HUMANITE DIMANCHE
LA CHRONIQUE DE FRANCIS WURTZ (*)
LE TERRIBLE REVERS GREC POSE UNE QUESTION VITALE: « COMMENT FAIRE BOUGER LES RAPPORTS DE FORCES EN EUROPE ET RÉORIENTER SA CONSTRUCTION EN VUE DE SA REFONDATION ? »
Le 13 juillet noir de la Grèce a vu l’ambition transformatrice du gouvernement Tsipras se fracasser sur le « bloc des durs » – qui concentre aujourd’hui l’essentiel du pouvoir européen – et leur bras armé: la Banque centrale européenne. Ce terrible revers – même si les objectifs finaux d’un Schäuble n’ont pas été atteints – suscite naturellement une immense déception dans la gauche européenne. L’expérience de Syriza était la première brèche ouverte par un gouvernement dans la forteresse austéritaire européenne. Le courage des dirigeants grecs dans l’interminable bras de fer avec « les institutions » a forcé notre admiration. Leur loyauté exemplaire à l’égard des citoyens a nourri notre confiance. L’impressionnante dignité du peuple grec a dopé nos espoirs. La désillusion est aujourd’hui à la mesure de cette espérance.
Dans ce contexte douloureux, les opinions les plus diverses sinon contradictoires s’expriment sur les causes de cette issue malheureuse. Certaines d’entre elles se concentrent sur les dirigeants grecs, et notamment le premier d’entre eux, accusé d’avoir capitulé quitte à sacrifier son peuple.
Comment expliquer alors qu’il continue de bénéficier d’une large confiance de la part de ses concitoyens ? Ne serait-ce pas précisément en raison du respect qu’il leur témoigne en toute circonstance ? D’abord, en leur donnant à voir l’ensemble des éléments de la situation, sans chercher à en émousser les contradictions, ni à taire ses propres erreurs. Ensuite, en les appelant à trancher les différends de fond qui ont surgi au sein de la majorité qu’ils ont élue. Enfin, en restant fidèle au projet qu’il incarne depuis la victoire de Syriza: il s’est, en effet, engagé – comme aucun de ses prédécesseurs ne l’avait jamais fait – aussi loin que le lui permettent les rapports de forces dans l’Europe d’aujourd’hui.
Justement: comment les faire bouger, ces rapports de forces en Europe ? Voilà un enjeu crucial pour qui nourrit l’ambition de réorienter (pour de bon) la construction européenne en vue de sa refondation. À cet égard, certains courants de la gauche européenne devraient coûte que coûte dépasser la vision – illusoire et coûteuse – du « il n’y a qu’à », sous peine de négliger des exigences incontournables pour élargir pas à pas les marges d’action favorables qui nous font cruellement défaut aujourd’hui.
Ainsi, la question qui mérite avant tout d’être débattue, à gauche, me semble être: sommes nous au niveau requis en matière de bataille politique – permanente et de haut niveau – dans chaque société sur les enjeux européens (sans simplification outrancière) ? Et surtout: notre stratégie de rassemblement, de recherche d’alliés, de construction de convergences – y compris sur le plan européen – est-elle suffisamment audacieuse ? Pour faire bouger le molosse, il faut faire le poids: en nombre, en diversité de sensibilités et en intelligence politique des citoyens. Et c’est possible! La crise de légitimité de l’actuelle « Union » est de plus en plus profonde. L’attitude de ses actuels « patrons » visà-vis de la Grèce a scandalisé de larges secteurs de nos sociétés, bien au-delà des forces de progrès traditionnellement engagées dans le combat pour changer l’Europe! Les gens en recherche d’Europe solidaire sont légion. Voilà pourquoi l’avenir de la Grèce, et de l’Europe, n’est pas écrit. C’est le moment, à gauche, de reprendre l’initiative.
(*) Député honoraire du Parlement européen.