Anne Sylvestre écrivait les paroles et la musique qu’elle interprétait à sa façon, si personnelle. Elle quitte la scène du monde à 86 ans, laissant à sa suite une tresse de chansons mémorables, déjà fêtées et classiques de son vivant.
Anne Sylvestre s’est éteinte le 30 novembre à Paris, à l’âge de 86 ans, des suites d’un AVC. Étincelante carrière (elle fêtait ça il y a deux ans, après une ultime tournée et un triple CD, Florilège : 60 ans de chanson, déjà !), entamée en 1950 à la rude école des cabarets successifs où elle côtoyait Barbara, Brassens, Moustaki… Il y eut la Colombe, le Cheval d’or à la Contrescarpe, le Port du salut, Chez Moineau, les Trois Baudets. Riche époque où des textes à vocation poétique participaient à la reconstruction morale du pays dans des lieux clos enfumés, hantés par des publics fervents. En 1962, à Bobino, elle passe en première partie du chanteur de charme Jean-Claude Pascal puis, à l’Olympia, elle précède Bécaud en scène. Brassens, sur la pochette du deuxième 25 cm d’Anne Sylvestre, écrit : « On commence à s’apercevoir qu’avant sa venue dans la chanson, il nous manquait quelque chose et quelque chose d’important. » La voilà adoubée à juste titre. Ne l’a-t-on pas souvent qualifiée de « Brassens en jupons » ? En octobre 1963, c’est la sortie d’un 45 tours avec ses premières Fabulettes, ces bijoux de paroles à destination de l’enfance, qu’elle sèmera tout au long de son existence et qui ouvriront de jeunes cœurs, jusqu’à aujourd’hui, de mère en fils et en fille. Entre 1963 et 1967, elle est couronnée à quatre reprises par le grand prix international du disque de l’académie Charles-Cros. En 1968, elle quitte la maison Philips pour confier ses intérêts à Gérard Meys, avant de fonder, après un énorme succès au Théâtre des Capucines, sa propre maison de disques, simplement baptisée Sylvestre, distribuée par Barclay. Son premier album sous ce label personnel sera, en 1973, les Pierres de mon jardin. Un an plus tard, de Marie Chaix, sœur d’Anne Sylvestre, sort un livre, les Lauriers du lac de Constance, qui fait la lumière sur le passé de leur père, Albert Beugras, qui fut le bras droit de Philippe Doriot, fondateur du Parti populaire français (PPF), plus que compromis dans la collaboration. D’Anne, ce passé fut une blessure secrète, effleurée dans une ou deux chansons.
Une guitare qui la protégeait de sa timidité maladive
En 1969, elle avait enregistré, avec Boby Lapointe, un titre d’anthologie, Depuis l’temps que j’l’attends mon prince charmant. Entre 1975 et 1978, elle sort cinq albums et chante pour la première fois avec des musiciens, sans la guitare qui protégeait sa timidité native, laquelle participe de son charme. Son premier enregistrement public s’effectue à l’Olympia, en 1986 (lire ci-contre).
L’année suivante, partageant l’affiche avec la chanteuse québécoise Pauline Julien, Anne goûtait au théâtre avec la création de Gémeaux croisées, dans une mise en scène de Viviane Théophilidès. Ce spectacle connut une longue tournée en France, en Belgique, au Québec.
En 1989, ayant écrit paroles et musique des chansons, elle tenait le rôle-titre de cette pièce que j’avais écrite, la Ballade de Calamity Jane, mise en scène par Viviane Théophilidès. C’était joué au Bataclan, salle mythique où le petit-fils d’Anne, Baptiste Chevreau, perdit la vie à 24 ans, lors du massacre du 13 novembre 2015. Autre blessure.
La collaboration théâtrale avec Viviane Théophilidès s’est poursuivie avec – à destination du jeune public – Lala et le cirque du vent (texte et musique d’Anne), avec la chanteuse Michèle Bernard, sa « sœur de scène ». Ce fut ensuite la Fontaine-Sylvestre, où Anne et Viviane revisitaient de concert l’univers enchanteur du grand fabuliste. Entre 1990 et 1992, escortée au piano par Philippe Davenet, Anne partait en tournée avec son Détour de chant. Le musicien François Rauber, arrangeur émérite, fut fidèle à Anne jusqu’à sa mort en 2003, l’année où elle publiait l’album Partage des eaux, suivi, en 2007, d’un autre intitulé Bye mélanco. Plusieurs écoles portent son nom. Ses titres sont désormais classiques, depuis la Faute à Ève jusqu’à Gay, marions-nous et Non, tu n’as pas de nom, en passant par Une sorcière comme les autres, les Amis d’autrefois, tant d’autres. Anne était déjà infiniment populaire et noble, soit un classique de la poésie chantée.
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