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26 juin 2017 1 26 /06 /juin /2017 06:03
Guernica (1937)

Guernica (1937)

Article écrit d'après l'excellente biographie de Pierre Daix, ancien rédacteur en chef des "Lettres françaises", proche et témoin privilégié de la vie et de l'oeuvre de Picasso : Picasso, Tallandier, 2007  

 

L'engagement communiste de Picasso, qui à la différence d'autres artistes de la mouvance surréaliste n'avait pas franchi le pas dans les années 20 de l'engagement politique radical, prend sa source dans la guerre d'Espagne.  

Avant le bombardement de la ville basque de Guernica, Picasso, qui a été très proche de Breton, trotskiste anti-stalinien, partage le point de vue de Eluard qui se rapproche des communistes et voit dans l'URSS qui aide l'Espagne Républicaine un rempart contre le fascisme et l'allié naturel des démocrates progressistes, des prolétaires et anti-fascistes en Europe. Eluard, très ami avec Picasso, adhère au PCF clandestin en 1942 mais, dès le début de la guerre d'Espagne, il écrit des poèmes pour l'Humanité, renouant au passage avec Aragon, en particulier ce poème politique empli d'une colère splendide « novembre 1936 » écrit après les bombardements aériens de Madrid :

 

« Regardez travailler les bâtisseurs de ruines

Ils sont riches patients ordonnés noirs et bêtes

Mais ils font de leur mieux pour être seuls sur terre

Ils sont au bord de l'homme et le comblent d'ordures

Ils plient au ras du sol des palais sans cervelle

On s'habitue à tout

Sauf à ces oiseaux de plomb

Sauf à leur haine de ce qui brille

Sauf à leur céder la place »

 

Travaillant à « Guernica » en avril et mai 1937, Picasso fait, pour la première fois de son existence, une déclaration politique :

« La guerre d'Espagne est la bataille de la réaction contre le peuple, contre la liberté. Toute ma vie d'artiste n'a été qu'une lutte continuelle contre la réaction et la mort de l'art. Dans le panneau auquel je travaille et que j'appellerai « Guernica », et dans toutes mes œuvres récentes, j'exprime clairement mon horreur de la caste militaire qui a fait sombrer l'Espagne dans un océan de douleur et de mort ».

Installé dans le pavillon espagnol de l'exposition universelle fin juin 1936, « Guernica » déçoit malgré l'extraordinaire force et nouveauté de l'expression ceux qui en attendaient un appel aux armes.

A l'approche de la guerre, dans la longue agonie de la République espagnole, la peinture de Picasso est habitée par l'angoisse et la colère.

Les procès de Moscou et l'exécution de Boukharine amènent Breton, qui militait pour que Trotski soit accueilli en France, à rompre avec tous les surréalistes qui fréquent encore Eluard, lequel s'est refusé à dénoncer parce qu'il pense que seule l'URSS et les communistes peuvent faire obstacle au fascisme conquérant. Picasso refuse de se rallier à Breton, et d'arbitrer entre ses deux amis qui se déchirent désormais.

En avril 1940, après la déclaration de guerre, Picasso, qui a déjà deux enfants français, fait une demande de naturalisation française. Celle-ci a été connue que très tardivement grâce à Armand Israël et Pierre Daix, et à la cession par la Russie des archives de la préfecture de police de Paris saisies par les nazis en 1940 puis récupérées par les Soviétiques pendant cinquante ans. Les sympathies connues de Picasso avec les communistes font, dans un contexte d'interdiction et de persécution du PCF après le pacte germano-soviétique, que, suite à un rapport défavorable des RG, le plus grand artiste du XXe siècle se voit refuser la nationalité française.

 

Femme nue se coiffant - peint par Picasso après le refus des autorités de lui accorder la nationalité française en mai 1940

Femme nue se coiffant - peint par Picasso après le refus des autorités de lui accorder la nationalité française en mai 1940

Autoportrait de Picasso en 1940

Autoportrait de Picasso en 1940

Après la débâcle et l'invasion allemande, Picasso, qui a été invité au Mexique et aux Etats-Unis, se refuse, comme Matisse, a quitté la France occupée où son art va être considéré comme un exemple paradigmatique de la culture et de l'art décadents ayant conduit à la défaite. A l'inverse des Derain, Vlamink, Van Dongen, et de tant d'autres artistes, intellectuels et littérateurs, Picasso refuse pendant l'occupation tout compromis avec l'ordre nouveau et l'occupant. Il fréquente des milieux d'artistes et d'intellectuels acquis à la résistance et sa peinture exprime par sa noirceur et ses traitements tragiques son horreur des temps présents. Pour le reste, Picasso fait silence pendant l'occupation. 

