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21 juin 2020 7 21 /06 /juin /2020 07:33
La mort de Zeev Sternhell, historien antifasciste - Vadim Kamenka, L'Humanité, 21 juin 2020
La mort de Zeev Sternhell, historien antifasciste - Vadim Kamenka, L'Humanité, 21 juin 2020
La mort de Zeev Sternhell, historien antifasciste - Vadim Kamenka, L'Humanité, 21 juin 2020

Nous avons aujourd'hui eu la nouvelle du décès du grand intellectuel israélien Zeev Sternhell, historien spécialiste du fascisme, est mort. Celui qui en 2018 avait souligné que « En Israël pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts », avait, en 2008, été victime d'un attentat perpétré à son domicile par un colon, dont il n’a échappé que par miracle.
 

À lire absolument cet entretien qu'il a accordé à L'HUMANITÉ en 2018.

 

Dimanche, 21 Juin, 2020

La mort de Zeev Sternhell, historien antifasciste

Vadim Kamenka - L'Humanité

(Mise à jour le 21 juin 2020).

Le quotidien Haaretz annonce la mort, à 85 ans, de Zeev Sternhell. Historien israélien, spécialiste de l’histoire du fascisme, membre de l’Académie israélienne des sciences et lettres, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, Zeev Sternhell nous avait accordé cet entretien le 3 mai 2018, entretien que nous republions, revenant sur un certain pourrissement de la société israélienne, marqué par la colonisation des territoires occupés et un régime d’apartheid.

HD. Comment réagissez-vous aux événements qui ont lieu dans la bande de Gaza ?

Zeev Sternhell. La réponse israélienne face à cette « marche du retour » a été bien trop violente… Il faut la condamner. Mais cette idée du retour des réfugiés peut être comprise par les Israéliens comme si les Palestiniens n’acceptaient pas non seulement les résultats de la guerre de 1967, ce qui est normal, mais la fin de la guerre de 1948-1949, ce qui est totalement inacceptable. Cela fait cinquante ans qu’on est là. Cinquante ans que, depuis la guerre des Six-Jours, Israël occupe la Cisjordanie. Et cela peut durer encore cinquante autres années. C’est donc une situation inextricable, sans solution. Bien évidemment, la riposte de l’armée israélienne est trop brutale.

HD. Pourquoi n’y a-t-il pas eu davantage de mobilisation en Israël pour dénoncer ce qui se passe à Gaza ?

Z. S. La société israélienne s’est révoltée au sujet du problème des réfugiés. En ce qui concerne les Palestiniens et l’occupation de la Cisjordanie, une majorité d’Israéliens pensent qu’il n’y a pas de solution. Ce qui est dramatique, car elle existe. Mais il faut une volonté politique d’acier pour y parvenir. La solution des deux États n’est pas encore impossible. On peut encore y arriver, si une volonté politique existe, avec une majorité gouvernementale. Mais c’est une illusion de penser que nous le ferons tout seuls. Nous avons besoin de l’aide et de l’intervention des États-Unis et de l’Europe. Il faudra aussi compter avec la Russie, qui est désormais un acteur important dans la région, en Syrie notamment. Ce pays ressemble à un protectorat russo-iranien. La Russie aura donc son mot à dire dans le dossier israélo-palestinien. Mais plus le temps passe et plus cela devient compliqué. L’Israélien moyen, si on lui laisse le choix entre une guerre avec les Palestiniens et se lancer dans une guerre civile qui serait le produit du retrait de la Cisjordanie, fera rapidement son choix. Car, en Cisjordanie, se trouvent plus de 350 000 colons. L’opinion publique israélienne a une bonne raison de ne pas bouger. Mais la responsabilité essentielle de cet échec des négociations de paix est bien la nôtre, en tant que puissance occupante.

HD. Alors, comment relancer le processus de paix ?

Z. S. La politique gouvernementale est aujourd’hui très claire : gérer la situation sans bouger. Donc, quel que soit le résultat d’une démarche dynamique, cela ne peut pas être pire que la situation actuelle. Depuis une décennie, les dirigeants israéliens ne font rien car ils estiment que c’est ce qu’il y a de mieux. Je n’ai jamais compris pourquoi l’ancien président des États-Unis Barack Obama, avec toute son intelligence, n’avait pas réalisé que Benyamin Netanyahou se moquait de lui, en entretenant faussement le processus de paix. John Kerry a passé près d’un mandat dans un avion entre Washington et Tel-Aviv. L’idéal pour les dirigeants israéliens est de laisser les choses en place, sous couvert d’une situation temporaire. Après tout, comme c’est temporaire, ils n’ont pas besoin de faire avancer le processus.

Mais je suis persuadé que, si on présentait un projet de paix réaliste à la société israélienne, la droite serait battue. Mais les Palestiniens devraient abandonner leur idée de droit au retour, accepter les frontières de 1948-1949 et discuter sur la Cisjordanie et du problème des colonies, en échange de compensations. Faut-il envisager qu’une partie du Sinaï égyptien soit rattachée à la Palestine ? Les possibilités d’un accord existent encore. Il faut une volonté politique. La société israélienne ne bougera pas tant qu’un vrai projet ne lui sera pas présenté. Elle ne se lancera pas dans l’aventure.

