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21 avril 2019 7 21 /04 /avril /2019 06:12
Union européenne. Juncker, le charlatan de l’Europe sociale
Vendredi, 19 Avril, 2019

À l’heure des adieux, le président de la Commission se gargarise de « progrès en matière sociale » qu’il est tout de même assez seul à déceler…

Il vaut toujours mieux écrire sa légende soi-même. Roublard comme il est, Jean-Claude Juncker le sait pertinemment. À quelques semaines des élections européennes et, dans la foulée, de la mise en place d’une nouvelle Commission, le président de l’institution bruxelloise s’est, entre embrassades, accolades et bises à l’heure des adieux, employé à le faire, mercredi, dans l’hémicycle du Parlement européen, délivrant son propre éloge en guise de bilan. « Dans l’histoire parlementaire de l’Europe, jamais autant de progrès ne furent faits en matière sociale, qui fut pendant de trop longues années le parent pauvre de la construction européenne », ose ainsi le chrétien-démocrate luxembourgeois devant les députés. Début avril, au micro de la RTBF, la radio de service public belge, Juncker ajustait déjà un maquillage le repeignant en héraut du peuple en souffrance face à des élites indifférentes : « Tout le monde dit que l’Europe doit être sociale, mais le courage politique d’aller au-delà n’est pas là », regrettait-il en appuyant bien sur son amertume.

En 2014, en arrivant au Berlaymont, le siège de la Commission à Bruxelles, après les mandats de José Manuel Barroso, Jean-Claude Juncker a décelé le champ sur lequel il entendait se couvrir d’honneurs. Rattaché au grand groupe de droite (PPE) où les ordolibéraux allemands de la CDU et de la CSU sont hégémoniques, longtemps responsable des politiques de concurrence fiscale parmi les plus agressives en tant qu’ex-ministre des Finances puis premier ministre du Grand-Duché du Luxembourg, il a choisi, au prix d’un faux paradoxe, de s’inscrire dans les pas du socialiste français Jacques Delors, grand artisan de l’Acte unique dans les années 1980. Sur fond de crises des dettes souveraines et de l’euro, endiguées au prix d’une austérité générale et d’une casse sociale dans de nombreux pays de l’Union européenne, Juncker a eu cette trouvaille : au triple A, économique et financier, des agences de notation, il allait opposer, croix de bois, croix de fer, un « triple A social » pour l’Europe.

Aucune harmonisation sociale par le haut pour les Européens

Mais, derrière ce concept de marketing politique aussi alambiqué que fumeux, cinq ans plus tard, les résultats sont très minces pour le champion autoproclamé de « l’Europe sociale ». La grande œuvre de Jean-Claude Juncker demeurera le « socle européen des droits sociaux ». Proclamé en grande pompe, malgré la défection notable d’Angela Merkel, lors d’un « sommet social » de l’Union européenne à Göteborg (Suède) en novembre 2017, ce texte n’a pas la portée que son titre, un brin fallacieux, lui donne. Ce que pressent d’ailleurs le président de la Commission sur le moment. « C’est une longue liste d’intentions, de convictions et de principes, admet-il à l’époque. Mais je ne voudrais pas que ce sur quoi nous nous sommes mis d’accord soit considéré par les beaux esprits, qui sont nombreux, comme un poème. Ce n’est pas un poème, c’est un programme : programme de principe d’abord, programme d’action ensuite. »

Dans les faits, sur les 20 « principes et droits » qui composent ce nouveau « pilier social » de l’Union européenne, aucun n’a de caractère contraignant, donc ne permet d’avancer vers une réelle harmonisation sociale par le haut pour tous les citoyens européens. Tout un poème, donc, au bout du compte, comme feignait de le redouter le président de la Commission ! En dehors de cet affichage, Juncker ne peut guère se prévaloir de grandes réussites, bien au contraire. Alors que, dans le secteur des transports routiers, la dérégulation continue de mettre en danger des milliers de travailleurs sur les routes, il n’a globalement rien contré du dumping social à travers le travail détaché. Sur l’égalité entre les hommes et les femmes, son congé parental a été largement vidé de sa substance sous la pression de la France d’Emmanuel Macron, au motif qu’il pourrait être trop coûteux… Aujourd’hui, dans la dernière ligne droite de son mandat, la Commission qu’il préside envisage, pour contourner les obstacles, d’essayer de faire passer certaines compétences sociales, comme la lutte contre les discriminations ou les politiques en matière de protection sociale – ce qui inquiète, d’ailleurs, les Scandinaves qui, attachés à leur niveau élevé de protection sociale, redoutent un nivellement par le bas –, de l’unanimité à la majorité qualifiée des États membres.

Loin de son storytelling flûté, un épisode, en particulier, permet de mesurer la profondeur de l’esbroufe sociale du président de la Commission : c’est évidemment le sort réservé au gouvernement Syriza en Grèce, au premier semestre 2015. Dès qu’Alexis Tsipras prend le pouvoir, avec ses ambitions de rupture avec l’austérité et de mise en avant d’une Europe refondée sur la base des aspirations sociales et populaires, Juncker éructe dans le Figaro : « Dire que tout va changer parce qu’il y a un nouveau gouvernement à Athènes, c’est prendre ses désirs pour des réalités. Il ne peut pas y avoir de choix démocratique contre les traités européens. »

Le président de la Commission – partie prenante de la troïka – tiendra la ligne de l’étranglement du gouvernement récalcitrant. Quelques années plus tard, Juncker finira par admettre qu’en imposant dans le mémorandum austéritaire infligé aux Grecs des restrictions drastiques en matière de négociation collective, il foulait aux pieds la Charte européenne des droits fondamentaux et il ne l’ignorait même pas, se réfugiant derrière des arguties juridiques sur le fait que les programmes d’austérité ne découlent pas directement du droit européen et n’ont donc pas l’obligation de respecter ses principes fondamentaux… Une manière, au fond, de renvoyer le social à sa juste place en Europe, selon lui : celle d’un mirage qui s’estompe toujours à l’horizon…

Thomas Lemahieu
Union européenne. Juncker, le charlatan de l'Europe sociale (Thomas Lemahieu, L'Humanité, 19 avril 2019)
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