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27 août 2017 7 27 /08 /août /2017 05:47

La série « Macron, première saison » s’achève. Voici le président rattrapé par le réel : une politique ancrée à droite ; des mesures impopulaires ; l’absence de relais politiques. Le chef de l’État va mettre les mains dans le moteur. C’est le moment où l’on se les salit et où l’on se fait pincer les doigts.

Emmanuel Macron a choisi de devancer Jean-Michel Blanquer. On sait le grand projet du ministre de l'éducation : accueillir en chansons et en musique les élèves du primaire et du secondaire dans tous les établissements, lors de la rentrée scolaire du lundi 4 septembre. Ce sera gai, positif, motivant et convivial en diable, a fait valoir le ministère, enjoignant aux enseignants, parents d'élèves et chefs d'établissement de rejouer la fête de la musique. À la veille de ce week-end de rentrée politique, où La France insoumise mobilise des milliers de partisans à Marseille, où les Verts rêvent résurrection à Dunkerque et où la droite se rencontre, le pouvoir se mobilise également pour parler, et parler beaucoup, afin de chanter les louanges de sa politique.

Mais l’« Hymne à la joie », qui accompagna les premiers pas d'Emmanuel Macron, place du Louvre le 7 mai, est bel et bien terminé. Après Beethoven, c'est un peu Gaston Ouvrard version « Je ne suis pas bien portant » que l'on croit entendre, tant le mirage Macron se dissipe. Fini, les postures gaulliennes, la « voix retrouvée » de la France dans le monde, les poignées de main viriles avec Donald Trump. Revoici la politique au quotidien, ses contraintes et chausse-trappes, ses réformes, ses équations budgétaires. Et revoici les réalités sociales d'un pays fracturé, marqué par un chômage de masse que confirment les chiffres de juillet : augmentation de 35 000 du nombre de chômeurs de catégorie A ; 6 millions de demandeurs d'emploi, catégories A, B et C, selon les chiffres de Pôle emploi publiés jeudi.

La griserie élyséenne achevée, le président de la République se trouve confronté à une triple difficulté : une politique économique clairement ancrée à droite ; des mesures impopulaires ; une absence spectaculaire de relais politiques efficaces capables d'expliquer, de faire la pédagogie de l'action du pouvoir.

D'où la volte-face présidentielle. Le 15 mai à Berlin, Emmanuel Macron déclarait pour ne pas répondre à une question de journaliste qu'il était bien résolu à ne jamais parler de politique intérieure depuis l'étranger. Il vient de faire exactement l'inverse mercredi et jeudi, à l'occasion d'un déplacement en Europe centrale, faisant montre par ses arguments d'une fébrilité certaine.

« La France n'est pas un pays réformable, les Françaises et les Français détestent les réformes (...), c'est un peuple qui déteste cela. Il faut lui expliquer où on va, et il faut lui proposer de se transformer en profondeur... », a-t-il dit jeudi à Bucarest. « La France est redevenue une société de statuts », a répété le président. Un pays arcbouté sur le statu quo et les rentes de statut… C'est une vieille antienne, qui fut par exemple utilisée longuement par Alain Juppé en 1995 quand il dut battre en retraite face aux mobilisations sociales… L'argument est un classique de la droite, qui a toujours expliqué sa difficulté ou ses échecs à mener des « réformes » – les fameuses « réformes structurelles » voulues par les néolibéraux – par on ne sait trop quel irréductible caractère gaulois !

Emmanuel Macron prend acte à son tour. Mais il s'est bien gardé de commenter, de corriger, de donner un signe sur ce qui constitue désormais son principal problème politique : l'ancrage à droite de sa politique et de ses choix économiques. Quasi-suppression de l'ISF, allègement de la fiscalité sur les revenus financiers, diminution de l'APL, rabotage des budgets (ceux de l'université, de la santé, de la défense), limitation ou fin des contrats aidés – et en particulier des contrats d'avenir à destination des jeunes –, hausse de la CSG partiellement compensée par la baisse des cotisations sociales… À ses choix budgétaires, qui soignent les fortunés et frappent les plus faibles mais aussi les classes moyennes (lire ici l'article de Martine Orange), s'ajoutent les ordonnances réformant le code du travail pour mieux « flexibiliser » donc précariser plus encore le salariat, et s'annonce un bouleversement de l'assurance chômage.

