Par Maurice Ulrich, journaliste.
MAURICE ULRICH
LUNDI, 19 JUILLET, 2010
L'HUMANITÉ
Communiste, créatrice de l’Union des jeunes filles de France, Danielle Casanova fut aux premières heures de la résistance et de la lutte armée. Arrêtée en février 1942 lors d’un terrible coup de filet de la Gestapo, elle est déportée et meurt à Auschwitz-Birkenau le 9 mai 1943.
Le 27 janvier 1943, le jour se lève sur Birkenau, le deuxième camp de l’énorme complexe d’Auschwitz. C’est à son entrée que les nazis ont inscrit « Arbeit macht frei » (le travail rend libre). Un train de wagons à bestiaux entre en gare. Deux cent trente femmes y ont été entassées. Le voyage a duré trois jours depuis la France, pratiquement sans nourriture et sans eau. Les portes s’ouvrent sur une plaine glacée, sur les SS et leurs chiens, et les ordres claquent. Il faut descendre, vite, s’aligner sous la menace et les coups des matraques. Les résistantes françaises voient apparaître d’autres femmes, aux cheveux pratiquement rasés, aux robes rayées…
Danielle Casanova est à côté d’une de ses compagnes, Raymonde Salez. Celle-ci, membre de la direction des Jeunesses communistes, était en tête de la manifestation des étudiants de Paris le 14 juillet 1941, brandissant le drapeau tricolore. Il faut chanter, aurait dit Danielle Casanova. Elles entonnent la Marseillaise, reprise par les 230 déportées, et entrent ainsi dans le camp. Ces femmes sont ouvrières, paysannes, intellectuelles et lycéennes, communistes pour la moitié d’entre elles, gaullistes. Il y a parmi elles Marie-Claude Vaillant-Couturier, Maï Politzer… Quarante-neuf d’entre elles survivront. Danielle Casanova mourra du typhus, quatre mois plus tard. Entre-temps, la défaite des nazis à Stalingrad a marqué le premier grand tournant de la guerre.
Vincentella Perini, qui prendra en 1933 le nom de son époux, Laurent Casanova, naît en 1909 à Ajaccio dans une famille d’instituteurs laïques et républicains. Quatre filles, un garçon. Son frère, André, la décrit comme turbulente, tapageuse, toujours en mouvement et qui, lors même qu’elle ne sait que barbouiller, « veut toujours lire et écrire ». Jeune fille, grande et un peu forte, elle pose sur les murs de sa chambre deux images. Une reproduction du Marat assassiné de David et Rouget de l’Isle chantant la Marseillaise. Ses parents la voient à Normale supérieure. Elle veut être dentiste et fera ses études à Paris où André, qui est journaliste, aux idées plutôt modérées, habite déjà. Très vite, le parcours de Danielle Casanova, en même temps que ses études qu’elle réussit sans difficulté, va être militant. Elle a dix-huit ans quand elle adhère à l’Union fédérale des étudiants, vingt et un quand elle adhère au Mouvement de la jeunesse communiste et rencontre Laurent qu’elle fait adhérer à son tour. Les années 1930 vont être celles de grandes politiques de rassemblement des communistes. Membre en 1934 de la direction du Mouvement, elle crée en 1936 l’Union des jeunes filles de France, avant l’Union des femmes françaises. Mais dès le début son objectif est large. Le premier éditorial de Jeunes filles de France, qu’elle signe, s’adresse aux jeunes socialistes et républicaines, aux jeunes filles chrétiennes. Au congrès de l’Union, quelques mois plus tard elle déclare : « Il n’est plus possible à la femme de se désintéresser des problèmes politiques, économiques et sociaux que notre époque pose avec tant de force (…), la conquête du bonheur est pour la femme liée à son libre épanouissement dans la société, cet épanouissement est une condition nécessaire du développement du progrès social. »
Montée du nazisme, guerre d’Espagne. Danielle, avec l’UJFF, organise l’aide aux enfants d’Espagne. En février 1939, alors que les républicains sont vaincus, elle écrit : « C’est notre propre destin qui se joue sur les champs de bataille de Catalogne. » Intellectuelle, féministe, Danielle Casanova est une dirigeante communiste lucide. Elle sait que des heures terribles vont venir : « Partout où il a passé, le fascisme a apporté la servitude et semé la mort (…), comme nos aînés de 1792, nous connaissons notre devoir et nous le remplirons. » Dès septembre 1939, alors que Laurent est mobilisé, elle prépare les dirigeantes de l’UJFF de la région parisienne à la lutte contre le nazisme, lors d’une réunion à Montreuil.
À partir de mai 1940, c’est la peine de mort qui menace les militants communistes, avant même la débâcle qui arrive en juin, comme l’avaient espéré ceux qui préféraient Hitler au Front populaire. Quel est le rôle alors de Danielle Casanova ? Organiser les femmes, les amener à revendiquer, d’abord. Il y aura à l’automne 1940 des centaines de manifestations de femmes. Mais très vite, aux heures les plus sombres, c’est de la lutte armée qu’il s’agit. « Ça y est, dit-elle à une camarade, Claudine Chomat, le 21 août 1941, Fred a réussi un gros coup. » Fred, c’est le colonel Fabien. C’est elle qui charge Albert Ouzoulias de former les Bataillons de la jeunesse qui deviendront les FTP.
Danielle Casanova a trente-deux ans et elle a changé. Curieusement, dans les souvenirs de ses camarades de combat d’alors, on relève plusieurs fois des remarques sur son élégance. Elle a minci, elle s’habille avec goût. Elle-même, déjà internée au fort de Romainville, alors qu’elle écrit : « Maintenant je connais ce que c’est que la haine », poursuit quelques lignes plus loin : « J’ai beaucoup maigri. Pas de trace en ma mémoire d’avoir eu une silhouette pareille, et juste au moment où il n’y a personne pour apprécier mon élégance. » L’élégance, aux heures les plus tragiques, comme ce qu’on se doit à soi-même, peut-être, face à la mort. On pense aussi à cette élégance, à Nuremberg (*), de Marie-Claude Vaillant-Couturier, faisant face, sans faillir, aux bourreaux nazis.
Le 15 février 1942, elle est arrêtée. Les nazis, après des semaines de filatures frappent un coup terrible. Arthur Dallidet, Félix Cadras, Georges et Maie Politzer, Jacques Decour, Marie-Claude Vaillant Couturier… Plus de cent arrestations en quelques jours. La Santé, puis le fort de Romainville. Le convoi de janvier 1943. Dentiste, Danielle sera requise pour soigner les dents des kapos et évitera les conditions les plus dures de détention, mais elle part, le 9 mai. Et il semble que retentisse encore ce cri vers elle, lorsqu’elle vivait encore, d’une jeune fille emmenée à bord d’un camion vers les chambres à gaz, après une sélection : « Danielle !…» (**).
(*) Le procès de Nuremberg se déroula de novembre 1945 à octobre 1946.
(**) Cet article doit beaucoup au livre de Pierre Durand, Danielle Casanova l’indomptable, Éditions Messidor.
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