Picasso aide financièrement le peintre juif Freundlich, réfugié en zone sud et qui mourra déporté. Il aide aussi le peintre allemand Hans Hartung à gagner le Maroc. En juin 1941, il rencontre le dirigeant du parti communiste clandestin Laurent Casanova, évadé d'un camp de réfugié, chez Michel Leiris et sa femme. Le 16 et le 17 juillet 1942 a lieu la grande rafle du Vel d'Hiv. Le 6 août, on inaugure à Paris un musée de l'Art moderne dont Picasso est exclu. Le même jour, Picasso peint la femme en gris, une de ses peintures de deuil les plus noires.  

la femme en gris (1942)

la femme en gris (1942)

Les amis poètes de Picasso sont arrêtés et déportés pendant les mois terribles de l'hiver 1943-1944: Max Jacob, interné comme juif au camp de Drancy, et qui y meurt d'une pneumonie cinq jours plus tard en février 1944, Robert Desnos arrêté le 22 février 1944 et qui meurt en déportation à Térezin quinze mois plus tard. Ses amis, Eluard et Zervos, sont dans la résistance. 

Le 19 mars 1944, "Le désir attrapé par la queue" une pièce de théâtre nourrie de poésie automatique et surréaliste de Picasso est jouée aux Grands-Augustins grâce à Louise et Michel Leiris avec une distribution étonnante. Albert Camus, metteur en parole, dirigeait Simone de Beauvoir et Sartre, Dora Maar, l'amante bientôt détrônée de Picasso, Raymond Queneau... 

A la Libération, Picasso, qui rêve toujours de défaire le franquisme en Espagne, adhère au PCF.

Il a soixante-trois ans. Il déclare au magazine américain New Masses:   

"Je suis allé au parti communiste sans la moindre hésitation, car, au fond, j'étais avec lui depuis toujours (....). Ces années d'oppression terrible m'ont démontré que je devais combattre non seulement par mon art, mais par ma personne. J'avais tellement hâte de retrouver ma patrie! J'ai toujours été un exilé. Maintenant que je ne le suis plus; en attendant que l'Espagne puisse enfin m'accueillir, le parti communiste m'a ouvert les bras et j'y ai trouvé tous ceux que j'estime (...) et tous ces visages d'insurgés parisiens si beaux que j'ai vus pendant les journées d'août sur les barricades. Je suis de nouveau parmi mes frères..."

Picasso devient ainsi le nouvel adhérent le plus brillant d'une campagne nationale de recrutement du PCF redevenu légal. Le nouvel adhérent est accueilli avec les honneurs par Marcel Cachin, Jacques Duclos, Maurice Thorez étant en URSS, le 4 octobre 1944 dans les bureaux de L'Humanité. Paul Eluard, Aragon, Pierre Villon le dirigeant du Front National sont présents.

A la veille du premier congrès légal du PCF depuis 1937, le 23 mai 1945, Picasso réalise un portrait de Maurice Thorez, le secrétaire général. 

Après la réalisation de son hommage aux victimes du nazisme, "Le charnier", Picasso participe à la célébration du cinquantième anniversaire de Dolorès Ibarruri le 9 décembre 1945 à Toulouse avec son ami Sabardès, la "Passionaria" qui incarne le PC espagnol en exil. 

Dans le cadre d'une exposition "Art et résistance" qu'il organise avec les oeuvres des artistes proches de lui, sous l'égide des FTPF, le PCF expose Picasso mais évite les toiles les plus abstraites, crédo soviétique du "réalisme" oblige. 

A  Antibes, en 1947, Picasso rencontre par hasard breton, le pape des surréalistes, qui lui demande des explications sur son adhésion au PCF. "Je tiens à mes opinions comme à un résultat de mon expérience, répond Picasso. Moi, je place l'amitié au-dessus des différences politiques". Breton refuse de lui serrer la main. Il refuse aussi pour des raisons politiques d'exposer Picasso à l'Exposition internationale du surréalisme qu'il prépare au printemps 1947 à la galerie Maeght, mais Dali, Giacometti, André Masson, Magritte, sont logés à la même enseigne. 

