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12 juillet 2017 3 12 /07 /juillet /2017 05:59
Didier Gelot Économiste / Fondation Copernic  

Avouons-le, s’il y a un reproche que l’on ne peut pas adresser au Président Macron et à son Premier Ministre c’est bien celui de manquer de cohérence. Le Gouvernement s’apprête en effet à transformer radicalement le droit du travail en un droit négocié dans chaque entreprise (voire établissement) poursuivant en cela l’œuvre engagée par ses prédécesseurs dans le seul but de réduire les protections des salariés en matière d’emploi et de travail (voir Argument Copernic N° 3). De son coté la Ministre du travail Muriel Pénicaud vient d’annoncer qu’elle s’apprête à mettre en œuvre la promesse du candidat Macron d’une instance unique de représentation du personnel reprenant l’ensemble des attributions des comités d’entreprise (CE), des délégués du personnel (DP), des comité hygiène sécurité et conditions de travail (CHSCT) et des délégués syndicaux (DS) dans toutes les entreprises et dans les groupes sans limitation de plafond d’effectif. Selon la Ministre du travail, « les salariés ne peuvent pas être représentés de quatre manières différentes, cela n’a aucun sens ».

Ainsi, pour Muriel Pénicaud, le droit du travail, qui s’appuie depuis des décennies sur une spécialisation des représentants des salariés en fonctions des thématiques de négociation n’aurait été qu’un vaste égarement législatif. L’objectif global est donc clair : casser le droit du travail, renvoyer la négociation au niveau de l’entreprise et affaiblir les instances représentatives du personnel afin de garantir l’impossibilité des salariés et de leurs représentants à disposer des moyens suffisants pour s’opposer aux reculs annoncés.

Moins médiatisée que le plafonnement des indemnités prud’homales pour licenciement abusif ou que l’inversion de la hiérarchie des normes, parce que plus technique, cette nouvelle proposition n’en constitue pas moins un des éléments essentiels de l’arsenal juridique envisagé pour casser le droit du travail.

Cette nouvelle proposition, si elle devait être mise en œuvre, répondrait très précisément aux demandes exprimées à de nombreuses reprises tant par le Medef que par la CPME (Ex CGPME). Rappelons que les syndicats s’étaient déjà opposés à une telle réforme en 2015, qui pourtant avait entraîné, dans le cadre de loi Rebsamen sur le dialogue social, l’institution  d’une Délégation Unique du Personnel (DUP) qui, outre les fonctions du CE et celle des DP, intègre celles du  CHSCT pour les  entreprises jusqu’à 300 salariés (contre 200 dans l’ancienne DUP qui réunissait DP et CE). Elle ouvrait aussi la possibilité, dans les entreprises de plus grande taille, sous condition  d’accord majoritaire, de  fusionner les instances représentatives du personnel élues (DP, CE, CHSCT) selon des configurations variables (1+1+1 ou 2+1).

Lors de sa campagne pour les primaires de la droite et du centre, François Fillon avait inscrit à son  programme « un relèvement des seuils de mise en place de certaines instances (de 10 à 50 salariés pour les DP et de 50 à 100 pour les CE) et une limitation à 50% du temps de travail consacré à l’exercice d’un mandat pour un représentant du personnel », mesures qui font aussi l’objet des propositions non encore totalement stabilisées. Mais il n’avait pas osé aller aussi loin que le projet actuel. En effet le fait de fusionner les quatre instances existantes (DP, CE, CHSCT, DS) en une instance unique équivaudrait, de fait, à limiter les droits des salariés à être convenablement représentés et à rendre encore plus difficile toute opposition dans l’entreprise. L’intégration des délégués syndicaux (qui ne sont pas des représentants élus mais les représentants des syndicats dans l’entreprise) atténuerait fortement la portée de leur rôle et renforcerait le flou des prérogatives de chacune des quatre instances. On estime aujourd’hui, avant même la réforme projetée, qu’une entreprise de 100 à 149 salariés qui passerait à la DUP « Rebsamen » perdrait environ six titulaires, trois suppléants et 49 heures de délégation par mois. Qu’en sera t-il demain lorsque les plus grands groupes multinationaux pourront adopter la délégation unique du personnel ! Gageons que l’objectif pour le patronat est bien de réduire le nombre de représentants des salariés jugé « pléthorique » (cf. tableau ci-dessous)

Nombres de représentants des salariés (titulaires)

Pour le Gouvernement les représentants des salariés sont trop nombreux pour exercer leur mandat

Champ : établissements de 11 salariés et plus du secteur marchand non agricole
Source : Dares, enquête REPONSE 2010-2011, volet « représentant de la direction »
*Il s’agit de mandats, le nombre de salariés ayant au moins un mandat d’élu (titulaire ou suppléant) ou de DS est estimé à 600 000 dans la même enquête, soit 6 % des salariés du champ, ce qui est loin d’être pléthorique.
Cf. Dares Analyses Novembre 2014 N°84

Dans un contexte de centralisation de la gouvernance des grandes entreprises et des groupes (et donc de centralisation des Instances Représentatives du Personnel), loin de faciliter l’implantation de ces instances et des organisations syndicales dans les nombreuses entreprises qui en sont dépourvues (y compris lorsqu’elles dépassent les seuils en vigueur), cette nouvelle mesure contribuerait à éloigner davantage représentants élus du personnel et délégués syndicaux des salariés et de leur base militante en transformant le syndicalisme revendicatif en un syndicalisme gestionnaire capable de porter une oreille attentive aux « difficultés du patronat ». C’est ce qu’exprime avec ses mots une avocate spécialiste de la défense des employeurs. L’intérêt de cette réforme  dit-elle « C’est que cela peut permettre aux élus d’avoir une vision globale de l’entreprise, et ainsi de mieux cerner les enjeux des projets proposés par l’employeur ».  Comme l’indique de son côté un intervenant auprès des élus des CE : « Considérer qu’un élu du personnel a obligatoirement vocation à s’investir tout à la fois dans l’analyse financière et les enjeux de santé au travail est aussi peu réaliste que d’exiger d’un étudiant qu’il détienne un diplôme de masseur-kinésithérapeute pour pouvoir intégrer une école de commerce ». Une telle fusion des instances, qui vise clairement à privilégier le dialogue gestionnaire entre employeur et représentation unique des salariés ne pourra se faire qu’au dépend des missions spécifiques actuelles de chacune des instances. C’est le cas pour les CHSCT mis en place en 1982 dans les entreprises à partir de 50 salariés pour défendre leurs intérêts en matière de santé, de prévention des risques professionnels et d’amélioration des conditions de travail. Il en serait de même pour les délégués du CE qui, au-delà de leur rôle social et culturel traditionnel, disposent de prérogatives économiques (droit d’information et de consultation sur tout ce qui concerne la vie économique de l’entreprise) mais également d’un droit de regard sur les licenciements collectifs pour motif économique et sur tout ce qui a trait à la gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences. Quant aux délégués syndicaux, désignés par les syndicats représentatifs dans l’entreprise, ils portent les revendications de leur syndicat et négocient les accords collectifs. Quelle serait dès lors leur rôle dans une telle instance unifiée ?

Une fois de plus il importe de mettre au jour la logique des mesures prévues par le gouvernement en matière de casse du droit du travail et de présenter les arguments utiles pour une prochaine mobilisation. C’est le sens de cette courte note qui sera suivie de nouvelles analyses dans d’autres domaines.

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