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20 mars 2024 3 20 /03 /mars /2024 10:51
Le communiste Fabien Gay : « Si le Sénat vote contre le Ceta, ce sera un coup de tonnerre ! » (entretien Médiapart, 19 mars 2024)

Libre-échange : le Ceta, stop ou encore? Entretien

Le communiste Fabien Gay : « Si le Sénat vote contre le Ceta, ce sera un coup de tonnerre ! »

Le communiste Fabien Gay, à l’origine de l’inscription du Ceta à l’agenda du Sénat jeudi 21 mars, détaille la stratégie visant à faire échouer la ratification de cet accord de libre-échange avec le Canada. Pour lui, Emmanuel Macron ne pourra pas faire la sourde oreille si le texte est rejeté.

Pauline Graulle et Ludovic Lamant

Jeudi 21 mars, c’est lui qui sera le fer de lance de la bataille sénatoriale contre le Ceta, l’accord de libre-échange avec le Canada. Élu de Seine-Saint-Denis, le communiste Fabien Gay revient pour Mediapart sur la manière dont le groupe communiste a mis à l’ordre du jour parlementaire la ratification de cet accord, sept ans après l’entrée en vigueur provisoire de l’essentiel du texte.

Si – et l’hypothèse est très probable – le texte est rejeté par la gauche, les écologistes mais aussi par la droite Les Républicains (LR), jeudi dans l’hémicycle du Palais du Luxembourg, le coup sera rude pour Emmanuel Macron. D’autant plus que se profilent des européennes à haut risque pour le camp présidentiel.

Mediapart : Pourquoi mettre aujourd’hui le Ceta à l’ordre du jour de votre niche au Sénat ?

Fabien Gay : Nous, les communistes, menons ce combat depuis très longtemps, notamment grâce à Patrick Le Hyaric, qui a beaucoup œuvré lors qu’il était eurodéputé [de 2009 à 2019 – ndlr] avec d’autres parlementaires de gauche et écologistes, comme Yannick Jadot et José Bové. En 2018, nous avions déjà demandé un débat pour faire un bilan provisoire. En 2021, nous avons déposé une résolution invitant le gouvernement à poursuivre le processus de ratification : elle a été adoptée l’unanimité. Mais Franck Riester, qui était alors ministre délégué au commerce extérieur, nous avait répondu avec dédain : oui, nous disait-il, cela arriverait, mais en attendant, il avait d’autres choses à faire…

On n’a pas besoin de traités de libre-échange pour commercer.

C’est donc après toutes ces interpellations, par oral ou par écrit, que nous décidons aujourd’hui de reprendre le projet de loi pour le soumettre au vote du Sénat. Ce n’est pas commun qu’un groupe d’opposition mette à son ordre du jour un projet de loi gouvernemental. Mais nous voulons que la démocratie puisse enfin s’exprimer parce que le gouvernement a jusqu’ici refusé de le faire, laissant le traité s’appliquer de manière provisoire sans achever le processus en bonne et due forme…

Pourquoi, d’après vous, le gouvernement a-t-il sans cesse repoussé le vote au Sénat ?

En 2019, et malgré le fait que La République en marche (LREM) avait alors une majorité écrasante à l’Assemblée nationale, le vote sur le texte avait été extrêmement serré [il était passé à 26 voix près, les députés LR ayant voté contre – ndlr]. Le gouvernement savait donc que s’il l’inscrivait à l’ordre du jour du Sénat, où les LR sont largement majoritaires, il allait tout droit à l’échec.

Mais on ne peut pas avoir des traités de deuxième génération, qui touchent les intérêts nationaux [parce que le Ceta intègre un mécanisme de protection des investissements privés – ndlr], et voir un traité s’appliquer depuis sept ans sans avoir ne serait-ce qu’un débat au Parlement !

Ces sept ans d’application permettent de faire un premier bilan de l’accord. Le Ceta a profité, semble-t-il, à des filières agricoles françaises, comme le vin ou le lait… Est-ce raisonnable de revenir dessus aujourd’hui ?

D’abord, on n’a pas besoin de traités de libre-échange pour commercer ! Par ailleurs, ces traités ont été établis pendant les années 1990 dans des conditions très opaques. Plus fondamentalement, notre volonté est de faire chuter le Ceta, pas d’arrêter de commercer et de se replier sur soi-même.

Seul un vote « contre » du Sénat permettra de remettre à plat les choses.