Le « et droite et gauche », le « en même temps et en même temps », mantra du candidat Macron, a donc disparu avec les premiers choix de politique économique du pouvoir (lire ici l'article de Romaric Godin). À tel point qu'au-delà des avertissements du revenant François Hollande, des interrogations naissent au sein même de la majorité présidentielle. François Bayrou, dans Le Point, s'inquiète de « l'atmosphère suscitée par la hausse de la CSG et, en même temps, certains avantages fiscaux pour les plus favorisés », en estimant que ces orientations ont « fâché une partie des retraités et des fonctionnaires ». Et de tancer directement le pouvoir en place : « L'opinion ne voit pas clairement la direction, le but que l'on se fixe. »

Sorti de sa retraite, Alain Juppé, dont l'ancien bras droit Édouard Philippe est aujourd'hui à Matignon, estime qu'il n'est plus temps d'attendre de voir et que le macronisme n'est qu'une « mousse » communicationnelle. La droite pourrait pourtant se réjouir, non seulement de voir certains des siens (Bruno Le Maire, Gérald Darmanin et le premier ministre) porter la politique économique du nouveau pouvoir, mais aussi de prendre acte qu'aucun signe n'a à ce jour été donné, aucune mesure prise, à destination de cet électorat de centre-gauche ou socialiste qui a élu Emmanuel Macron.

Panne de communication, faiblesse politique

Car c'est aujourd'hui le problème d'Emmanuel Macron : il a conquis le pouvoir par le centre et il l'exerce par la droite, dans une version presque giscardienne qui efface toutes les promesses de renouveau, d'innovation politique et de solidarité qu'avait cru entendre une large partie de son électorat. Le bricolage budgétaire conduit par le ministre Darmanin, plutôt qu'un vrai collectif budgétaire qui aurait permis d'afficher des perspectives, achève de lever les éventuels espoirs pour leur substituer une austérité pas même assumée. Tout comme le verrouillage organisé du parti LREM, via l'adoption de statuts, a renoué avec la vieille politique.

Face à ses premières difficultés, le chef de l'État brandit un autre vieil argument : après la France « non réformable », celui du déficit d'explication. « Il faut expliquer où on va », a martelé Emmanuel Macron depuis la Roumanie. À l'Élysée, l'entourage présidentiel s'inquiétait déjà de la façon dont la loi sur la modernisation de la vie politique n'avait pas su être expliquée, vantée et vendue à l'opinion. Quant à la première session parlementaire, elle a mis en scène un groupe parlementaire LREM certes surpuissant numériquement mais faible politiquement, laissant les députés de La France insoumise donner le tempo et occuper les tribunes.

De Gaulle pouvait camper dans les azurs élyséens parce qu'il s'appuyait sur un parti de grognards (l'UNR), sur un solide premier ministre (Pompidou) et sur des parlementaires de choc (Alexandre Sanguinetti, par exemple). Emmanuel Macron, à l'issue de sa marche césarienne vers le pouvoir, découvre ce qu'est la solitude. Le ministre Darmanin s'enferre dans le grotesque pour défendre la baisse des APL, jusqu'à demander aux propriétaires de baisser les loyers. Avant lui, c'est la députée Claire O'Petit, passée en quinze ans du PS à l'UDF puis au MoDem, qui s'était distinguée par cette brillante saillie : « Si à 20 ans, 24 ans, vous commencez à pleurer parce qu’on vous enlève cinq euros, qu’est-ce que vous allez faire de votre vie ? » Une sorte de remake du Jacques Séguéla de : « Si à 50 ans t’as pas une Rolex, t'as raté ta vie »

On ne le répétera jamais assez : pour la rentrée, il faut se pré-pa-rer ! pic.twitter.com/MrQJuQqYsd

— Brut FR (@brutofficiel) 24 août 2017

Et voilà qu'Édouard Philippe, envoyé en mission d'urgence pédagogique sur BFM jeudi matin, se prend à son tour les pieds dans le tapis, bafouillant, ne sachant que répondre à certaines questions de Jean-Jacques Bourdin. Le premier ministre revendiquait volontiers en juin un rôle d'exécutant scrupuleux de la politique du président de la République. Il n'est pourtant ni directeur de cabinet, ni « collaborateur », comme aurait dit Sarkozy, mais chef de gouvernement, donc chargé d'expliciter les enjeux du projet politique du pouvoir, le calendrier et les raisons des réformes. Édouard Philippe n'y est jusqu'alors jamais parvenu, exposant ainsi un peu plus Emmanuel Macron.

