Portrait de résistante communiste
100 ans d'engagements communistes
4 - Marie-Claude Vaillant-Couturier, née Vogel
03/11/1912 - 11/12/1996
Une femme pour qui ceux qui ont eu la chance de la connaître ont une admiration sans borne...
Marie-Claude comme l'appelait affectueusement les communistes vint au monde le 3 novembre 1912 à Paris.
Fille aînée de Lucien Vogel et de Cosette Brunhoff, famille protestante, dreyfusarde aux idées socialistes bien ancrées. Lucien Vogel au congrès de Tours se range aux côtés des partisans de la IIIe Internationale. Sa mère est rédactrice du "Jardin des modes".
Marie-Claude Vogel obtient son baccalauréat au collège Sévigné à Paris. Elle veut se consacrer à la peinture, idée que n'approuvent pas ses parents considérant que ce n'est pas un métier. Ils décident de l'envoyer à Berlin en 1930 afin d'apprendre la langue allemande. De retour en France, elle choisit de deveni photographe de presse. Ses premiers clichés seront publiés dans "Vu" que dirige son père, patron de presse.
Violaine Gelly raconte dans sa biographie de Charlotte Delbo qu'"en 1933, pour le magazine Vu, Marie-Claude est allée en Allemagne comme reporter photographe. Elle a assisté aux cérémonies du 1er mai, mettant déjà en scène l'une de ces spectaculaires manifestations à la gloire du Führer. Puis, grâce à l'entremise de militants communistes clandestins, elle a réussi à "voler" quelques photos des camps de concentration d'Orianienburg et de Dachau. De retour en France, elle dit son inquiétude pour les Juifs allemands. Puis elle prend sa carte au PCF". Marie-Claude Vaillant Couturier a alors 24 ans, Danielle Casanova 27 ans, et Charlotte Delbo 26 ans.
Au cours d'un dîner chez son père en 1932, elle rencontre Paul Vaillant-Couturier. Très vite, ils tombent amoureux l'un de l'autre et se marient le 29 septembre 1937 à Villejuif. Mais Paul décède prématurément, le 10 octobre 1937.
Paul Vaillant-Couturier: L'autre figure communiste du Front populaire (Patrick Appel-Muller)
Marie-Claude a déjà adhéré à l'Union des Jeunesses communistes en 1934. Elle entre au journal L'Humanité en tant que reporter-photographe, et avec Danielle Casanova, c'est une des dirigeantes de l'Union des Jeunes Filles de France (UJFF, une association créée par le PCF). Après un séjour de 6 mois en U.R.S.S, Marie-Claude se voit confier la responsabilité du service photographique du journal "L'Humanité" jusqu'à son interdiction en 1939. Dès le début de la résistance, elle rencontre Pierre Villon, un des futurs dirigeants du Conseil national de la résistance. Ensemble, ils vécurent les premières années dans la clandestinité. Résistance dans le même groupe que Georges Politzer, Jacques Salomon, Danielle Casanova, elle est arrêtée le 9 février 1942. Emprisonnée à la Santé, puis au Fort de Romainville.
Avec Charlotte Delbo et Danielle Casanova, elle participe à un journal clandestin, Le Patriote de Romainville. "Écrit au bleu de méthylène sur des papiers d'emballage de la Croix-Rouge, il circule dans les chambres et finit brûlé dans les poêles une fois lu. "Tu penses bien que notre sens de l'organisation ne perd pas ses droits, même et surtout pas ici", écrit le résistant communiste Octave Rabaté à sa femme". (Violaine Gelly, biographie de Charlotte Delbo). Très vite des cours sont instaurés: Viva Nenni donne des leçons d'italien, Marie-Claude d'histoire politique, Maï (Politzer) de philosophie, Charlotte (Delbo) de théâtre... "On échange des cours de maths contre des cours de couture, des exercices d'anglais contre des recettes de cuisine". (Violaine Gelly, opus cité, p. 105). " Un bon nombre de ces femmes étaient des scientifiques et des intellectuelles de haut niveau, avec une fois inébranlable dans leur idéal. Elles étaient une partie de l'élite féminine du parti communiste. Il nous fallut du temps pour découvrir ce milieu nouveau et incompréhensible pour nous. Nous étions tombées sur une autre planète. Nous qui ignorions tout des partis politiques, nous étions arrivées au milieu d'un des plus intenses foyers d'activité intellectuelle communiste", racontera Simone, dite Poupette. (Violaine Gelly, opus cité, p. 105-106). Charlotte organise des pièces de théâtre avec Danielle Casanova dans le rôle de Jeanne d'Arc, surveillée par un soldat allemand joué par Marie-Claude Vaillant-Couturier. Elle monte Le Jeu de l'amour et du hasard de Marivaux. 17 des co-détenues de Charlotte Delbo au fort de Romainville apprennent l'exécution de leurs maris ou compagnons. Charlotte prépare une autre représentation, On ne badine pas avec l'amour, quand le 18 janvier 1943, 222 détenues sont réunis dans la cour du fort. On leur apprend leur départ pour l'Allemagne.
