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24 octobre 2019 4 24 /10 /octobre /2019 05:27

 

Le cessez-le-feu en vigueur depuis cinq jours a expiré mardi soir. Hier également, le président turc a rencontré son homologue russe. La tension est toujours vive, des centaines de milliers de personnes ont été déplacées et la situation humanitaire s’aggrave.

 

1 pourquoi Recep Tayyip Erdogan s’est-il rendu à Sotchi pour rencontrer Vladimir Poutine ?

Le président turc tente de maintenir un savant équilibre entre les intérêts des deux principales puissances engagées sur le terrain syrien, les États-Unis et la Russie qui, de différentes manières, ont donné l’une et l’autre un feu vert pour son opération militaire. Mais, si les troupes américaines se retirent du nord-est de la Syrie où elles étaient stationnées, ce n’est pas le cas des Russes, dont les soldats sont bien présents. D’ailleurs, si Moscou a dit comprendre certaines des revendications d’Ankara, le Kremlin a en réalité freiné l’avancée turque, en encourageant un dialogue entre Damas et les Kurdes. Dès lors, Erdogan devait en rabattre. Il a fait venir le vice-président américain en Turquie pour annoncer un cessez-le-feu assez flou (les Turcs parlant de « pause » et les zones elles-mêmes prêtaient à confusion), mais s’est déplacé en personne en Russie. Toujours bravache, il déclarait avant de rencontrer Poutine qu’il s’agirait de désarmer des « terroristes », c’est-à-dire des Forces démocratiques syriennes (FDS), et laissait entendre que son armée (mais aussi ses supplétifs islamistes regroupés sous le nom d’Armée nationale syrienne) se déploierait sur un secteur frontalier long de 120 kilomètres et profond de 30 kilomètres en territoire syrien, entre les villes de Tall Abyad à l’ouest et Ras al-Aïn, à l’est. Le prétexte étant la création d’une « zone de sécurité », en réalité une façon de masquer le nettoyage ethnique programmé. Sinon, pourquoi ne pas avoir installé une telle zone de sécurité en territoire turc ?

Il en fallait plus pour impressionner Vladimir Poutine qui, dès le début de la rencontre, a asséné devant son homologue turc : « La situation dans la région est très grave », appelant à « trouver une solution même aux questions les plus difficiles ». La veille, un conseiller du Kremlin, Iouri Ouchakov, interrogé sur les pourparlers Poutine-Erdogan, précisait : « Pour nous, l’essentiel, c’est d’arriver à une stabilité durable de la Syrie et de la région, et nous considérons que ça ne sera possible qu’en rétablissant l’intégrité de la Syrie. » En un mot, pas un pouce de territoire syrien ne doit échapper au pouvoir central. Un avertissement qui s’adresse autant à la Turquie qu’aux représentants des Kurdes. Mais ces derniers sont en position de faiblesse politique et ne peuvent désormais faire valoir grand-chose. La Turquie, elle, partie prenante du processus d’Astana (devenu celui de Sotchi) avec la Russie et l’Iran, a de nombreuses cartes à faire valoir. Ce que sait très bien le président syrien Bachar Al Assad dont le pouvoir, s’il a été renforcé depuis l’intervention russe de l’automne 2015, reste encore fragile. D’autant que des discussions sont toujours en cours à Genève sous l’égide de l’ONU.

 

2 - Que signifie le déplacement, le même jour, du président syrien Bachar Al Assad dans la province d’Idleb ?

« La bataille d’Idleb est la base pour mettre fin au désordre et au terrorisme dans toutes les régions syriennes », est venu dire, sur le front même, le président syrien. C’est dans cette région du Nord-Ouest, en effet, que se sont regroupés tous les islamistes et les djihadistes battus dans les autres provinces et dominés par Hayat Tahrir al-Cham (HTS), qui s’apparente, par ses pratiques, à Daech. La province d’Idleb et des parties des provinces voisines de Hama, Lattaquié et Alep ont été pilonnées sans interruption par l’armée syrienne, soutenue par l’aviation russe, entre fin avril et fin août. L’armée arabe syrienne de Damas avait également amorcé une progression terrestre jusqu’à la trêve décrétée au mois d’août.

Le déplacement du président syrien ne doit rien au hasard. Il intervient quelques jours après le déploiement de son armée dans des secteurs du nord-est du pays, appelée à la rescousse par les forces kurdes après le lancement de l’offensive turque dans cette région. Il convient pour le raïs de montrer qu’il reste le leader du pays, mais surtout d’affirmer sa présence alors qu’un certain nombre de questions relevant de l’avenir du pays sont discutées sans lui par des puissances extérieures. Soucieux de ne pas s’isoler, il a lancé : « Nous sommes prêts à soutenir toute (…) résistance à l’agression turque », ajoutant que soutenir les Forces démocratiques syriennes dominées par les Kurdes « constitue un devoir constitutionnel et national indiscutable ».

 

3 - Que reste-t-il de la question kurde ?

Lorsque, à la mi-2012, le Parti de l’union démocratique (PYD) kurde installe une nouvelle administration dans le nord-est de la Syrie, qu’il appelle Rojava, une expérience nouvelle et détonante se met en place sur trois cantons : le gouvernorat de Hassaké, à l’extrême nord-est, région frontalière de l’Irak et de la Turquie ; le district de Kobané, sur la frontière turque, et celui d’Afrin, au nord-ouest du pays, lui aussi frontalier de la Turquie. Caractéristique de ce système : il est basé sur l’égalité des peuples, des communautés, des ethnies, des confessions et des genres. C’est cela que Recep Tayyip Erdogan veut détruire, car il a peur que cela fasse tache d’huile en Turquie. Contrairement à ce qui est affirmé, les Kurdes ne revendiquent pas l’indépendance mais une autonomie démocratique.

L’offensive turque a contraint les forces kurdes à faire appel à Damas, qui ne voit pas d’un bon œil politique cette expérience, sans doute trop démocratique. Mais, pour l’heure, les structures administratives mises en place ne sont pas remises en cause. Cela sera-t-il le cas dans l’avenir, lorsque le pouvoir central aura les moyens de prendre les rênes de ces cantons ? Il est trop tôt pour le dire. Mais la question kurde ne pourra pas disparaître des plans discutés pour la Syrie de demain. Ne serait-ce que par le lourd tribut versé par les Kurdes dans la lutte contre Daech. Pour le PYD, la tâche n’est pas mince lorsqu’on sait que, dès la formation d’un conseil de l’opposition dans le courant de l’année 2011, la question kurde n’était pas prise en compte. D’où l’insistance du PYD à pouvoir participer aux discussions en cours au niveau international.

 

4 - Que devient l’opposition syrienne ? Où en est le processus placé sous l’égide de l’ONU ?

Ces derniers mois, l’opposition syrienne a été bien aphone. En réalité, elle ne représente pratiquement plus que les intérêts de certains groupes soutenus par des puissances extérieures. À l’image de l’Armée syrienne libre, qui s’est fondue dans l’Armée nationale syrienne (ANS) créée, financée et armée par la Turquie, et dominée par les islamistes.

Des discussions devraient reprendre bientôt à Genève sous l’égide de l’ONU, notamment pour élaborer une nouvelle Constitution pavant la voie vers une transition en Syrie. Un comité de 150 personnes a été créé en ce sens, mais les discussions sont encore longues. Et il y a un absent de marque : le peuple syrien, qui avait manifesté pour des réformes profondes au printemps 2011 et dont plus personne ne demande l’avis mais au nom de qui tout le monde parle.

Pierre Barbancey

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