HD. La gauche, les partis progressistes peuvent-ils faire évoluer cette situation complètement bloquée que vous décrivez ?

Z. S. Le problème est qu’ils ne proposent aucun véritable projet auquel les Israéliens pourraient adhérer. Ils n’arrivent pas à se faire entendre. Le Parti travailliste, qui est de centre gauche, fait l’erreur depuis quarante ans de croire que, en se rapprochant de la droite, il aura davantage de chances de remporter les élections. Ce parti ne formule aucun projet, ni sur le conflit israélo-palestinien, ni en ce qui concerne la politique économique et sociale. C’est un non-sens et une erreur stratégique. À l’exception du parti Meretz, qui demeure la seule formation réellement de gauche en Israël, tous les autres n’ont aucune politique alternative au gouvernement. Ils ne parlent pas des territoires occupés. Et, forcément, les électeurs ne leur font pas confiance, car ils s’attendent à subir la même politique, quel que soit le gouvernement. Aujourd’hui, il est vrai que, pour ces partis, il leur faudra une coalition pour gouverner, et compter avec diverses formations religieuses. Le moins pire qu’on puisse espérer en Israël, c’est une politique moins dure que celle de la droite. Pour obtenir une politique totalement différente, alors il faudra une intervention des Européens et des États-Unis. Lors des dernières années de son deuxième mandat, l’administration Obama a compris que Netanyahou ne bougerait pas. Seulement, il était déjà trop tard.

La vérité, c’est que le conflit israélo-palestinien n’intéresse plus. Ni les Français, ni les États-Unis, ni les Britanniques ne s’en soucient. Alors, qui va s’en occuper ? L’Italie, l’Allemagne ? Du point de vue de l’Élysée, de la Maison-Blanche ou du 10, Downing Street, on se préoccupe davantage de la Syrie. Et déjà ils n’osent pas y intervenir, alors, pour quelques Palestiniens… Quel pays, quel gouvernement va prendre le risque d’un échec pour 50 morts palestiniens ? Pour eux, ce n’est plus important, et les Palestiniens n’ont rien à offrir. Même les pays du Golfe ne s’intéressent pas à leur sort. Il n’y a aucune charte de solidarité entre les pays arabes à leur égard. Et, finalement, les seuls qui s’intéressent à eux, ce sont les Israéliens. Et, en attendant, la colonisation et l’occupation pourrissent notre société.

HD. Que voulez-vous dire avec cette expression de « pourrissement de la société » ?

Z. S. Les gens s’habituent à tout. Et le nationalisme israélien, le nationalisme juif, se durcit depuis de longues années. Mais il y a eu une nette accélération, lors de ces dernières années, qui est le produit de l’occupation. Il y a un sentiment de supériorité ethnique qui se développe au sein de la droite israélienne. Cela n’a jamais existé par le passé. Jamais le mouvement sioniste n’avait développé un quelconque sentiment de supériorité envers les Arabes. Aujourd’hui, on parle de droits sur la terre fondés par la parole divine. Nous sommes les maîtres du pays. Et, dans le meilleur des cas, les ­Palestiniens n’auraient que la possibilité d’y vivre ou d’y survivre, plus exactement. Toute la question des droits de l’homme, du droit à l’indépendance, à la souveraineté, à la justice, n’est ancrée dans aucune réalité. C’est ce que la droite aujourd’hui dit ouvertement. Il y a vingt ans, elle ne faisait que le penser. Désormais, elle l’applique avec ce gouvernement. En même temps, elle s’emploie à modifier les structures institutionnelles. Cette démarche est antidémocratique et antilibérale, mais la droite la met en œuvre lentement et progressivement. Comme nous n’avons pas de Constitution écrite, le Parlement peut désormais légiférer en contournant la Cour suprême. Car le Parlement représente la souveraineté nationale face à une institution non élue. Il y a une infériorité de la troisième branche du pouvoir face à l’exécutif et au législatif. Cette démarche présentée par la droite se veut démocratique. C’est totalement faux ! La démocratie n’est pas restreinte à la loi de la majorité. Les droits de l’homme, la séparation des pouvoirs garantissent son fonctionnement. La société comprend mal ce statut de droits de l’homme et beaucoup mieux la loi de la majorité. C’est un élément fondamental que produit la colonisation. En territoires occupés, c’est le régime de l’apartheid qui prévaut. Et cela suinte sur la société israélienne. Car, ce système de colonisation est au bout de notre rue.

HD. Ce pourrissement de la société israélienne explique-t-il une immigration plus importante ?

Z. S. Cela a toujours existé. La situation à Tel-Aviv n’est pas insupportable, ni à Jérusalem. On n’y voit pas ce qui se passe de l’autre côté de la rue. Cela n’intéresse personne aussi longtemps que la situation économique reste bonne, que le chômage reste faible et qu’on assure aux classes défavorisées des satisfactions d’ordre moral. Aussi longtemps que le nationalisme remplace la justice sociale, les gens sont contents. Il ne faut pas se faire d’illusions. Les choses ne changeront pas du jour au lendemain.

