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14 octobre 2016 5 14 /10 /octobre /2016 06:07
Hollande et les affaires: un président à côté de la plaque (Fabrice Arfi- Mathilde Mathieu, Médiapart - 13 octobre 2016)
Hollande et les affaires: un président à côté de la plaque
13 OCTOBRE 2016 | PAR FABRICE ARFI ET MATHILDE MATHIEU

Dans le livre Un président ne devrait pas dire ça…, le chef de l'État se montre en totale déconnexion avec les enjeux fondamentaux de la lutte contre la corruption.

 

François Hollande parle, bavarde, se confie à tous les vents mais, au fond, que dit-il vraiment ? Dans Un président ne devrait pas dire ça… (Stock), un énième livre de confessions avec des journalistes – mais le plus substantiel de tous (61 entretiens, 662 pages) –, le président de la République aborde en détail la question des “affaires” pour la première fois.

François Hollande n’aime pas les “affaires”, elles ne lui disent rien de bon. Le président paraît hanté par une seule et même question : après tout, à quoi lui servent-elles électoralement ? Réponse : à rien, à part “faire le jeu” de l’extrême droite, dit-il en substance. « Les affaires discréditent l’ensemble de la classe politique, et un peu plus, malgré tout, Sarkozy… Mais il ne faut rien attendre des affaires. Aujourd’hui, tout ce qui est à l’œuvre est favorable au Front [national – ndlr] », confie ainsi le chef de l’État aux deux auteurs de l’ouvrage, les journalistes du Monde Gérard Davet et Fabrice Lhomme.

Pourtant garant des institutions, le chef de l’État ne semble manifester d’ailleurs que peu de considération pour la chose judiciaire, le livre révélant même une forme de duplicité. Tandis que le 7 octobre, lors du congrès de l’Union syndicale des magistrats (USM), le président affirmait en public que « ce sont d’abord les magistrats qui font la justice », le même entonne un tout autre refrain dans le huis clos de son bureau, devant les journalistes du Monde. Il parle de la justice comme d’« une institution de lâcheté ».Visant surtout ses gradés, il ajoute : « C’est quand même ça, tous ces procureurs, tous ces hauts magistrats, on se planque, on joue les vertueux… On n’aime pas le politique. La justice n’aime pas le politique… »

La lecture des nombreux passages consacrés aux “affaires” laisse un goût amer, le président n’hésitant d’ailleurs pas à s’exprimer sur des procédures en cours. Face aux ravages de la corruption, qui vaut pourtant à la France d’être regardée avec inquiétudepar certaines organisations internationales, François Hollande se montre en totale déconnexion avec les enjeux fondamentaux, évaluant les “affaires” exclusivement sous l’angle de leur impact électoral.

Un peu comme si la lutte contre la corruption n’était pas porteuse de revendications citoyennes, qui dépassent la simple impression de tir aux pigeons que le spectacle des “affaires” peut parfois offrir : redonner confiance aux citoyens dans le fait démocratique, récupérer les masses considérables d’argent qui échappent à la richesse des nations, moraliser durablement la vie publique…  

Un peu comme s’il n’y avait aucune leçon à tirer, en dehors de quelques calculs de boutiquier, du fait que le portrait de la France de 2016 soit – outre le chômage, la menace terroriste et la furia identitaire – celui d’un pays miné par la corruption.

Les faits, pourtant, sont là, sous nos yeux : un ancien président de la République (Nicolas Sarkozy) deux fois mis en examen, comme une trentaine de ses proches (ministres, avocats, conseillers, policiers…), un ancien premier ministre candidat (Alain Juppé) condamné, un parti d’extrême droite (le Front national) renvoyé devant un tribunal correctionnel pour « complicité d’escroqueries », un ancien ministre du budget (Jérôme Cahuzac) fraudeur fiscal, une ancienne ministre de l’économie aujourd’hui directrice du Fonds monétaire international (Christine Lagarde) bientôt jugée, le patron du parti majoritaire (Jean-Christophe Cambadélis) deux fois condamné par la justice financière – liste non exhaustive.

Les exemples du mépris (au mieux du dédain) présidentiel pour les “affaires”, et de ce qu’elles disent de l’état du pays, sont légion dans l’ouvrage. Les deux reporters du Monde l’écrivent eux-mêmes : « Il nous l’a suffisamment répété, il ne compte pas sur les “affaires”, dont il juge qu’elles ont un faible impact sur l’électorat, et dans tous les cas ne profitent pas aux partis traditionnels, bien au contraire. » François Hollande : « Je crains que ce ne soit regardé comme une des illustrations de la décomposition du système démocratique. » Capable d’un grand cynisme, le président n’exclut pas, cela étant, de se servir desdites “affaires” en temps utile, « dans une campagne »

Un exemple est particulièrement instructif sur la vision présidentielle. Quand éclatent en 2014, à quelques jours d’intervalle, l’affaire Buisson, du nom de l’ancien conseiller de Sarkozy pris dans les filets de la justice, et l’affaire “Bismuth”, du faux nom dont s’était affublé le même Sarkozy pour comploter contre des juges trop fouineurs, François Hollande se plaint : « On avait l’inversion de la courbe du chômage, le pacte de responsabilité, nos initiatives sur l’Ukraine… On n’a pas pu expliquer tout ce qu’on avait fait. Franchement, ces affaires-là, elles ne nous servent pas […]. Ça n’a aucun intérêt pour nous. » « Intérêt », « servir »… il ne sort guère du registre utilitariste.