Picasso a depuis quelques mois une nouvelle compagne Françoise Gilot. Un de ses portraits d'elle, resigné en cyrillique avec une faucille et un marteau, servira de prix pour un film soviétique primé au festival de Cannes.

Des militants puritains, au PCF, voient d'un mauvais oeil le "libertinage" de Picasso, comme à la même époque celui de Marguerite Duras.  

Ses oeuvres formellement "révolutionnaires" et avant-gardistes ne cadrent pas avec l'esthétique réaliste communiste que peut porter à la même époque un Fougeron et qu'Aragon défend, alors très orthodoxe sur les options esthétiques politiquement et socialement recevables alors que lui-même, du fait de son retour à la poésie patriotique pendant l'occupation, n'est pas non plus en odeur de sainteté.  Roger Garaudy, ancien déporté, affirme lui dans son rappel à l'ordre du congrès de 1945, qu'il n'y a pas d'esthétique communiste: "Un communiste a le droit d'aimer l'oeuvre de Picasso, soit l'oeuvre de l'anti-Picasso". 

Picasso en réalité n'a jamais été reconnu et conforté dans ses recherches et inventions esthétiques par le parti auquel il a adhéré. En même temps, Picasso est très sollicité en vertu de son prestige pour des affiches, dessins pour les journaux communistes. 

En 1948, avec notamment le poète André Césaire, Picasso participe avec envie au congrès des intellectuels pour la paix qui se tient à Wroclaw, jadis Breslau, dans la Silésie devenue polonaise. Il y demande la liberté de son ami Pablo Neruda, alors persécuté au Chili. 

Au printemps 1949, Aragon demande au nom du PCF à Picasso de réaliser l'affiche du congrès mondial de la paix devant se tenir à Paris: Picasso à son atelier des Grands-Augustins lui montre le tas d'épreuves des lithos et lui dit de choisir. Evidemment Aragon brandit "La Colombe". Picasso rappelle en bougonnant que les colombes sont des oiseaux belliqueux, il le sait, il en a deux en cage... 

Après la congestion cérébrale qui atteint Maurice Thorez en octobre 1950, Picasso est affaibli par la mise hors course d'un de ceux qui le protégeaient des accusations contre le "formalisme décadent", accusation partagée outre-Manche par un Churchill et outre-Atlantique par bon nombre de politiques américains voyant dans l'art moderne une "subversion communiste". Fougeron devient le peintre officiel du PCF. 

C'est dans ce contexte que Picasso peint en janvier 1951 les "Massacres en Corée", son tableau le plus évidemment politique, pour y affirmer avec éclat ses convictions communistes. "Ce qui éclate toutefois, écrit Pierre Daix, c'est sa réaction la plus intime de père face à cette guerre lointaine. Il crée une science-fiction: un peuple de femmes enceintes et d'enfants, face à des guerriers robotisés". Mais ses "Massacres en Corée" échouent à séduire le public militant. On juge le tableau trop en décalage avec la réalité, ne valorisant pas la résistance et la gloire des combattants communistes. 

Malgré la pression croissante qui règne sur les critiques d'art, intellectuels et écrivains communistes "libéraux" et amoureux d'innovation en matière esthétique, Picasso obtient le prix Staline de la Paix en 1951. "En son absence, par un meeting, Fernand Léger y salue Guernica et La Colombe de la paix. Formulation officielle: Fougeron désormais se bat "à son créneau de communiste", Picasso à "son créneau de partisan de la paix". Un enterrement de première classe", écrit Pierre Daix (Picasso, Pluriel, p.456).   

Picasso réalise un album de luxe avec Eluard "Le visage de la Paix" au profit du Parti Communiste. Il participe à une grande campagne du PCF afin de tenter de sauver le dirigeant grec Beloyannis pour qui Picasso dessine "L'Homme à l'oeillet". Beloyannis est exécuté. 

Au paroxysme de la guerre froide, Picasso réalise d'autres colombes pour les congrès annuels de la paix. Il est expulsé d'Angleterre où devait se tenir, à Sheffield, le congrès de 1952, qui aura finalement lieu à Vienne. Picasso imagine un arc-en-ciel et dessine une colombe discontinue par un ensemble de collages. C'est une réussite mais le projet est refusé par la direction communiste. Picasso dessine alors une eau-forte de colombe dans l'arc-en-ciel et le PCF en sort convaincu de l'avoir poussé à rompre avec le formalisme. 

