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24 juillet 2019 3 24 /07 /juillet /2019 06:11
Miguel Hernandez

Miguel Hernandez

Miguel Hernandez La poésie reste « une arme chargée de futur »
Mardi, 23 Juillet, 2019

Lanceurs d'alerte en 1939. 2/29. Dès les années 1930, le chevrier, auteur autodidacte met immédiatement son écriture au service du prolétariat et de la République espagnole. De sa courte vie – il décède à 32 ans –, il est resté fidèle, à en mourir, à ses idéaux communistes.

 

Moins célébré que le chantre de l’Andalousie, Garcia Lorca, le poète autodidacte Miguel Hernandez, de Orihuela (Alicante), aux origines fort modestes, qui fut chevrier jusqu’à son adolescence, mit immédiatement sa poésie « au service » du prolétariat et de la République. Une poésie certes de combat, de guerre même, effervescente, qui soulève, incite, manifeste, d’une esthétique sobre, efficace, des formes le plus souvent resserrées, denses et transparentes à la fois, de grande tension et force expressive, notamment dans ses poèmes élégiaques. Celui qu’il dédie à son premier fils, mort avant d’avoir 1 an, arrache les larmes. Tout comme l’élégie à Ramon Sijé, son frère d’âme, cultivé, le passeur, le ­ compagnon inséparable, mort à Orihuela.

Le chanteur Paco Ibañez a érigé le poème Andaluces de Jaen en un monument, un hymne de colère contre les grands propriétaires des oliveraies et le travail esclave des journaliers. Le poète les appelle à « se lever courageusement », à refuser l’esclavage au milieu de « tant d’oliviers » aux troncs noueux, aux olives généreuses, qui poussent « non pas grâce à l’argent, ni à la sueur du maître », mais au travail éreintant des ouvriers agricoles. Combien de siècles la servitude va-t-elle encore durer ? interroge le poète.

Madrid accueille le second Congrès international des écrivains antifascistes, auquel il participe. Les intellectuels majoritairement sympathisants de la République se trouvent tiraillés entre le positionnement empathique et l’engagement total, fusionnel, charnel. Hernandez, lui, a choisi, naturellement, le côté prolétaire de la barricade, malgré les convulsions en cours, le fusil et les mots, jusqu’à produire une « poésie armée »… À Madrid, au contact de son ami Pablo Neruda, il devient communiste (à 21 ans), rejoint le mythique Quinto Regimiento (protecteur des arts), donne des récitals poétiques sur le front pour stimuler miliciens, soldats de l’Armée populaire. El rayo que no cesa (1934-1935), Vientos de pueblo (1 937)… Une nouvelle fois, artistes et intellectuels sont appelés par les organisations antifascistes à « être dans la boue jusqu’à la ceinture », selon Antonio Machado, dans l’action commune, dans le partage d’une épopée. Cet engagement n’implique pas que le poète soit condamné à ne chanter que les prouesses du collectif. La guerre antifasciste d’Espagne met en jeu et en cause la dignité et le courage de chacun. Homme et combattant s’impliquent jusqu’à ce que reculent les limites. La poésie devient révolution ; peu d’hommes et de femmes se sont autant donnés à la fois à leur création et à leurs combats.

« Je suis né d’un ventre malheureux et pauvre », « Ainsi je sortis de terre », « assis sur les mots »

Courte et tragique vie que celle de Miguel Hernandez. Sans lieu commun. Le « chevrier autodidacte » a beaucoup lu, y compris les classiques, et acquis une dimension reconnue à Madrid (qui l’attire), et bientôt internationalement. Il est né en octobre 1910 : « Je suis né d’un ventre malheureux et pauvre », « C’est ainsi que je sortis de terre », « assis sur les mots ». La terre, le troupeau, la poésie, la révolution, les « corps qui naissent vaincus et tristes meurent ».

À la fin de la guerre, Miguel Hernandez se réfugie au Portugal, qui le renvoie en Espagne, aux mains de la garde civile et de Franco. Libéré une première fois, il est à nouveau arrêté et condamné à mort lors d’un procès sommaire en 1940. À la suite d’interventions nombreuses, la peine sera commuée en 30 ans de prison. Commence alors un long et sordide voyage, d’obscurité et d’humidité, de faim et de murs, une errance dans plusieurs prisons. Atteint d’une grave tuberculose, sans soins adéquats, il décède le 28 mars 1942. À 32 ans. Sa femme, Josefina Manresa, et leur enfant vivent dans un dénuement absolu. Dans les poèmes écrits en prison, on trouve la résistancielle Berceuse à l’oignon, pour son deuxième fils, né en 1939 : « Mon fils, au creux du berceau de la faim/se nourrissant du sang de l’oignon/Mais ton sang brillait de sucre givré. » L’oignon devient la nourriture, le « givre » de tous les jours. Immense et glacé, mais parsemé d’infimes clartés.

