Unanimes, des enseignants-chercheurs aux étudiants en passant par les parents, la communauté universitaire se rassemble, ce mardi 11 mars, dans la rue, pour dénoncer une situation qui a atteint un point de non-retour.
10 mars 2025, Olivier Chartrain - L'Humanité
Que veut faire la France de son enseignement supérieur ? La question doit être posée, aujourd’hui, alors que l’ensemble de la communauté universitaire se donne rendez-vous dans la rue (à Paris, à 12 h 30, place de la Sorbonne) pour dénoncer la menace qui pèse sur les universités, leur personnel, leurs étudiants, leurs diplômes.
Asphyxiés par le sous-financement depuis (au moins) 2007 et la loi relative aux libertés et responsabilités des universités (LRU) portée à l’époque par Valérie Pécresse, les établissements d’enseignement supérieur ont atteint les limites ultimes de leurs capacités de résilience. On ne saurait s’y prendre de manière à la fois plus violente et plus efficace pour les conduire vers un projet qui ne serait plus celui de l’université française.
Selon les modes de calcul, les chiffres divergent. Mais ils demeurent impressionnants : selon le Snesup-FSU, principal syndicat des enseignants à l’université, il manque 8 milliards à l’enseignement supérieur et à la recherche (ESR) pour « financer les 150 000 places qui manquent pour les étudiants, la transition écologique et la rénovation du bâti, la revalorisation des salaires, l’amélioration des taux d’encadrement avec des enseignants-chercheurs », énumère sa cosecrétaire générale, Anne Roger.
L’équivalent de la fermeture de 7 universités
Selon l’Union étudiante, la loi de finances adoptée le 5 février par 49.3 programme « 1,5 milliard de coupes budgétaires » pour l’enseignement supérieur. Soit, selon le syndicat, l’équivalent de la fermeture des universités de Rennes II, Montpellier-Paul-Valéry, Sorbonne Université, Aix-Marseille, Lyon III, Chambéry et Pau (chère au cœur de François Bayrou).
L’alerte avait déjà été donnée en décembre dernier par les présidents d’université eux-mêmes, au moment où 80 % (60 sur 75) des établissements dont ils ont la charge risquaient de se retrouver en cessation de paiements. Ce qui permet de pointer une des premières perversions du système : « l’autonomie » d’universités dont l’activité demeure, de par la nature des missions qui leur sont confiées, étroitement dépendante des financements publics, consiste essentiellement à se débrouiller avec ce que l’État veut bien leur donner.
Voter une loi de finances qui stagne ou baisse, comme c’est le cas depuis des années, c’est de facto les mettre dans l’impossibilité matérielle d’accueillir tous les étudiants, de financer les rémunérations de leur personnel, de rénover leurs bâtiments qui sombrent parfois dans un état de délabrement indigne au point de rendre impossible leur utilisation. C’est encore les contraindre à fermer l’hiver pour réduire les dépenses énergétiques (surtout avec des bâtiments-passoires), ou à renoncer aux cours à distance qui facilitent l’accès des étudiants salariés à l’université…
Pour faire face, les responsables mettent en œuvre des solutions qui sont en réalité des expédients, sciant la branche sur laquelle est assise l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français (ESR). Certaines universités ont déjà commencé à envisager de supprimer des formations entières : c’est la partie visible de l’iceberg.
D’autres, après avoir accepté l’augmentation des droits d’inscription pour les étudiants hors Union européenne, réfléchissent à le faire pour tous les autres. Plus insidieuse est la suppression de groupes de travaux dirigés, qui permet de mettre autant d’élèves devant moins d’enseignants… au détriment des conditions d’études et de l’attention portée à chacun. Surtout quand, pour les mêmes raisons économiques, les enseignants-chercheurs titulaires sont remplacés par du personnel précaire – dont l’infinité des statuts offre l’embarras du choix.
Dans un tel contexte, « l’affaire du Hcéres » (Haut Conseil de l’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur) ne tombe pas comme un coup de tonnerre dans un ciel serein. Pour résumer, les universités voient leurs formations évaluées tous les cinq ans, par roulement, par ce Haut Conseil. Cette année, c’était le tour de la « vague E », c’est-à-dire les établissements d’Île-de-France hors Paris, de Lille, d’Amiens, mais aussi de La Réunion et Mayotte.
Mettre à genoux l’université publique
Résultat (provisoire) de ce travail : selon les cas, entre le quart et la moitié des formations ont reçu un avis défavorable. Lire ces documents, trois pages à peu près pour chaque licence ou master, est… instructif. La qualité de ces formations y est souvent louée, avant une balance points forts/points faibles, des recommandations pour s’améliorer et un avis… le plus souvent défavorable, qui n’hésite pas à contredire tout ce qui a précédé ! Une étrangeté qui conduit certains à s’interroger sur d’éventuelles manipulations du Hcéres.
Mais ce qui frappe surtout, ce sont les reproches qui sont formulés : « taux d’encadrement insuffisant », « manque de lien avec la recherche », « suivi insuffisant du devenir des étudiants », exigence d’« accroître la dimension professionnalisante via des stages », « internationalisation qui peine à décoller », manque de dispositifs de remédiation, etc.
Qui ne verrait le lien entre ces remarques et l’état d’asphyxie financière des universités tel qu’il vient d’être décrit ? A fortiori concernant les universités en question, qui recrutent plus que d’autres des étudiants issus de milieux populaires, parce qu’elles sont implantées dans des territoires défavorisés sur le plan socio-économique – ce qui, par exemple, ne facilite ni les voyages à l’étranger, ni le lien avec le tissu économique quand celui-ci est ravagé…
Autrement dit, on reproche aux universités de subir les conséquences de la politique qu’elles subissent ! Et, accessoirement, de renâcler à rendre leurs étudiants « employables », alors que ce n’est pas leur mission – et qu’on n’hésite pas, « en même temps », à leur reprocher de s’éloigner de la recherche. Il ne s’agit pas d’incohérences : c’est la politique de l’ESR que l’Union européenne a adoptée depuis plusieurs années.
Mettre à genoux l’université publique, c’est ouvrir le marché aux fonds de pension qui se jettent sur le très lucratif « marché » du supérieur privé, avec l’aide de Parcoursup… et les conséquences catastrophiques pour les étudiants qu’on ne parvient plus à masquer. Et peu importe que les étudiants eux-mêmes vivent aujourd’hui dans des conditions indignes, ou que la recherche française s’effondre. L’enjeu dépasse largement, on le voit, la communauté universitaire qui s’unit aujourd’hui pour résister à ces orientations mortifères.
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