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2 septembre 2015 3 02 /09 /septembre /2015 13:38
Joseph Stiglitz, « La démocratie, arme contre la crise »

Entretien réalisé par Clotilde Mathieu et Bruno Odent

Mercredi, 2 Septembre, 2015

L'Humanité

De passage à Paris pour la sortie de son dernier ouvrage, Joseph Stiglitz, prix Nobel d’économie, relève que les inégalités sont au cœur de l’instabilité économique mondiale et développe ses propositions alternatives.

Les inégalités que vous évoquez dans votre livre furent déjà le principal ingrédient du Krach de 2007-2008. Est-ce que cela veut dire qu’aucun enseignement n’en a été vraiment tiré depuis et que de nouvelles crises du même type vont surgir ?

Joseph Stiglitz. Je ne pense pas que nous avons résolu le problème de 2007/2008. Il y aura, il y a déjà une autre crise. Une des raisons sous-jacente du krach fut la croissance des inégalités et la baisse de la demande. Parce que les personnes qui sont en haut de l’échelle dépensent finalement moins que ceux qui sont en bas. Cela a débouché sur une faible dynamique économique. La réserve fédérale (la banque centrale des Etats-Unis) a décidé, à l’époque, de contrebalancer cette faiblesse en créant une bulle financière. Celle-ci a permis à 80% des citoyens des Etats-Unis de dépenser 110% de leurs revenus. Mais ce n’était pas durable. Et finalement la bulle a explosé. Les dégâts restent considérables. Les inégalités se sont accrues. Les personnes qui ont été les plus affectées sont celles qui figurent au milieu et au bas de l’échelle sociale. Ainsi entre 2009 et 2012, 91% de la croissance a été capturée par les 1% les plus riches. Le reste des gens, les 99%, n’ont pas vu la couleur de la reprise.

Est-ce qu’il n’y a pas de nouvelles bulles, Wall Street a battu à nouveau des records ces derniers mois…

Joseph Stiglitz : Il y a une forte probabilité de présence d’une nouvelle bulle. Le gouvernement a refusé de soutenir l’économie avec des politiques fiscales favorisant la demande. Il a privilégié la politique monétaire (l’abaissement des taux d’intérêt et l’injection de liquidités bons marchés) tout en échouant sur la réglementation du secteur financier. L’objectif déclaré était de stimuler l’activité et l’investissement. Mais dans les faits les prêts aux PME/PMI sont restés en-dessous du niveau de 2007. L’argent ainsi déversé n’a pas conforté l’économie, si ce n’est à la marge. Car la plupart des crédits bons marchés ont été aspirés par les marchés financiers avec donc la probable création d’une nouvelle bulle. .

Vous vous êtes fortement engagé contre l’austérité en Europe et le creusement des inégalités, vous avez soutenu publiquement Alexis Tsipras et le « non » au référendum grec. Quelles seront les conséquences du diktat du 13 juillet imposé aux dirigeants grecs ?

Joseph Stiglitz. Une récession plus dure et plus longue. Même le FMI dit que l’économie grecque va de nouveau se contracter. Elle se situe déjà 25% sous son niveau d’avant la crise. Le paquet de mesures exigées risque d’être particulièrement funeste à l’économie grecque. La chose étrange c’est que très normalement quand quelqu’un prête de l’argent, il met des conditions. Celles-ci permettent de s’assurer que celui qui emprunte puisse rembourser. Mais dans le schéma retenu par les européens et la troïka on impose des conditions qui rendent le remboursement quasi-impossible. Aujourd’hui l’Allemagne veut que le FMI soit présent dans ce programme mais le FMI ne veut pas en faire partie s’il n’y a pas de restructuration de la dette. Le FMI et l’Allemagne font partie de la Troïka mais avancent des logiques opposées. Si vous êtes un électeur grec vous ne pouvez pas savoir quoi faire. On peut prier, espérer que l’Allemagne va finir par comprendre, va voir la lumière, et qu’il y aura des révisions. On peut espérer que le FMI convainque l’Allemagne de changer les termes du contrat. Les Grecs ont signé l’accord sur cette base.