En prison, il termine également son Cancionero y romancero de ausencias. Toujours la poésie, arme de lutte. Les mêmes mots : la cellule, la terre, le pain, le souffle du vent, la nudité, l’ombre, mais une ombre constellée d’étoiles. L’espoir. Au terme d’une vie, porté par les « vents du peuple », Miguel Hernandez est resté fidèle, à en mourir, à ses idéaux communistes. « Au revoir, camarades, frères et amis/Saluez de ma part le soleil et les blés. »

Jean Ortiz
Miguel Hernandez: La poésie reste une arme chargée de futur - Jean Ortiz, L'Humanité, 23 juillet 2019 - suivi de Miguel Hernandez par Neruda

Pablo Neruda consacre un chapitre de ses Mémoires J'avoue que j'ai vécu à Miguel Hernandez et à la rencontre lumineuse qu'il a eu avec lui:

" A peine arrivé à Madrid, et devenu comme par enchantement consul du Chili dans la capitale espagnole, je connus tous les amis de Garcia Lorca et de Rafael Alberti. Ils étaient nombreux. Quelques jours plus tard, j'étais un poète de plus parmi les poètes espagnols. Ce qui ne nous empêchait pas, Espagnols et Américain, d'être différents. Cette différence, naturelle, entre nous, les uns l'affichent avec orgueil, et les autres, par erreur. 

Les Espagnols de ma génération étaient plus fraternels, plus solidaires et plus gais que mes compagnons d'Amérique latine. Pourtant, je pus constater en même temps que nous étions plus universels, plus au courant des langages et des cultures. Peu d'Espagnols parlaient une autre langue que la leur. Lorsque Desnos et Crevel vinrent à Madrid, je dus leur servir d'interprète pour qu'ils se comprennent avec les écrivains espagnols.

L'un des amis de Federico (Garcia Lorca) et de Rafael (Alberti) était le jeune poète Miguel Hernandez. Quand nous fîmes connaissance, il arrivait en espadrilles et pantalon de velours côtelé de paysan de ses terres d'Orihuela, où il avait gardé des chèvres. Je publiai ses vers dans ma revue Cheval vert: le scintillement et le brio de son abondante poésie m'enthousiasmaient. 

Miguel était si campagnard qu'il se déplaçait entouré d'un halo de terre. Il avait un visage de motte de glaise ou de pomme de terre qu'on arrache d'entre les racines et qui conserve une fraîcheur de sous-sol. Il vivait et écrivait chez moi. Ma poésie américaine, avec ses horizons nouveaux, ses plaines différentes, l'impressionna et le transforma.

Il me racontait des fables terrestres d'animaux et d'oiseaux. Cet écrivain sorti de la nature était comme une pierre intacte, avec une virginité de forêt, une force et une vitalité irrésistibles. Il m'expliquait combien il était impressionnant de coller son oreille contre le ventre des chèvres endormies. On entendait ainsi le bruit du lait qui arrivait aux mamelles, la rumeur secrète que personne d'autre que lui, le poète-chevrier, n'avait pu surprendre.

D'autres fois il me parlait du chant du rossignol. Le Levant espagnol, son pays d'origine, était rempli d'orangers en fleur et de rossignols. Comme au Chili ce chanteur sublime n'existe pas, ce fou de Miguel voulait recréer pour moi dans sa vie même l'harmonie de son cri et son pouvoir. Il grimpait à un arbre de la rue, et du plus haut des branches, sifflait ou gazouillait comme ses chers oiseaux natals. 

(...) Le souvenir de Miguel Hernandez ne peut se détacher des racines de mon cœur. Le chant des rossignols d'Orihuela, leurs tours sonores érigées dans la nuit parmi les fleurs d'oranger, étaient pour lui une présence obsédante et constituaient une part du matériel de son sang, de sa poésie terrestre et rustique, dans laquelle se fondaient tous les excès de la couleur, du parfum et de la voix du Levant espagnol, avec l'abondance et la bonne odeur d'une jeunesse puissante et virile.

Son visage était le visage de l'Espagne. Taillé par la lumière, ridé comme un champ labouré, avec ce petit côté de franche rudesse du pain et de la terre. Ses yeux brûlants, flambant sur cette surface grillée et durcie par le vent, étaient deux éclairs de force et de tendresse.

Et je vis sortir de ses paroles les éléments même de la poésie, mais modifiés par une nouvelle grandeur, par un éclat sauvage, par le miracle du vieux sang transformé en descendance. J'affirme que dans ma vie de poète, et de poète errant, il ne m'a jamais été donné d'observer un phénomène semblable de vocation et d'électrique savoir verbal".

(Pendant la guerre civile après le coup d’État de Franco ) "Federico avait été assassiné à Grenade. Miguel Hernandez, de chevrier, s'était transformé en verbe militant. Dans son uniforme de soldat, il récitait ses vers en première ligne.

(...) Miguel Hernandez chercha à se réfugier à l'ambassade du Chili qui durant la guerre avait accueilli une quantité énorme de franquistes: quatre mille personnes. L'ambassadeur, Carlos Morla Lynch, qui se prétendait pourtant son ami, refusa l'asile au grand poète. Au bout de quelques jours, Miguel était arrêté et emprisonné. Il mourut de tuberculose, dans son cachot, sept ans plus tard. Le rossignol n'avait pas supporté sa captivité".

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