En revanche, nous ne voulons pas de la compétition entre travailleurs. Nous voulons des modes de coopération. Or, le Ceta, le Mercosur, ou encore le traité avec la Nouvelle-Zélande, créent tous de la concurrence déloyale pour nos agriculteurs. La crise sociale et environnementale extrêmement forte nous repose par ailleurs des questions sur les moyens de produire, de consommer, de se déplacer.

Le gouvernement insiste sur les clauses miroirs, un concept qui a été à maintes reprises avancé par Julien Denormandie [ministre de l’agriculture de 2020 à 2022 – ndlr]. Mais ces clauses miroirs ne sont pas inscrites dans ce traité. Donc c’est une illusion de faire croire que nous arriverons à les faire entrer sans rapport de force politique. C’est pourquoi seul un vote « contre » du Sénat permettra de remettre à plat les choses.

Mais que dites-vous des bénéfices pour certaines filières en France ?

Les chiffres avancés par le gouvernement sont en valeur absolue, et largement gonflés par l’inflation. Le problème, ce n’est de toute façon pas tant les barrières douanières que les barrières non tarifaires qui, elles, concernent les investissements dans les entreprises, dans les services publics, et qui viennent donc à ce titre toucher nos normes sociales et environnementales. Elles mettent aussi en place les tribunaux arbitraux privés qui permettront demain à une multinationale qui verrait ses intérêts contrecarrés par de nouvelles normes sociales ou environnementales de pouvoir faire condamner des États.

Des partisans du Ceta font valoir que la crainte de voir la viande bovine canadienne inonder le marché français ne s’est finalement pas réalisée.

Il est vrai que, pour l’instant, il y en a peu qui entre car les filières de bœuf aux hormones – pour le dire vite – ne sont pas ou peu structurées. Par ailleurs, aujourd’hui, les filières canadiennes sont extrêmement exportatrices vers la Chine. Mais on sait que d’ici quelque temps, les Canadiens seront en capacité de se tourner vers le marché européen.

La droite sénatoriale pourrait voter contre le texte, jeudi. Pascal Allizard et Laurent Duplomb, les deux rapporteurs LR du texte, ont d’ailleurs déposé des amendements de suppression… Qu’en dites-vous ?

Nous espérons qu’une majorité votera contre. Quant à l’initiative d’Hervé Marseille [du groupe centriste – ndlr], qui va tenter de sauver le texte gouvernemental en déposant une motion de renvoi en commission en disant qu’il faut le temps d’étudier, nous lui répondons que si nous avions vraiment voulu débattre ou travailler sur ce texte, nous avions le temps en sept ans ! Je crois qu’il y aura, jeudi, une majorité pour enterrer cette tentative de diversion.

Que se passe-t-il si le Sénat vote contre le texte ? Les communistes de l’Assemblée s’engageront-ils à mettre une nouvelle fois le texte au vote lors de leur prochaine « niche » au Palais Bourbon ?

Je ne veux pas parler à la place des députés mais je suis convaincu que le groupe GDR [le nom du groupe communiste à l’Assemblée – ndlr] regardera cette possibilité avec attention.

Mettre le Ceta à l’agenda à quelques mois des européennes, est-ce un moyen pour les communistes de se faire entendre sur un sujet européen alors que vous n’avez plus de députés à Bruxelles depuis 2019 ?

Nous avons déposé le texte en décembre, avant même que n’éclate vraiment la crise agricole. Aujourd’hui, l’arrivée du texte au Sénat oblige chacun et chacune à clarifier ses positions avant les européennes. On espère qu’il poussera pour un grand débat national en France et que tout le monde se positionnera, y compris sur le Mercosur, sur la pertinence de signer des accords à tour de bras.

Si le Sénat vote contre le Ceta, ce sera un coup de tonnerre qui débordera en France, mais aussi dans l’Union européenne et outre-Atlantique ! D’où les manœuvres du gouvernement et des lobbys pour empêcher cela. En 2020, le Parlement chypriote avait refusé lui aussi de voter pour le Ceta. Mais le vote du Sénat français aura une tout autre dimension. Le gouvernement ne pourra pas rester sourd à ce qu’il va se passer jeudi.

Et pourtant, il peut faire comme si cela n’avait pas existé…

Oui, il peut faire comme à Chypre : ne pas notifier le vote à la Commission européenne et attendre une nouvelle Assemblée plus favorable pour refaire le vote. Après, tout cela pose une question démocratique : soit le gouvernement décide une nouvelle fois de traiter le Parlement comme un paillasson et s’essuie les pieds sur la volonté populaire, soit il prend en compte ce vote, qui sera un vote fort, et décide de renégocier un certain nombre de choses qui vont vers le moins-disant social et environnemental.

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