HD. Le nationalisme en Israël résonne-t-il avec celui qui progresse aussi en Europe et dans les sociétés dites occidentales ?

Z. S. En effet, la droite israélienne est contente de voir qu’elle dispose de relais un peu partout et de mouvements proches d’elle en Europe, comme en Autriche, en Hongrie, en Pologne… Le nationalisme dur fait partie intégrante de notre culture et de notre civilisation. On pensait que l’Union européenne favoriserait les idées de la social-démocratie. Mais force est de constater que le nationalisme n’a pas été balayé en 1945, après la guerre. Il fait partie du paysage idéologique et intellectuel européen. En période de crise, il progresse et peut prendre des formes diverses, culturelles, économiques, sociales. Il n’y a pas de hasard. Le nazisme n’a pas commencé avec Hitler, mais à la fin du XIXe siècle. Le régime de Vichy n’est pas tombé du ciel et s’inscrit dans la suite du boulangisme et de l’affaire Dreyfus. C’est toujours là et toujours présent. En Israël, les cinquante années d’occupation ont développé des problèmes qui étaient relativement marginaux. Hélas, ils sont désormais au centre de notre espace culturel et politique.

entretien réalisé par Vadim Kamenka, L'Humanité


Citations de Zeev Sternhell :
« En Israël, il n’existe qu’une seule droite, la droite extrême, nationaliste et raciste. » Tribune dans « le Monde » du 12/03/2018.

« En Israël, pousse un racisme proche du nazisme à ses débuts. » Tribune parue dans « le Monde » du 18/02/2018.

« Si on ne stoppe pas l’occupation, ce sera tout simplement la fin de l’État d’Israël. » Entretien du 21 novembre 2014 sur www.humanite.fr.


Ouvrages:

« Aux origines d’Israël : entre nationalisme et socialisme », traduit de l’hébreu par Georges Bensimhon avec le concours de l’auteur, Paris, Fayard, 1996 ; Paris, Gallimard, « Folio Histoire », 2004.

« Les Anti-Lumières : une tradition du XVIIIe siècle à la guerre froide », Fayard, « L’espace du politique », 2006 ; Gallimard, coll. « Folio Histoire » (édition revue et augmentée), 2010.

Zeev Sternhell était un historien très stimulant sur l'histoire de l'extrême-droite française et européenne et un intellectuel de gauche israélien courageux...

Il manquera au monde des idées, ainsi que l'exprime l'historien Henry Rousso:

" Zeev Sternhell n'est plus. Les mots sont parfois difficiles à trouver pour rendre compte d'une amitié aussi profonde. Zeev a été l'homme d'une thèse déclinée en deux temps : l'idée fasciste est née en France par la rencontre du nationalisme et du socialisme et la France des années trente a connu une forte imprégnation fasciste qui explique le régime de Vichy, lui-même avatar non circonstanciel du fascisme. Je ne partageais pas toutes ses thèses, notamment la dernière, car le fascisme ne peut se réduire à une idée et les idées ne suffisent pas à expliquer toute l'histoire. Nous en avons parlé durant quarante ans, à mots feutrés, sans jamais creuser ces divergences, peut-être par la crainte réciproque d'un risque de brouille. Zeev était un bretteur, un homme tout entier pris dans ses convictions aussi bien politiques que scientifiques, un homme qui pouvait se fâcher à vie pour un désaccord intellectuel. Mais c'était aussi un homme d'une grande fidélité avec un sens très fort de l'amitié. Nous nous étions rencontrés aux rencontres de Pétrarque de Montpellier, vers la fin des années 1980. Bien que mon ainé de près de vingt ans, j'avais pris sa défense sans hésiter car ses premiers livres m'avaient profondément inspiré alors que je commençais mes recherches sur l'Occupation. Il était déjà attaqué de toutes parts, y compris par de grands historiens dont la plupart furent mes maîtres (René Rémond, Serge Berstein, Michel Winock) avec une virulence qui ne trompe pas. Quelles qu'aient été le caractère abrupt de certaines de ses thèses historiographiques, il avait touché un point hautement sensible de l'imaginaire national. Or le simple fait de faire semblant d'ignorer ce qui pouvait nous séparer, et sur un sujet central comme l'histoire du régime de Vichy, a suscité chez moi une admiration et une affection sans bornes.
Par ailleurs, Zeev a été bien plus qu'un historien. C'était un "super sioniste" qui s'est fait le farouche défenseur des Palestiniens. Il était classé à la gauche de la gauche et pourtant tout entier inscrit dans l'humanisme des Lumières. C'était un patriote universaliste, engagé dans tous les guerres de son pays sous son uniforme d'officier. Zeev, le jeune rescapé de la Shoah, l'enfant caché, était un homme du XXe siècle, un combattant, un résistant, adepte de la tolérance malgré les apparences, et sans doute mal à l'aise dans ce nouveau siècle identitaire et victimaire" - hommage de l'historien Henry Rousso

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