Le paradoxe du président

De l’affaire Bygmalion, il ne sait d’ailleurs que penser, ou disons qu’il se tâte. Au départ, la responsabilité du candidat Sarkozy dans l’explosion du plafond de dépenses lui semble indiscutable : « Moi je n’ai pas signé les chèques, donc je ne peux pas dire que Sarkozy les a signés. Mais à un moment, on sait, assène-t-il en 2014. Parce qu’il y a quelqu’un qui vous dit : “Là, on ne peut pas, on va être repérés”. » Puis voilà qu’en février 2016, il épouse la ligne de défense sarkozyste : « Je pensais que sur cette affaire le Conseil constitutionnel avait tout dit […]. J’ai trouvé que la mise en examen [de Sarkozy] était peut-être automatique dès lors qu’il avait signé les comptes mais n’indiquait rien sur sa connaissance ou pas de l’affaire Bygmalion. » À force de vouloir démontrer son refus de toute instrumentalisation des affaires, il s’approche de l’absolution.

C’est que la médiatisation grandissante du dossier Bygmalion l’inquiète pour lui-même :« Ce n’est pas bon pour la politique […]. Une bonne partie de l’opinion publique doit se dire […] : “Est-ce que les autres n’ont pas fait pareil ? [Sarkozy] se fait pincer, il s’est fait rattraper. Et Hollande ?” » Le travail des juges a cet inconvénient, en effet, qu’il réveille la vigilance des citoyens et les questions légitimes – sans susciter de réponses législatives pour autant, puisque le PS n’a presque rien entrepris pour renforcer les contrôles sur le financement de la vie politique.

Les “affaires” permettent en tout cas au président de la République de se tendre un miroir pour y admirer son reflet et constater qu’il n’est pas Sarkozy. « Moi, président de la République, je n’ai jamais été mis en examen… Je n’ai jamais espionné un juge, je n’ai jamais rien demandé à un juge, je n’ai jamais été financé par la Libye… », se rassure le chef de l’État, reprenant la fameuse anaphore du débat d’entre-deux-tours de 2012.

Il assume aussi son lot d’affaires. Mais loin des forfaits de la Sarkozie, cette « bande au sens prébendier » du terme, cornaquée par un chef qui « ne fait pas le partage entre le légal et le non-légal, le décent et le non-décent », il ne voit dans son camp qu’une série d’écarts individuels (Cahuzac, Thévenoud, etc.). « D’abord, il n’y a aucun système, rien qui soit un mécanisme de financement politique ou électoral, ou personnel. Deuxièmement, il n’y a aucune protection qui soit apportée à qui que ce soit. Troisièmement, la justice et la presse font leur travail jusqu’au bout. Quatrièmement, quand un individu est approché par la justice, il est remercié. »

Trois membres de son entourage le plus proche ont été “démissionnés”, il est vrai. Mais Hollande s’emploie systématiquement à relativiser leur dossier : à l’entendre, Aquilino Morelle, sa “plume” à l’Élysée, a commis une vulgaire « maladresse » (un cireur n’est tout de même « pas une péripatéticienne ») ; son conseiller Faouzi Lamdaoui (jugé pour abus de biens sociaux - relaxé en première instance, le procès en appel est attendu en janvier 2017) s’est uniquement vu reprocher « son passé, des faits antérieurs à sa nomination à l’Élysée » ; quant à Kader Arif, secrétaire d’État mis en cause dans une enquête pour favoritisme, il faudrait parler d’« une imprudence, une légèreté pas gravissime ». « Faire travailler son frère […], c’était possible » il y a encore quelques années, ne peut s’empêcher de glisser François Hollande, toujours ambivalent.

Alors qu’il pourrait souligner combien sa main n’a pas tremblé, et faire de son intransigeance un programme de campagne, il laisserait presque transparaître un sentiment de culpabilité. Comme s’il n’assumait pas complètement, comme si la noblesse du combat lui échappait.

En matière de moralisation, François Hollande n’a certes pas tout fait (il a renoncé à supprimer la Cour de justice de la République réservée aux ministres, refusé de faire sauter le “verrou de Bercy” dans la lutte contre la fraude fiscale, etc.), mais il a bien plus agi que ses deux prédécesseurs, en interdisant toute instruction du ministère de la justice dans une affaire individuelle, en créant le Parquet national financier (PNF) et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en 2013, puis l’Agence française anticorruption cette année.

Il en paraît parfois gêné. C’est là son paradoxe. « C’est vrai que c’est très injuste pour les députés et les sénateurs, au motif qu’un ministre […] a commis une faute, d’être amenés à publier leur patrimoine », lâche-t-il à nos confrères en 2013. « Très injuste » ? Il faut relire la phrase pour y croire. Les déclarations de patrimoine des parlementaires ne seront finalement pas “publiées” mais consultables en préfecture, avec interdiction de prendre la moindre note.

Ancien élu de Corrèze, longtemps premier secrétaire du PS, Hollande sait bien que ses réformes agacent au plus haut point certains barons socialistes (dont le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone), alors il s’excuserait presque : « Il ne s’agit pas de faire comme s’ils étaient suspects, mais de dire : dans l’intérêt de tous, parlementaires, ministres, responsables publics, on va maintenant – peut-être à tort – vers une exigence de transparence. » Ou quand le président n'est plus bien sûr d'avoir raison.

 

 

 

 

 

 

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