Après avoir rompu leurs relations diplomatiques avec l’émirat gazier, placé sous embargo aérien et maritime, l’Arabie saoudite et ses alliés viennent d’édicter 13 exigences que Doha doit accepter pour mettre fin à la crise. Exigences qui mettraient un terme à la souveraineté du Qatar
Moins d’un mois après avoir annoncé la rupture de leurs relations diplomatiques avec le Qatar, accusé de « soutien au terrorisme », l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Égypte viennent d’adresser à Doha un véritable ultimatum. Dans un document transmis par l’intermédiaire du médiateur koweïtien, ils dressent une liste de 13 exigences à satisfaire dans les dix jours, pour mettre fin à la crise, sans préciser toutefois ce qu’ils entendent faire si le Qatar n’accepte pas leurs conditions. « Il est plus sage que le Qatar prenne au sérieux les demandes et les préoccupations de ses voisins. Autrement, le divorce sera effectif », s’est contenté de dire, menaçant, le ministre émirati des affaires étrangères, Anwar Gargash, tandis que les Nations unies offraient leur assistance pour tenter de résoudre la crise « par le dialogue ». En vain pour le moment.

1. Le Qatar doit réduire ses relations diplomatiques avec l’Iran et fermer les missions diplomatiques iraniennes sur son territoire. Le commerce et les échanges avec l’Iran doivent respecter les sanctions américaines et internationales, de manière à ne pas menacer la sécurité du Conseil de coopération du Golfe.
2. Le Qatar doit immédiatement fermer la base que la Turquie est en train de construire sur son territoire et mettre un terme à toute coopération militaire avec la Turquie à l’intérieur de l’émirat.
3. Le Qatar doit couper les liens avec toutes les organisations terroristes, sectaires et idéologiques, en particulier avec les Frères musulmans, l’État islamique, Al-Qaïda, Fatah al-Cham (ex-Front al-Nosra), les Chebabs somaliens, AQMI et le Hezbollah libanais. Il doit formellement déclarer que ces entités sont des groupes terroristes, conformément à la liste rendue publique par l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte, et accepter toutes les futures mises à jour de cette liste.
4. Le Qatar doit couper tous les moyens de financement destinés à des individus, groupes et organisations qui ont été considérés comme terroristes par l’Arabie saoudite, Bahreïn, les Émirats arabes unis et l’Égypte, les États-Unis et d’autres pays.
5. La Qatar doit remettre les figures du terrorisme, les fugitifs et individus recherchés, ressortissants de l’Arabie saoudite, de Bahreïn, des Émirats arabes unis et de l’Égypte à leur pays d’origine. Il doit aussi geler leurs biens et fournir toutes les informations requises sur leurs domiciles, mouvements et moyens financiers.
6. Le Qatar doit fermer Al Jazeera et ses stations affiliées.
7. Le Qatar doit cesser toute ingérence dans les affaires intérieures des États souverains, cesser d’offrir sa nationalité à des individus recherchés de nationalité saoudienne, émiratie, bahreinie ou égyptienne. Il doit retirer la citoyenneté qatarie aux personnes dont la naturalisation viole les lois de ces pays.
8. Le Qatar doit verser des réparations financières à ses voisins pour les pertes en vies humaines et les pertes financières provoquées par sa politique ces dernières années. Le montant de ces indemnités sera déterminé en coordination avec le Qatar.
9. Le Qatar doit aligner sa politique sur celle des autres pays arabes du Golfe, tout comme il doit le faire en matière économique, conformément à l’accord conclu en 2014 avec l’Arabie saoudite.
10. Le Qatar doit cesser tout contact avec l’opposition en Arabie saoudite, au royaume de Bahreïn, aux Émirats arabes unis et en Égypte. Il doit communiquer des rapports détaillant les contacts qu’il a déjà entretenus avec des groupes d’opposition dans ces pays et les soutiens qu’il leur a apportés.
11. Le Qatar doit fermer tous les organes d’information qu’il finance directement ou indirectement, y compris Arabi21, Al Araby, Al Jadeed, Mekameleen, Middle east eye, etc.
12. Le Qatar doit communiquer son accord avec ces demandes dans les 10 jours suivant la communication de cette liste.
13. Le Qatar doit accepter un audit mensuel du respect de ces obligations pendant la première année suivant son acceptation, puis un audit trimestriel la deuxième année et des audits mensuels les années suivantes.
