Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 mars 2020 2 24 /03 /mars /2020 06:14

 

Dans le concert des pays devant affronter l’épidémie, la France s’est distinguée par le faible nombre de tests pratiqués. Le résultat d’un manque de « réactifs », expliquent les uns. D’une impréparation coupable, accusent d’autres.

« T estez, testez, testez. Nul ne peut combattre un incendie les yeux bandés. » En faisant le point, le 16 mars, sur la pandémie de Covid-19, le directeur général de l’Organisation mondiale de la santé, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a convoqué répétition et métaphore pour tenter de se faire entendre. Un message que de nombreux pays (Corée du Sud, Allemagne…) n’ont pas attendu pour pratiquer un dépistage massif. D’autres, à commencer par la France, semblent avoir beaucoup de mal à en faire une priorité. Après des semaines de déni, le ministre de la Santé a fini par reconnaître, samedi, que la « doctrine » française en la matière devait « évoluer ». « L’OMS nous demande de tester, on doit désormais suivre cette voie », a déclaré Olivier Véran, promettant de « multiplier les tests », mais seulement « quand nous aurons levé le confinement ».

Suffisant ? Pas sûr. De nombreux scientifiques, comme le Pr Didier Raoult, infectiologue à Marseille et membre du comité scientifique chargé de conseiller l’État, plaident au contraire pour un dépistage aussi massif et précoce que possible. « Pour sauver des vies, nous devons réduire la transmission. Cela signifie qu’il faut trouver et isoler le plus grand nombre de cas possibles, et mettre en quarantaine leurs contacts les plus proches », indiquait déjà le patron de l’OMS, le 12 mars. « Même si vous ne pouvez pas arrêter la transmission, vous pouvez la ralentir et protéger les établissements de santé, les maisons de retraite et autres espaces vitaux – mais seulement si vous testez tous les cas suspects. » « L’identification plus systématique des sujets porteurs pourrait contribuer significativement à l’écrasement ou l’étirement du pic épidémique », écrivaient aussi, le 13 mars, dans le Quotidien du médecin, Laurent Lagrost (Inserm) et Didier Payen (ex-chef de la réanimation à l’hôpital Lariboisière). Las, malgré des objectifs affichés similaires, la France a choisi de ne pas procéder ainsi, et se retrouve face à une propagation invisible et plus large que les chiffres égrenés chaque jour. Il y aurait « entre 30 000 et 90 000 » personnes infectées en France, a d’ailleurs estimé samedi Olivier Véran. Soit bien plus que les 14 459 cas positifs relevés officiellement.

La France atteint péniblement les 5000 tests par jour, depuis peu

Pourtant, jusqu’à il y a quelques jours, l’idée de tester plus largement la population était écartée sans autre forme de procès. « En circulation active, le test n’a pas beaucoup d’intérêt, aucun pays ne l’a fait », assurait ainsi le directeur général de la santé, Jérôme Salomon, le 17 mars, au lendemain de l’injonction de l’OMS. « La France n’est pas visée » par cette déclaration, voulait croire le haut fonctionnaire, infectiologue de profession. Ah bon ? Mais qui cette supplique visait-elle alors, sinon les pays limitant encore drastiquement leur politique de dépistage ? Lors de la première semaine de mars, tandis qu’elle n’avait encore constaté aucun décès lié au Covid-19, l’Allemagne a testé 35 000 personnes, 100 000 la suivante, et peut désormais dépister 160 000 personnes chaque semaine, selon le président de l’Institut de santé publique Robert-Koch, Lothar Wieler. La France atteint péniblement les 5 000 tests par jour, depuis peu.

Et début mars, c’était pire. « Pour toute la Seine-Saint-Denis, nous avions une limite de 14 tests, 28 à partir du 9 mars, se souvient Christophe Prudhomme, porte-parole de l’Association des médecins urgentistes (Amuf). C’était totalement dérisoire ! Résultat : on ne testait que les cas ultra-prioritaires. Une erreur ! Cela laissait dans la nature de nombreux cas douteux. » Pour le médecin de l’hôpital Avicenne, à Bobigny, « le gouvernement a manqué à la fois de réactivité – en ne mettant pas la pression sur les labos pour produire massivement des tests – et de clarté – avec son discours invitant à “maintenir l’activité” tout prix ».

Cette stratégie de dépistage limité était-elle le résultat d’un manque de stocks ? C’est ce qu’affirme l’immunologiste Jean-François Delfraissy, qui préside le comité scientifique mis en place le 11 mars. « Nous sommes incapables (…) de tester à la même échelle que la Corée du Sud », a-t-il affirmé dans l e Monde ce week-end, du fait d’un « énorme problème (d’approvisionnement – NDLR) en réactifs », qui viennent « de Chine et des États-Unis ». Une explication qui ne satisfait pas la cofondatrice de l’Observatoire de la transparence dans les politiques du médicament, Pauline Londeix (lire entretien en p. 4). Dans un courrier envoyé jeudi à Édouard Philippe, elle rappelle avoir tiré la sonnette d’alarme, à l’automne, « sur les problèmes généraux du marché du diagnostic en France », auprès d’Olivier Véran, alors rapporteur du projet de loi sur la Sécurité sociale, et Agnès Buzyn. En vain : « Nous constatons que rien n’a été fait depuis », se désole-t-elle.

Seuls quelques laboratoires seraient opérationnels

La France, pourtant, compte sur son territoire de nombreux laboratoires, publics ou privés, en mesure de réaliser des tests (120 selon la DGS). Mais seuls quelques dizaines seraient opérationnels. Et un industriel français est spécialisé dans cette activité : BioMérieux et ses 2,4 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2018. Ont-ils été sollicités assez tôt par le gouvernement ? Le scénario actuel permet d’en douter. Convaincus que toutes les mesures n’ont pas été prises à temps, trois médecins, représentants d’un collectif de soignants, ont déjà porté plainte jeudi, devant la Cour de justice de la République, contre le premier ministre et l’ex-ministre de la Santé Agnès Buzyn. D’autres ont saisi en référé le Conseil d’État vendredi, réclamant un confinement plus strict. Le même jour, une tribune de cinquante soignants interrogeait : « Le gouvernement fait-il vraiment la guerre au coronavirus ? » Le signe d’une colère qui se propage presque aussi vite que le virus.

Alexandre Fache

 

Partager cet article
Repost0

commentaires

Présentation

  • : Le chiffon rouge - PCF Morlaix/Montroulez
  • : Favoriser l'expression des idées de transformation sociale du parti communiste. Entretenir la mémoire des débats et des luttes de la gauche sociale. Communiquer avec les habitants de la région de Morlaix.
  • Contact

Visites

Compteur Global

En réalité depuis Janvier 2011