D'où le grand retour de la parole présidentielle… et des indiscrétions élyséennes ! D'Autriche et de Roumanie ont été distillées les confidences. Le président a reçu quelques journalistes pour parler en « off », un exercice qu'il s'était juré de ne pas pratiquer après les incessants bavardages de François Hollande. L’Élysée revoit sa stratégie de communication, annonce-t-on. Le président pourrait même parler dès la semaine prochaine. Et plus si affinités. Oui, apprend-on, Emmanuel Macron réfléchit à une intervention publique régulière, une ou deux fois par mois, peut-être par voie radiophonique.

L'exercice n'a pas comme seul précédent les conversations au coin du feu du général de Gaulle et de Michel Droit (« Droit, journaliste, homme de lettres, de cinq dirons-nous », a écrit Serge Gainsbourg). Laurent Fabius, quand il était « le plus jeune premier ministre de la France », a également tenté l'exercice en 1984 et 1985, sous la forme d'un entretien hebdomadaire avec Jean Lanzi sur TF1… Cela s'appelait « Parlons France » et la propagande fut si vite oubliée ou ridiculisée qu'elle n'empêcha pas la défaite électorale du pouvoir socialiste en 1986.

Dans le cas d'Emmanuel Macron, l'argument de la panne communicationnelle et d'un premier ministre ne pouvant se défaire d'un costume gris-énarque-techno cache un problème politique plus grave : celui de la faiblesse politique de ce pouvoir et de la fragilité de ses bases. Où sont les poids lourds, quelles sont les grandes voix identifiées, qui sont celles ou ceux à même de relayer autrement que par la novlangue technocratique le projet présidentiel ? Qui sont celles ou ceux à même de transformer une dynamique électorale victorieuse en une force politique organisée ?

Les mobilisations de septembre

Jamais un gouvernement n'aura été aussi absent du débat public, avec des ministres – à l'exception de celui de l'éducation – muets ou cantonnés dans d'étroites explications sectorielles. Les statuts de l'ensemble des salariés sont en passe d'être bouleversés et la ministre du travail Muriel Pénicaud n'a jamais délivré un long entretien ou accepté une confrontation ou un débat sur le contenu des ordonnances réformant le code du travail. A-t-on entendu la ministre de la défense, malgré la coupe du budget de la défense et le limogeage du chef d'état-major des armées, première crise politique du quinquennat ? Sait-on à quoi s'occupe la ministre de la culture ou le secrétaire d'État au numérique ? Le ministre de l'agriculture a-t-il seulement un projet (pour rappel, la liste du gouvernement peut être consultée ici) ?

Dans le même registre, la première session parlementaire a montré l'absence de relais politiques efficaces au sein des groupes parlementaires (LREM et MoDem) de la majorité présidentielle. Les absences ou fausses manœuvres du président de groupe LREM Richard Ferrand, par ailleurs visé par une enquête préliminaire et empêtré dans des affaires immobilières, ont été critiquées jusque dans son propre camp.

Le discours d'Emmanuel Macron, jeudi à Bucarest. Défense et explication de son projet commencent à 19'38" :

Discours d'Emmanuel Macron à la communauté française en Roumanie © Présidence de la République

La prochaine session parlementaire ne débutant que le 3 octobre (voir calendrier ici), les députés du président auront peut-être le temps de se mettre en ordre de marche d'ici là. Mais c'est moins un Parlement à sa main qui inquiète en cette rentrée l’Élysée que les mouvements sociaux qui pourraient surgir dès ce mois de septembre. La manifestation du 12 septembre, initialement appelée par la seule CGT contre les ordonnances et la réforme du code du travail, pourrait prendre une tout autre dimension au vu de l'addition de mesures impopulaires. La rentrée universitaire commence dès le début septembre et l'inconnue étudiante est toujours une menace pour le pouvoir.

L'autre échéance est celle du 23 septembre, avec le « rassemblement populaire contre le coup d'État social » appelé par Jean-Luc Mélenchon et La France insoumise. « On souhaite qu'il y ait des dizaines de milliers de personnes dans la rue, à Paris, qui viennent de toute la France », a déclaré vendredi Manuel Bompard, un des responsables de FI, à l'ouverture des journées de Marseille. Les Insoumis veulent faire de ce jour « un test national ». D'ici là, le président de la République aura parlé sous diverses formes au pays, assure l’Élysée. Emmanuel Macron pourra alors lui aussi tester ce que pèse désormais la parole présidentielle.

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