Avec 229 femmes en majorité résistantes et communistes, Marie-Claude Vaillant Couturier est déportée le 23 janvier 1943 à Fresnes, Compiègne, puis vers Auschwitz. 3 mois plus tard, il ne restera que 70 femmes survivantes de ce convoi classé Nuit et Brouillard. Les 4 derniers wagons d'un convoi de 18 sont réservés aux femmes quand le convoi part de Compiègne le 24 janvier.
"Personne ne comprendra jamais pourquoi, écrit Violaine Gelly, ces prisonnières ont été déportées à Auschwitz, qui était essentiellement un camp d'extermination de Juifs... Les "politiques "étaient ordinairement dirigées sur Ravensbrück. Sauf le convoi du 24 janvier 1943, dit "convoi des 31 000" car tous les matricules à cinq chiffres que les survivantes porteront tatoués sur l'avant-bras gauche pour le restant de leur vie commencent par 31. Désorganisation allemande due à la panique de voir Stalingrad sur le point de tomber? Simple erreur humaine lors de la séparation avec le train des hommes à Halle? La réponse s'est perdue avec la destruction d'une partie des archives d'Auschwitz - à supposer qu'elle s'y trouvait..." (Violaine Gelly, opus cité, p.115).
Ces résistantes, principalement communistes, arrivent à Auschwitz le 27 janvier au petit jour. Les déportées survivantes sont transportées à Birkenau, à trois kilomètres d'Auschwitz I. Les chantent La Marseillaise à la suite de Mounette. "Partout sur le sol, des cadavres qu'elles enjambent, des rats gros comme des chats qui courent entre des alignements de baraquements en brique, une odeur épouvantable qui envahit tout et dont elles découvriront très vite que c'est celle qu'exhalent les fours crématoires où jour et nuit sont brûlés des corps" (Violaine Gely).
Danielle Casanova est nommée dentiste du Revier, elle y mourra du typhus le 9 mai (Charlotte écrira: "Elle reposait, belle parce qu'elle n'était pas maigre, le visage encadré de tous ses cheveux noirs, le col d'une chemise blanche fermé sur son cou, les mains sur le drap blanc, deux petites branches de feuillage près de ses mains. Le seul beau cadavre qu'on ait vu à Birkenau"). Marie-Claude Vaillant-Couturier est désignée interprète de l'administration du camp car elle parle allemand couramment. Charlotte Delbo, elle, malade, est protégée par ses camarades sur les lieux de travail en extérieur. Charlotte Delbo racontera l'extraordinaire solidarité de survie entre les déportées, leur amitié, leur bravoure et leur endurance inimaginables, leur beauté arrachée à la vie:
" Yvonne Picard est morte
qui avait de si jolies seins.
Yvonne Blech est morte
qui avait les yeux en amande
et des mains qui disaient si bien
Mounette est morte
qui avait un si joli teint
Une bouche toute gourmande
et un rire si argentin
Aurore est morte
qui avait des yeux couleurs de mauve.
Tant de beauté tant de jeunesse
Tant d'ardeur tant de promesses...
Toutes un courage des temps romains.
Et Yvette aussi est morte
qui n'était ni jolie ni rien
et courageuse comme aucune autre.
Et toi Viva
et moi Charlotte
dans pas longtemps nous serons mortes
nous qui n'avons plus rien de bien"
(Une connaissance inutile)
En mai 43, Charlotte Delbo va être affectée à Rajsko, grâce à Marie-Claude Vaillant-Couturier à la culture du kok-sanghiz, un pissenlit d'Asie centrale dont la racine et la sève contiennent du latex transformable en caoutchouc. Les conditions de vie et de travail sont moins mortifères, le harcèlement des kapos moins dangereux. Pendant trois mois, Charlotte et ses amies font l'aller-retour entre Birkenau et Rajsko matin et soir. Avec ses co-détenues, pour se divertir de l'enfer du camp, Charlotte évoque Electre, Dom Juan, elle tente de reconstituer avec Claudette Bloch, une détenue française, juive résistante, l'intégralité du Malade imaginaire de Molière. Elles montent la pièce au lendemain de Noël, le 26 décembre 1943, avec des costumes réalisés par le plus grand esprit d'expédient et d'invention.
"Le dimanche de la représentation, tout est en place. "C'était magnifique parce que chacune, avec humilité, joue la pièce sans songer à se mettre en valeur dans son rôle. Miracle des comédiens sans vanité. Miracle du public qui retrouve soudain l'enfance et la pureté, qui ressuscite à l'imaginaire. C'était magnifique parce que, pendant deux heures, sans que les cheminées aient cessé de fumer leur fumée de chair humaine, pendant deux heures nous y avons cru. Nous y avons cru plus qu'à notre seule croyance d'alors, la liberté, pour laquelle il nous faudrait lutter cinq cent jours encore" (Une connaissance inutile) - Cité dans Charlotte Delbo- Violaine Gelly, Paul Gradvohl, Pluriel
Marie-Claude est transférée à Ravensbrück le 2 août 1944. Son attitude courageuse pleine de sollicitude envers ses compagnes de déportation est reconnue par toutes ses camarades de souffrance.