Ce qui s’est passé en Grèce n’illustre-t-il pas une crise qui est, comme vous le dite, avant tout démocratique ?

Joseph Stiglitz. Je crois que l’euro, tel qu’il fonctionne aujourd’hui, a créé un déficit de démocratie. Pas seulement en Grèce mais à travers toute l’Europe les peuples ont voté pour des gouvernements qui étaient contre l’austérité. Mais le conseil des ministres de l’économie et des finances (ECOFIN) leur a imposé l’austérité. Les gouvernements qui ont été élus pour lutter contre l’austérité ont dû céder. Les électeurs se disent partout : mais que se passe-t-il avec notre démocratie. Nous pensions que nos élections avaient un sens. Les gouvernements ont trahi.

Un autre fonctionnement de la zone euro est-il possible ?

Joseph Stiglitz. Il faudrait rendre l’euro fonctionnel pour qu’il engendre moins de divisions. Mais cela nécessiterait des réformes très importantes : une union bancaire, une coopération fiscale, et surtout un soutien aux pays qui ont des problèmes. Les blocages contre ce type de réformes sont énormes. L’Allemagne refuse une « Union de transferts ». Seulement pour que l’euro fonctionne, tout le monde en est d’accord, il faut une Europe plus forte. Ce qui signifie que celle-ci doit comprendre un degré minimum de solidarité. Lorsque la Californie a eu un problème aux Etats-Unis, tous les autres états ont aidé la banque de Californie, nous avons un certain niveau de solidarité. Cette solidarité n’existe pas en Europe.

La France est un membre important de la zone euro. Est-ce que Paris n’aurait pas pu mieux faire valoir cette solidarité ? Paris a-t-il été à la hauteur face à Berlin?

Joseph Stiglitz. L’interprétation la plus évidente est que la France a eu peur. Peur, que si elle titille trop l’Allemagne et qu’à l’avenir, au cas où des investisseurs se mettent à quitter la France, à retirer leur argent du système financier et qu’elle ait besoin de ses voisins d’outre-Rhin, l’Allemagne refuse de l’aider. L’Italie, L’Espagne, La France, tous intimidés de la même façon, ont rendu les armes. Bien que tous les économistes disent que l’Allemagne a eu tort de réagir de la sorte il ne s’est trouvé aucune personnalité pour contester ces choix. Pas même la France qui possédait pourtant, sur le papier, la dimension la plus appropriée pour « convaincre » Berlin. Tout le monde a cédé à la peur.

François Hollande affirme qu’il ne fait pas d’austérité…

Joseph Stiglitz. Tout est une question de définition. Mais les chiffres sont là. On a aujourd’hui un demi million d’employés en moins qu’avant 2008. C’est cela l’austérité. En fait une bonne politique économique suppose qu’en cas de récession, vous augmentiez le budget de l’état pour stimuler l’activité. Mais si vous coupez dans le budget et bien vous déprimez l’économie. Et cela s’appelle l’austérité.

Le gouvernement Hollande a décidé d’offrir 40 milliards d’euros de baisses d’impôts aux entreprises pour stimuler l’économie. Qu’en pensez-vous ?

Joseph Stiglitz. François Hollande fondait son espoir sur un regain d’investissements. Or il n’existe aucune preuve qu’un allégement des impôts sur les entreprises conduise mécaniquement à plus d’investissements. Il y a d’autres mesures que de faire un cadeau aux entreprises, ce qui revient à jeter de l’argent par les fenêtres et accroître l’inégalité. Si vous dites que vous investissez et que vous créez des emplois en France, à ce moment vous pouvez avoir une réduction d’impôts. Mais si vous n’investissez pas en France il faut que vous soyez imposé plus fortement. C’est une autre logique qu’il faut suivre, celle d’une incitation à la création d’emplois. Je l’ai dit, en son temps, au gouvernement français mais je n’ai pas été entendu….

Vous faites la démonstration que des décisions politiques sont à l’origine des dysfonctionnements du système et vous dites que les solutions sont également politiques. Mais aux Etats-Unis Wall street bénéficie d’une législation qui lui permet de financer de façon illimitée les campagnes électorales. Est ce que les dés ne sont pas fondamentalement pipés parce que Wall street est ainsi, de fait, quasiment juge et parti ?

