Disparition Célèbre en Afrique du Sud dans les années 1970-1980 et égérie de la lutte contre l’apartheid, l’artiste américain, décédé mardi, à 81 ans, l'ignorait. Histoire d’un Sugar Man, Oscar du meilleur documentaire en 2013.
Star sans le savoir, icône de l’antiapartheid ignorant tout de sa popularité, le chanteur américain Sixto Rodriguez s’est éteint, mardi, à l’âge de 81 ans. Sans un improbable destin, il serait mort dans l’anonymat. Car sa carrière n’a failli durer que deux ans. Deux albums, en 1970 et 1971, formidables recueils de chansons engagées et poétiques, rythmées par sa guitare psychédélique. Mais deux échecs cuisants. Mi-décembre 1971, peu après avoir enregistré le titre Cause, dans lequel il pleure le sort d’un ouvrier qui « perd son travail deux semaines avant Noël », il est viré de sa maison de disques. Fin de carrière.
Mais pendant que Rodriguez reprend un travail dans une usine de Detroit, quelques centaines de ses disques invendus partent dans un conteneur vers l’Australie et l’Afrique du Sud. Mystérieusement, ces exemplaires passent de main en main, se copient et deviennent cultes. La légende de Sugar Man veut même qu’il ait vendu en Afrique du Sud plus de disques qu’Elvis. Là-bas, les jeunes Blancs opposés au régime de l’apartheid s’arrachent les protest songs de Rodriguez. En tête, le titre The Establishment Blues, brûlot contre l’Amérique de Nixon, son uniformisme et son information contrôlée, qui donne à ces Sud-Africains la rage et la légitimité de protester contre leur propre société. Dans ses textes, Rodriguez y raconte la pauvreté de Detroit, les injustices sociales, la brutalité policière, la solitude de l’ouvrier, le racisme. D’où l’écho puissant qui résonne à 13000 kilomètres de lui. Les chansons sociales de Rodriguez, qu’elles parlent de politique ou de drogue, comme l’emblématique Sugar Man, sont censurées. Renforçant le culte autour d’un artiste dont ils ne savaient rien, qu’ils imaginaient mort.
Dans les années 1980, Rodriguez prend conscience de son succès en Australie – au moins aussi grand puisque son premier album, Cold Fact, est quintuple disque de platine. Mais l’Afrique du Sud, coupée du monde, l’ignore. Deux fans se mettent alors en tête de le retrouver. Ils tombent sur un simple citoyen américain, modeste et touchant. Le fils d’un Mexicain immigré et d’une Amérindienne qui n’avait pas le pedigree ni les codes pour réussir. L’histoire de cette quête est immortalisée au cinéma en 2012 dans le documentaire oscarisé Sugar Man, qui le révèle définitivement au monde entier. À plus de 70 ans, Rodriguez se met alors à remplir les salles aux États-Unis, en France, au Japon. Avant que sa voix ne s’éteigne progressivement, donnant lieu à des concerts poussifs musicalement mais émouvants. Une tournée trop tardive mais lui offrant le succès que son génie de musicien et de parolier méritait.
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