dans une gauche critique ou protestataire sans débouché sur le réel. Nous voulons peser sur les décisions, trouver les convergences qui permettent de réorienter sur des bases vraiment de gauche les politiques menées.
Jean-Luc Mélenchon est un homme politique brillant et extrêmement dynamique qui a magnifiquement porté la campagne du Front de Gauche aux élections présidentielles de 2012, nous permettant de retrouver un écho et un électorat moins confidentiel sur des bases programmatiques ambitieuses et claires, résultats de la fusion très riche de plusieurs héritages militants et idéologiques.
Nous lui sommes redevables d'avoir eu le courage de quitter le PS pour donner plus de résonnance à ses idées, d'avoir avec les communistes et la Gauche Unitaire surmonté des contentieux historiques pour créer le Front de Gauche, et d'avoir mené avec des dizaines de milliers de militants, anciens et nouveaux, cette belle campagne de 2012 qui a permis, partout en France, à des collectifs citoyens du Front de Gauche et à des assemblées citoyennes de se créer, beaucoup plus rassembleuses que les partis politiques traditionnels.
Il a contribué aussi à redonner aussi un peu de radicalité, d'ambition et de couleurs écologiques au PCF grâce à l'influence du Front de Gauche.
Nous comptons toujours sur lui pour la suite. Comme nous comptons sur d'autres responsables politiques très capables du Front de Gauche: Pierre Laurent, André Chassaigne et Clémentine Autain en particulier, mais il y en a bien d'autres. Nous ne devons pas avoir la culture du leader irremplaçable et infaillible, même si c'est toujours un avantage d'avoir des personnalités politiques charismatiques.
Le PCF est un parti avec des dizaines de milliers de militants, une longue histoire, faite de luttes et d'actions dans les institutions. Il entend être respecté dans sa particularité, son autonomie, comme il se doit de respecter l'apport et la particularité des autres forces du Front de Gauche.
Dans la circonstance, il a jugé certainement que l'intérêt de la population, des gens que nous voulons défendre et représenter, les classes populaires, n'était pas d'affaiblir un peu plus la représentation électorale locale des communistes en perdant des élus qui se mettent au service de tous dans les municipalités.
Il y a bien sûr des élus et des militants au PCF qui sont au Front de Gauche sur la pointe des pieds, qui considèrent que le Front de Gauche est avant tout une stratégie électorale ponctuelle et un risque pour la permanence du parti, des élus, leurs alliances préférentielles avec le PS... Mais c'est loin d'être la majorité.
De la méfiance peut subsister néanmoins chez beaucoup vis à vis d'un risque d'effacement du PCF, un parti auquel la plupart des militants qui ont tenu contre vents et marées le cap de leur espérance et de leur fidélité sont viscéralement attachés, ce qui ne les empêche pas d'êtres critiques et exigeants. On a le souvenir de ce qu'a engendré en Italie l'auto-dissolution du Parti Communiste: la dérive complète de la gauche qui compte électoralement vers le centre libéral.
Personnellement, je crois que la force du Front de Gauche, c'est de trouver l'unité et l'apport réciproque dans la diversité, c'est son côté pluricéphale, même si c'est aussi parfois une faiblesse et un risque, même si cela demande toujours des efforts de compréhension, de compromis.
Personne ne peut se dire propriétaire de l'identité et de la visée du Front de Gauche même si cette identité et cette visée existent bien, s'exprimant souvent dans les tensions et la contradiction, comme toutes les productions historiques.
L'attente du mouvement social, les besoins de la population, les espoirs que nous avons su faire naître, l'immense et périlleux chemin qui nous reste à parcourir pour convaincre la majorité de notre peuple que le changement est non seulement souhaitable mais possible, à condition de ne pas se résigner, de bousculer les féodalités économiques et les certitudes assénées par la bourgeoisie et ses relais idéologiques, nous imposent de sortir par le haut de cette crise interne au sommet que l'on ne ressent pas partout sur le terrain, heureusement.
Mettons les egos et les rancunes en sourdine, assumons nos responsabilités au regard de l'histoire et du collectif: retrouvons le chemin du dialogue, de l'unité et du combat commun contre le libéralisme, le capitalisme financier, les lâches renoncements de la gauche gouvernementale face aux pouvoirs financiers, à la montée de la crise écologique, l'intolérance et de la xénophobie.
Evitons la complaisance, la mollesse comme le sectarisme et l'invective.
Ne transformons pas nos divergences en casus belli, nos désaccords en chantage.
Nous avons tant de chemin à faire ensemble! Nous en avons déjà tant fait!
La richesse du fonctionnement du Front de Gauche dans beaucoup d'endroits (comme à Morlaix) où il a su dépasser, grâce à la volonté des militants des partis fondateurs, le format d'un rassemblement ponctuel d'organisations à finalité électorale pour devenir une force citoyenne et politique à part entière, témoigne des promesses de notre mouvement, où l'on retrouve des écologistes, des anciens socialistes, des communistes, des militants venus de l'extrême-gauche, des altermondialistes, des militants associatifs et syndicaux, un grand nombre encore de citoyens qui n'avaient jamais eu d'engagement politique auparavant.
Ayons en tête la leçon et l'esprit de Jaurès, le grand orateur, le grand intellectuel, le grand serviteur de la paix, de l'humanisme concret et de l'émancipation sociale du monde ouvrier. Il savait être ferme dans l'affirmation des principes et la dénonciation des injustices tout en parlant à tous, sans excès de procès d'intention, en ne renonçant jamais à convaincre, à indiquer le chemin de la raison. Il sut unifier un mouvement socialiste éparpillé en plusieurs chapelles divisées par des contentieux historiques et idéologiques pour gagner en efficacité pour l'action. Il n'opposa jamais le travail dans les institutions et la lutte sociale, les conquêtes sociales et démocratiques immédiates à l'ambition révolutionnaire de dépassement du mode d'exploitation capitaliste. Il y voyait des moyens pour le grand nombre de prendre conscience de sa force, de gagner en capacité de mobilisation. Il sut toujours montrer au-delà des débats du moment l'horizon d'avenir meilleur qu'une résolution favorable laissait présager. Il sut élever la politique au-dessus du pinaillage, de l'esprit de coterie et de la guerre des chefs.
Le respect de l'humanité, la noblesse du caractère, l'humilité, l'esprit de synthèse et de compromis jointe à la grandeur de vue et à la sincérité de la visée révolutionnaire font de Jaurès un exemple dont les dirigeants politiques qui se réclament à bon droit de son héritage (la direction du PS actuel n'y a aucun droit) feraient bien de s'inspirer.
Ismaël Dupont.
commenter cet article …