Joseph Stiglitz. C’est ce qui, à vrai dire, entame mon optimisme. Mais c’est aussi ce qui me renforce dans la conviction que l’on ne peut agir strictement sur le terrain des réformes économiques. Il faut promouvoir d’un même mouvement des changements dans la sphère politique. Une réforme de la loi électorale sur le financement des campagnes par exemple. D’autres choses cependant me remplissent déjà d’espoir. Il y a eu des mouvements de citoyens qui ont réussi à surmonter ces terribles handicaps. Il y a eu des hausses du salaire minimum dans certaines grandes villes comme New – York, Los Angeles ou Seatle en dépit de l’influence des banques qui y étaient totalement opposées. Et à New-York, où se trouve le cœur financier du pays, on a même pu même élire un maire, Bill De Blazio qui a mené campagne contre les inégalités. .

Précisément en termes d’espoirs concrets, comment analysez vous le phénomène Bernie Sanders, le candidat à la primaire démocrate qui se réclame du socialisme ?

Joseph Stiglitz. L’aspect positif du débat aux Etats-Unis c’est que dans les deux partis il y a une reconnaissance du problème des inégalités. Et au sein du parti démocrate tous les candidats sont en faveur de réformes pour réduire les inégalités et mettre une muselière aux banques. Il y a ici et là des différences sur ce qu’il faudrait privilégier, s’il faut mettre davantage l’accent sur l’éducation ou sur autre chose mais il n’y a aucun désaccord entre les candidats sur cette philosophie contre les règles actuelles du capitalisme. Par exemple Hillary Clinton veut responsabiliser les entreprises sur leurs résultats à long terme. Il y a sur ce point unanimité en faveur des solutions progressistes. C’est sans doute aussi un reflet de la désillusion par rapport à la politique menée par Barack Obama et la montée de la conscience des dégâts occasionnés par les inégalités.

Quant à Bernie Sanders, c’est celui qui milite sur ces questions depuis le plus longtemps. J’ai travaillé à plusieurs reprises avec lui notamment sur les questions de la couverture santé. Ce qui est intéressant c’est qu’aujourd’hui il n’est plus isolé. Il est écouté dans le pays.

Il ne faut pas se cacher cependant que si la grande fracture a produit cette intéressante évolution au sein du parti démocrate elle génère aussi une réaction totalement opposée, ultra-conservatrice dans le parti républicain.

Aux Etats-Unis pour renverser la situation et créer un nouveau new deal vous proposez une réforme fiscale d’ampleur en taxant les entreprises en fonction de leur effort d’investissements et de leur politique sociale. Pouvez-vous nous préciser les contours de la réforme que vous proposez ?

Joseph Stiglitz. Le principal problème pour la fiscalité sur les entreprises c’est la mondialisation. Car celle-ci a décuplé les possibilités d’évasion fiscale. Apple soutient ainsi que ses bénéfices sont réalisés dans une entreprise de 300 personnes en Irlande. Je ne sais pas si vous connaissez cette expression : « le double jeu irlandais et le sandwich hollandais.» C’est une manière imagée de caractériser certains des instruments très complexes destinés à échapper à l’impôt.

Mais en fait Apple ou Google n’existent qu’en raison des investissements de l’Etat. Dans ces recherches dans l’électronique, par exemple, qui ont mené à la création de l’internet ; ou encore dans les écoles qui ont permis de former ces ingénieurs très qualifiés, capables de mettre au point des produits extrêmement brillants. Et cette même intelligence qui leur permet l’élaboration de productions les plus sophistiquées que tout le monde veut acheter, il la mette au service de l’évasion fiscale. Les entreprises discourent parfois volontiers sur leur responsabilité sociale. Moi je dis que la plus importante des responsabilités sociales c’est de payer l’impôt. Et quand elles ne le font pas elles sont socialement irresponsables.