C'est alors que, le 18 novembre 1952, Pablo Picasso a la douleur de perdre son ami Eluard. Une deuxième fois, après la mort d'Apollinaire, la maladie lui ôte celui qui le comprenait le mieux. Picasso assiste au premier rang de la tribune officielle à l'enterrement que le PCF veut aussi grandiose que possible. 

En février 1953, Staline meurt et Aragon commande un dessin du dictateur communiste à Picasso. Picasso s'inspire de la photo d'un Staline jeune de 1903 et son dessin, publié dans les "Lettres françaises" et à "L'Humanité", jugé irrévérencieux, fait scandale. Le portrait de Staline par Picasso est condamné deux jours plus tard par le PCF "sans mettre en doute les sentiments du grand artiste Picasso dont chacun connaît l'attachement à la classe ouvrière". Le PCF contraignit Aragon à publier dans Les Lettres françaises un dossier de lettres de condamnation outragées. Picasso et Aragon étaient mis au banc des accusés par une direction communiste de formation stalinienne profitant du fait que Thorez, en URSS, n'était plus là pour protéger les intellectuels. Thorez, rentré d'URSS, fit savoir qu'il désapprouvait la condamnation du "Portrait de Staline". Une photographie titrée "Picasso rend visite à Maurice Thorez" en une de L'Humanité du 23 mars 1953 servit à cet effet. 

Mais le PCF et sa presse ignorent la première grande présentation publique en France de l'oeuvre révolutionnaire "Les demoiselles d'Avignon" (1907), inaugurant le XXe siècle artistique, lors de l'exposition de Jean Cassou au musée national d'art moderne "Le Cubisme 1907-1914".   

Suite à ce scandale du portrait de Staline, à l'arrestation de Beria et à la réhabilitation posthume des "Blouses blanches", médecins juifs ayant soi-disant conspiré contre Staline, Picasso, tout en restant adhérent communiste, le PCF étant plus attaqué que jamais, se mit en marge de la direction communiste et pris de la distance vis-à-vis de la notion d'art et d'artiste engagés. C'est le Parti Communiste italien qui consacre une grande exposition n'ignorant pas la période cubiste et abstraite à Picasso en 53 à Rome et à Milan. Moscou prête même de bonnes grâces des tableaux d'avant 1914. Picasso, qui abandonne Françoise Gilot et son enfant au grand dam d'Aragon et d'Elsa va rentrer en aménageant dans le sud de la France avec Jacqueline dans un renouveau créatif extraordinaire.

En 1956, à 75 ans, Picasso signe avec Edouard Pignon, Hélène Parmelin, le critique George Besson, une lettre au comité central du Parti rappelant que la tragédie qui se joue en Hongrie "pose aux communistes de brûlants problèmes que ni le Comité central ni L'Humanité ne les ont aidés à résoudre, et demandant la convocation d'un congrès extraordinaire. Il ne quitte pas le Parti ("on ne peut pas changer sa famille", dit-il à Pierre Daix) mais critique Thorez, Aragon et les autres, d'avoir dissimulé la vérité sur la nature du stalinisme.  

En 1964, il dira toutefois au critique d'art américain Carlton Lake (qui collaborera avec Françoise Gilot en 1964 à l'édition de ses souvenirs) que le communisme représente toujours pour lui "un certain idéal" dans lequel il croit.            

    

portrait de Maurice Thorez réalisé en mai 1945

portrait de Maurice Thorez réalisé en mai 1945

Maurice Thorez et Picasso

Maurice Thorez et Picasso

Le Charnier - Picasso, 1945

Le Charnier - Picasso, 1945

L'engagement communiste de Pablo Picasso
"Massacres en Corée" - Picasso (janvier 1951)

"Massacres en Corée" - Picasso (janvier 1951)

L'homme à l'oeillet - Picasso (le dirigeant communiste grec Beloyannis) - 1951

L'homme à l'oeillet - Picasso (le dirigeant communiste grec Beloyannis) - 1951

dessin de Staline par Picasso dans les "Lettres françaises" (février 1953)

dessin de Staline par Picasso dans les "Lettres françaises" (février 1953)

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