« Ces exigences sont déraisonnables et irréalistes », a répondu le Qatar, comme on pouvait s’y attendre. « Cette liste, a ajouté le directeur du bureau de communication gouvernemental, cheikh Saïf ben Ahmed al-Thani, n’est pas destinée à combattre le terrorisme mais à empiéter sur la souveraineté du Qatar et à s’ingérer dans sa politique étrangère. » Elle ne simplifie pas, c’est le moins qu’on puisse dire, la tâche de ceux qui ont proposé leurs bons offices pour résoudre la crise. Et elle place dans une situation diplomatiquement très inconfortable ceux qui entretiennent des liens avec les deux camps. C’est notamment le cas des États-Unis. L’alliance entre Washington et Riyad est historique. Elle a été renforcée encore lors de la visite, le mois dernier, de Donald Trump en Arabie saoudite, au cours de laquelle il a dénoncé le soutien apporté par l’Iran au terrorisme international et appelé la communauté internationale à isoler Téhéran, reprenant l’argumentation utilisée depuis des mois par les dirigeants saoudiens (et israéliens). Récompensé par une commande de plus d’un milliard de dollars d’armes, ce soutien américain a manifestement été interprété par Riyad comme un encouragement américain à punir le Qatar, jugé trop proche de Téhéran.
En raison du soutien qu’il apporte, depuis longtemps aux Frères musulmans, mais aussi en raison des bonnes relations économiques et politiques qu’il entretient avec l’Iran, le petit émirat gazier, qui, depuis les années 1990, entend exploiter ses énormes moyens financiers pour manifester sa présence sur la scène diplomatique internationale, est considéré par Riyad comme un rival et présenté comme un danger pour les pays de la région.
Et cela en dépit du fait que l’islam wahhabite en vigueur à Doha soit aussi rigoureux et médiéval que celui des princes saoudiens. Collant à la position saoudienne, la Maison Blanche a donc estimé, dans un premier temps, que la crise du Golfe était d’abord « une affaire de famille » et encouragé les pays de la région à trouver, entre eux, une porte de sortie. Le nouveau secrétaire d’État Rex Tillerson, ancien patron d’Exxon, donc familier des monarchies pétrolières et de leurs querelles, avait conseillé à l’Arabie saoudite et à ses alliés de préparer une liste de leurs griefs qui soit « raisonnable et acceptable ». Celle qui vient d’être communiquée au Qatar « ne répond pas à ces caractéristiques », a-t-il admis vendredi.
La situation est d’autant plus gênante pour Washington qu’outre leur alliance et leurs relations militaro-commerciales avec Riyad, les États-Unis ont depuis longtemps établi à Bahreïn le QG de leur cinquième flotte, tout en disposant au Qatar – qui a décidé de leur acheter 12 milliards de dollars d’armement – de deux installations stratégiques : le commandement des opérations aériennes contre l’État islamique, installé sur la base de Al-Udeid, et le commandement central pour les opérations américaines en Afghanistan et au Moyen-Orient.
Cette présence dans les deux camps pouvait être un atout, pour jouer les intermédiaires. Elle pourrait, si Riyad et ses alliés maintiennent l’intégralité de leurs exigences, devenir un casse-tête. Paris et Londres, qui ont également des intérêts et/ou des implantations militaires dans les deux camps ne sont pas dans une position beaucoup plus confortable. La crise ne sera résolue, a déclaré le Foreign Office, que lorsque les pays concernés accepteront de discuter de revendications« mesurées et réalistes ». Manière diplomatique britannique d’indiquer que pour Londres, les exigences formulées par l’alliance anti-Qatar ne sont aujourd’hui ni l’un ni l’autre. Paris, qui a reçu la semaine dernière le prince héritier et régent des Émirats arabes unis, semble avoir choisi un silence prudent. L’Élysée se borne à indiquer que le président de la République s’est entretenu mercredi dernier avec les dirigeants qatari, saoudien et iranien, qu’il a appelés à « poursuivre le dialogue ».
Certes, certains des protagonistes, comme le ministre émirati des affaires étrangères, déclarent maintenant que la liste n’était qu’un « document de travail destiné à démarrer la discussion » et accusent le Qatar d’en avoir organisé la « fuite » dans la presse, mais ils indiquent aussi qu’il existe une autre liste contenant notamment les noms de 49 personnes que Riyad et ses alliés souhaitent voir arrêtées et/ou extradées. Aucune issue négociée, en d’autres termes, n’est en vue pour le moment. Et la Turquie, qui juge les demandes adressées au Qatar « déraisonnables » et « contraires au droit international »vient de prendre une initiative qui ne va pas alléger le contentieux régional. Loin de fermer la base dont elle dispose au Qatar, comme l’exige la deuxième condition, Ankara poursuit ses livraisons par avion et par bateau de denrées alimentaires au petit émirat soumis à l’embargo de ses voisins. Et surtout vient de décider de mettre en œuvre l’accord conclu en 2014 avec Doha, qui lui permet de déployer plusieurs milliers de soldats sur sa base au Qatar, en renforçant immédiatement le contingent turc déjà présent sur place.
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