Elle refuse de rentrer en France à la libération de Ravensbrück tant qu’il reste sur place des déportés français malades, femmes ou hommes, et elle ne revient que le 25 juin 1945, deux mois après sa libération.
Elle témoigne au procès de Nuremberg en 1946. C'est l'un des principaux témoins des camps de la mort pour l'accusation contre les criminels de guerre nazis. Germaine Tillon dira son admiration par rapport au rôle joué par Marie-Claude Vaillant Couturier.
Au lendemain de son retour en France, le 26 juin 1945, Marie-Claude Vaillant Couturier est désignée membre suppléant du comité central du PCF. Après avoir été cooptée à l'Assemblée consultative, elle est élue députée à l'assemblée constituante en novembre 1945 dans le 4e secteur de la Seine Sud. Pendant 3 législatives continues, la confiance des électrices et des électeurs ne lui fait pas défaut. Après l'intermède dee 1958, Marie-Claude est de nouveau élue députée dans la circonscription de Villejuif de 1962 à 1967. Au cours d'une séance de l'assemblée nationale le 16 décembre 1964, elle plaide pour l'adoption d'un amendement renforçant la proposition de loi sur "l'imprescriptibilité du génocide et des crimes contre l'humanité". En 1973, âgée de 60 ans, elle laisse son siège de députée au profit du secrétaire général du PCF, Georges Marchais, tout en restant membre du Comité Central jusqu'au 25e congrès, en 1985.
Elle témoigne encore au procès de Barbie en 1987.
Elle fut une des dirigeantes de la Fédération nationale des déportés et internés résistants et patriotes, membre de l’Amicale d’Auschwitz, première présidente de la Fondation pour la mémoire de la déportation, secrétaire de la Fédération démocratique internationale des femmes, vice-présidente de l’ Union des femmes françaises, élue députée PCF, vice-présidente de l’Assemblée nationale
Sources: biographie de Charlotte Delbo par Violaine Gely, écrits de Charlotte Delbo, Héroïques Femmes en résistance tome 2 d'Antoine Porcu (éditions Le Geai Bleu)
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DANY STIVE
JEUDI, 7 MAI, 2015
L'HUMANITÉ
"Une vie de résistante, Marie-Claude Vaillant-Couturier", de Gérard Streiff.
Marie-Claude Vaillant-Couturier, rescapée d’Auschwitz, témoin à Nuremberg, militante communiste.
Quand elle entre dans la salle du procès des dirigeants nazis à Nuremberg le 28 janvier 1946, Marie-Claude Vaillant-Couturier aimante tous les regards. Cette belle et grande femme blonde aux yeux bleus, plutôt que s’avancer vers la barre où le président du tribunal vient de l’appeler, se dirige droit vers les bancs des accusés. Plantant ses yeux dans ceux des dignitaires nazis, cette femme sortie de l’enfer concentrationnaire sept mois auparavant défie les responsables de la solution finale. Avec elle, est entré dans cette salle le « terrible cortège de tous les rayés et tous les tondus des camps de concentration, avec le dernier corps trébuchant des affreuses files de Nuit et Brouillard, enfin tombé sous les crosses ; avec les huit mille Françaises qui ne sont pas revenues des bagnes, avec la dernière femme morte à Ravensbrück pour avoir donné asile à l’un des nôtres » (1). À la barre, elle apostrophe les responsables nazis : « Regardez-moi car, à travers mes yeux, ce sont des centaines de milliers d’yeux qui vous regardent, par ma voix, ce sont des centaines de milliers de voix qui vous accusent. »
Par cette scène initiale, Gérard Streiff ouvre une biographie rapide et bien enlevée de cette communiste hors du commun à l’usage des jeunes lecteurs. Autant dire que, en suivant les pas de Marie-Claude Vaillant-Couturier, on arpente le monde du XXe siècle. Photographe, journaliste, militante infatigable, pacifiste et féministe, élue communiste, elle a voyagé de par le monde et traversé les classes sociales. Issue de la bourgeoisie éclairée, elle rejoint les rangs des révoltés refusant les inégalités. Difficile avec un tel personnage, dans un texte si court, de ne pas verser dans l’hagiographie. L’auteur y parvient en refusant de l’enfermer dans la légende, mais en décrivant une femme « unique, engagée, habitée par la passion politique, d’une incroyable vitalité, élégante et discrète, humble mais tenace, simple et altière à la fois. Une sorte d’aristocrate rouge qui semble sortie d’un roman de Jean Vautrin ». Marie-Claude Vaillant-Couturier n’entrera pas au Panthéon en ce mois de mai, François Hollande ayant choisi d’autres personnalités pour féminiser un peu ce temple républicain si masculin. À lire ce portrait, on comprend qu’il a fait une erreur. Raison de plus pour encourager sa lecture par les plus jeunes.
(1) Discours d’André Malraux pour l’entrée au Panthéon des cendres de Jean Moulin.
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