La question c’est est ce que l’on peut réformer le système. Je fais partie d’une commission internationale indépendante de réforme de la fiscalité des multinationales. Les principes fondamentaux sont très clairs. Il faut que l’on puisse imposer ces sociétés sur une base globale avec une imposition des bénéfices dont une fraction revient dans chaque pays à proportion des revenus qui y sont réalisés.

Nous savons comment créer ce type de modèle. Il ne permettra pas un fonctionnement parfait mais constituerait déjà une amélioration considérable. Il faut prévoir un impôt mondial minimum que ces sociétés ne puissent éviter de payer à un état ou à un autre.

Très récemment je me suis rendu à Addis-Abeba pour une conférence de l’ONU sur le financement du développement. Tout le monde est d’accord sur le fait que le développement a besoin de financement. Tout le monde dit que les promesses du G7 (0,7% du PIB des pays riches consacré au développement, NDLR) sont vides de sens. Mais les pays en développement ont ouvert leur marché aux multinationales comme l’occident l’a demandé. Et maintenant ces pays disent que ces compagnies qui sont venues s’installer chez eux doivent y payer des impôts. Et là nous avons eu un débat très chaud à Addis Abéba. Les Etats-Unis se sont opposés bec et ongles aux réformes réclamées par l’Inde et les pays en développement et l’Europe malheureusement les a suivis. Une grande déception pour moi.

Est-ce que le ralentissement chinois ne peut pas être l’ébauche d’une nouvelle phase d’instabilité ?

Joseph Stiglitz. Je crois qu’il constituera une nouvelle phase de l’affaiblissement de l’économie mondiale. La période après 2008 a vu la Chine devenir le moteur de la croissance économique. Ce pays a fourni une part énorme de l’accroissement du PIB mondial. Il a provoqué par contrecoup une croissance en Afrique, en Amérique latine. Aux Etats-Unis et en Europe, nous avons ainsi bénéficié de la croissance chinoise de manière directe mais aussi indirecte. Ce ralentissement aura donc des répercussions du même type. Ainsi par exemple un grand pays comme le Brésil est entré en récession. Pour plusieurs raisons. Mais l’une d’entre elle c’est que les exportations vers la Chine sont plus faibles.

Nous savions tous que la Chine allait ralentir et que le passage d’une économie tournée vers les exportations à une économie davantage centrée sur la demande intérieure serait difficile. Mais ce ralentissement a été plus rapide que celui auquel on s’attendait De plus les gens n’avaient pas tout a fait compris ce que signifiait le changement de la structure de l’économie chinoise et qu’il y aurait bien une plus forte demande intérieure mais d’abord dans les services, comme l’éducation, la santé. Or une grande partie de ces activités là ne génère pas de demande vers les autres pays.

Est-ce que cela ne pourrait pas devenir un problème majeur pour l’Allemagne ?

Joseph Stiglitz. Oui dans la mesure où l’Allemagne exporte beaucoup vers la Chine. Ce sont des voitures, des biens d’équipement, des machines outils et le ralentissement chinois – la production industrielle a chuté aujourd’hui de façon très importante – va réduire les débouchés des groupes exportateurs de la première économie de la zone euro.

Il va y avoir la COP 21 à Paris en décembre. Peut-on concilier les enjeux du réchauffement avec ceux de l’économie ?

Jospeh Stiglitz. Cela pourrait aider l’économie mondiale. J’affirme que le problème essentiel se situe dans le manque de demande. Or si l’on prend un engagement sur la réduction des gaz à effet de serre il y aura nécessité de réformer l’économie pour éviter le réchauffement et cela peut constituer un stimulant pour la demande. Des investissements seront nécessaires non seulement pour la production d’énergies renouvelables mais aussi pour la réfection, l’isolement des bâtiments etc. Une COP 21 réussie serait bonne pour l’environnement et pour l’économie. A ce stade je ne suis pas très optimiste. Mais j’espère qu’un élan pourra être donné à Paris. S’il est suffisant, les entreprises vont comprendre le signal et donc la nécessité d’investir sur ce terrain. Et cela en dépit de l’opposition du congrès à majorité républicaine aux Etats-Unis.

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