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25 août 1944. Le métallo et les généraux
Par Roger Martelli| 25 août 2014

Fruit d’une insurrection populaire et d’une large union des différentes forces de la Résistance, la Libération de Paris est parfaitement symbolisée par l’alliance entre Rol-Tanguy, Leclerc et de Gaulle. Retour sur les heures qui ont lié le destin de la France et celui de sa capitale.
Le 7 août 1944, le chef régional des FFI d’Ile-de-France, Henri Tanguy, dit "Rol", écrit à ses troupes clandestines : « Nous sommes à la veille d’une insurrection dans notre région. » Le propos n’a certes alors rien de déraisonnable. Depuis que les Anglo-américains ont débarqué en Normandie, la population parisienne vit dans l’attente, angoisse et espérance entremêlées, et les autorités allemandes s’inquiètent d’un état d’esprit qu’elles ont du mal à décrypter. Mais l’occupant est loin de désarmer et conserve des forces armées importantes dans la capitale, alternant les gestes d’apaisement et les violentes intimidations.
La Résistance est certes prête au combat. Le 12 juin, l’état-major militaire du CNR, le COMAC, enjoint par télégramme aux troupes FFI d’intensifier l’action armée : « Primo : soutenir pat tous moyens action alliée ; Secundo : intensifier partout guérilla destruction dépôts carburant, etc. ; Tertio : sabotage généralisé des productions ennemies. » La France libre n’entend pas déléguer aux seules armées alliées le soin de libérer le sol national. Mais Paris ne fait pas encore partie des points stratégiques du conflit en cours. L’Île-de-France relève de ce que l’on appelle la zone "de l’intérieur", « occupée par l’ennemi et non immédiatement visée par la progression alliée ». De fait, les Américains, au début août, ont l’intention de contourner la capitale, craignant l’enlisement des batailles de rue acharnées. A priori, ni les Alliés ni les forces armées de la France libre n’ont prévu à court terme un soulèvement général dans la capitale.
Paris ne sera pas Varsovie
Pourtant, tout s’enchaîne en quelques jours, dès la seconde semaine d’août. Le signal déclencheur est donné par le monde du travail. Le 10 août, les cheminots se mettent en grève, suivis par les PTT, le bâtiment, les métallos, puis le métro. Le 14, les organismes résistants de la police décident de se lancer ouvertement dans le mouvement et Rol prend l’initiative de rompre la stricte clandestinité qui prévalait jusqu’alors. Entre le 10 et le 17, la répression s’emballe : le 17 août, trente-sept résistants sont massacrés à la cascade du bois de Boulogne. Ce même 17 août, le Comité parisien de libération, présidé par le syndicaliste André Tollet, décide de passer à l’insurrection.

Le 18, tout bascule. La CGT et la CFTC lancent un mot d’ordre de grève générale, les élus communistes appellent à l’insurrection et Rol lance son ordre de mobilisation générale :« Français, tous au combat. Ouvrons la route de Paris aux armées victorieuses. Vive De Gaulle, vive la France. » Le 19, la Préfecture est occupée par les policiers résistants. À partir de là, les combats ne cesseront plus, malgré les tentatives de trêve. Le 21 août, la presse résistante paraît au grand jour. Le 22, Paris se couvre de barricades. Au même moment, le général Leclerc, qui piaffe d’impatience à Laval, donne l’ordre à sa 2e DB de marcher sur Paris. Le 24 août, un détachement blindé, comprenant un fort contingent de républicains espagnols, entre dans Paris, tandis que les forces de Leclerc et celles de la 4e division d’infanterie américaine approchent de la capitale.
Le 25 août, enfin, Leclerc entre dans Paris. Le gouverneur militaire du Gross Paris, le général von Choltitz, capitule. À la demande expresse d’un des trois responsables du COMAC, Maurice Kriegel-Valrimont, l’acte officiel de reddition est signé à la fois par Leclerc et par Rol. D’abord irrité par la signature du responsable FFI, le général de Gaulle, arrivé quelques instants plus tard, entérine sans barguigner la double signature : « Le général allemand commandant la région du grand Paris vient de capituler entre les mains du général Leclerc et du commandant des Forces françaises de l’Intérieur. » Paris ne connaîtra pas le sort tragique de Varsovie. Avec 1.800 tués du côté résistant (contre 3.200 du côté allemand), les pertes sont restées relativement modestes.
Union pour l’insurrection
Paris, comme Marseille et Lille, s’est libéré sur la base d’une insurrection populaire. Cela n’avait rien d’évident. Depuis le 6 juin, la résistance française est active par ses sabotages et ses actions de guérilla. Mais elle ne dispose pas d’un armement qui lui permet d’envisager des affrontements massifs avec une armée allemande qui n’est pas encore au bord de l’effondrement. Tous, dans les forces de la France libre, ne sont pas chauds pour un mouvement insurrectionnel, soit par crainte d’un combat déséquilibré, soit par peur d’un mouvement dominé par les communistes. Mais, au bout du compte, la logique de l’insurrection a été suivie et entérinée par l’ensemble des acteurs français. Sans doute doit-on y voir la conjugaison de plusieurs facteurs.
On ne saurait négliger, tout d’abord, ce qui est un trait fondamental de la Résistance elle-même. Elle et diverse, traversée de contradictions et de conflits souvent âpres. Mais elle est parvenue, à la différence d’autres pays comme la Grèce et la Yougoslavie, à maintenir son unité. Son union est fondée sur une conviction majeure : pour que la France reste une puissance indépendante, sa libération ne peut procéder de la seule intervention des armées alliées. De Gaulle se méfie des communistes, mais il ne veut pas d’une administration américaine. Les gaullistes, les 20-21 juin, plaident à Paris pour installer une trêve sur le terrain, mais le Général ne goûte guère leur choix. La présence de Rol à la gare Montparnasse le heurte, mais il sait que l’action FFI, impulsée ou non par des communistes, est décisive pour l’avenir du pays.
Gérer une armée clandestine n’est pas comme administrer une armée régulière, avec ses stocks d’armements répertoriés, ses transmissions et sa logistique. À l’été de 1944, la Résistance armée est sous le contrôle d’organismes multiples. Théoriquement, depuis le début de l’année, les forces militaires sont unifiées dans le cadre des FFI. Mais qui dirige de fait ? Le général Koenig que de Gaulle a désigné, ou bien l’état-major constitué par le CNR, le COMAC, avec à sa tête le trio des trois "V" (Pierre Villon, Jean de Voguë, Maurice Kriegel-Valrimont) ? Sans compter que, sur le terrain, les choses se compliquent avec la persistance des anciens groupements, FTP, Armée secrète, MLN, etc. Or, malgré ces tiraillements, la machine a remarquablement fonctionné, parce que, à quelques exceptions près, l’esprit d’efficacité et donc d’union l’a emporté aux moments décisifs. Quand il s’agit de désigner le chef d’état-major régional des FFI, au début de 1944, la première tentation est d’écarter les FTP des postes de responsabilité majeur. Mais dès l’instant où Villon et Valrimont insistent pour que Rol-Tanguy soit désigné, une majorité se constitue très vite en leur faveur. En cela, la double signature de Leclerc et de Rol au bas de l’acte de reddition du 25 aout n’a rien d’une anomalie, ni même d’une surprise.
Paris, symbole du peuple moderne
Le second facteur qui explique l’ampleur et le succès de l’insurrection tient aux caractères de la région capitale. Paris et sa banlieue forment à la fois un vaste réservoir économique, un foyer industriel et ouvrier et un creuset d’intense politisation. À la veille de la guerre, la région parisienne est à la fois le terrain d’exercice privilégié des ligues d’extrême droite et le symbole de l’expansion antifasciste du Front populaire. Elle est le territoire par excellence du communisme urbain et de l’immigration européenne politisée. Elle a fourni une part décisive des combattants des Brigades internationales, qui compteront dans l’encadrement militaire de la Résistance.
C’est dans la région parisienne, comme dans les centres urbains de Marseille ou de Lille, que s’exprime, de la manière la plus vivace, la continuité fondamentale du combat antifasciste et du combat résistant, de la lutte sociale et de l’action patriotique. Henri "Rol" Tanguy est ouvrier métallurgiste dès l’âge de quatorze ans, communiste depuis 1925 et secrétaire des métallos parisiens depuis 1936. André Tollet, qui préside le Comité de libération de Paris, est un ébéniste du faubourg Saint-Antoine, militant de la CGTU dès quinze ans, communiste au même moment et secrétaire de l’Union régionale CGT en 1936. Quand les responsables de la Résistance s’interrogent encore sur l’opportunité d’une insurrection dans la capitale, c’est la lutte sociale qui tranche, par la grève qui paralyse Paris entre le 10 et le 15 août.

L’insurrection parisienne est en cela un remarquable concentré de ce que fut la Résistance française : l’effet d’une impulsion patriotique, mais colorée par la symbolique de l’antifascisme qui domina l’espace urbain de 1934 à 1939 ; un mouvement éthique et politique, mais enraciné dans une sensibilité populaire qui le tourne vers le social. Au total, la Résistance ne fut ni de droite ni de gauche, mais c’est l’esprit de la gauche sociale qui lui donna ses couleurs et ses saveurs, par en bas.
Rol, Leclerc, de Gaulle. L’ouvrier communiste a la foi bolchevique chevillée au corps, mais il a intériorisé les contraintes du métier des armes et redoute tout autant l’attentisme frileux que l’aventurisme débridé. Leclerc, aristocrate pétri d’Action française, figure militaire par excellence, a compris que la régénération française ne peut se faire sans un peuple trahi par ses élites en 1940. Quant à de Gaulle, que rien au départ n’attire vers une République parjurée, militaire obsédé par l’idée de la continuité intrinsèque de l’État, dirigeant qui ne redoute rien tant que la « chienlit », il s’est convaincu que l’État ne retrouvera pas ses droits sans le socle populaire seul à même de le légitimer.
Le métallo et les deux généraux : peut-on trouver plus belle image de ce que fut la Libération de la France ?
Published by Section du Parti communiste du Pays de Morlaix
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PAGES D'HISTOIRE
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