Adam Rayski, décédé le 11 mars 2008
Mort à l'âge de quatre-vingt-quatorze ans, le responsable de la section juive des communistes de la MOI fut un des combattants les plus lucides de la Résistance. Son parcours témoigne d'un humanisme éclairé. Lucien DEGOY, l’a retracé dans un article que l’Humanité publia le 14 mars 2008, quelques jours après sa disparition
« Adam Rayski, modeste héros »
Avec Adam Rayski qu'on enterrait hier après-midi au Père-Lachaise, une grande figure de l'histoire de la Résistance en France vient de disparaître. Une grande figure aussi du communisme et du judaïsme révolutionnaire, dont il épousa très jeune, dans sa Pologne natale, les idéaux respectifs, sachant les réunir d'une manière féconde dès la fin des années 1920. Malgré les soubresauts d'un parcours biographique tourmenté, les déceptions et les coups tragiques portés par l'histoire aux espoirs de sa jeunesse qu'il racontera en particulier dans Nos illusions perdues (1985), l'un de ses livres, Adam Rayski ne renia jamais ni cette riche culture nourrie d'humanisme européen internationaliste ni ses choix politiques fondamentaux qui le conduisirent très tôt à percevoir l'horreur de la barbarie nazie et à l'affronter avec ses camarades juifs communistes dans un combat collectif qu'il savait sans merci.
Exclu du lycée pour activités subversives, il émigre en France
Né le 14 août 1914 à Bialystok, ville industrielle située aux confins de la Biélorussie, dans une famille de commerçants dont certains ont participé à la révolution de 1905, Adam grandit dans l'atmosphère des débats qui traversent la gauche juive, du Bund au communisme, en passant par les sionistes de gauche du Poalei Sion. Il raconte qu'il fut fasciné par la lecture des oeuvres de Boukharine qui lui révéla la « lumière du marxisme ». Il devint rapidement responsable de la « gauche scolaire » puis secrétaire du Komsomol de la ville. Engagements qui lui valent son exclusion du lycée pour activités subversives et de devoir immigrer en France fin 1932 afin de poursuivre des études universitaires.
Parallèlement aux cours de journalisme à la Sorbonne et à l'École libre des sciences politiques, Rayski intègre les organisations de jeunesses juives communistes de la MOI (Main-d'oeuvre immigrée, groupes de langues étrangères qui rassemblent depuis la fin des années 1920 les immigrés au sein d'une commission centrale du Parti communiste).
En janvier 1934, sa « section juive » lance un quotidien en langue yiddish, Naïe presse (Presse nouvelle).
Rayski y est engagé comme journaliste et permanent du Parti. Il travaille en même temps à l'Humanité où il approfondit son métier sous la direction d'André Marty, puis de Paul Vaillant-Couturier, croisant dans les services Aragon, Daniel - Renoult, Gabriel Péri ou Marcel Cachin...
Rayski, qui a vu venir la guerre derrière la montée de l'antisémitisme, accompagne l'entrée dans la clandestinité d'Unzer Wort (Notre parole). En 1940, il rejoint un régiment de l'armée polonaise (alliée de la France) basé à Coëtquidan (Morbihan), il est fait prisonnier au moment de la débâcle, mais s'évade et rentre à Paris le 14 juillet.
Sans illusions sur le régime vichyste, il s'attache à constituer dans la clandestinité des réseaux de solidarité et de soutien aux familles frappées par le statut antijuif et autres mesures de persécution. Il organise déjà la résistance passive.
On le retrouve en 1941 délégué du Parti en zone sud où de nombreux juifs s'étaient repliés depuis l'exode. Il met en place un réseau d'évasion pour les internés des camps de rétention et organise le retour de certains immigrés vers leurs pays d'origine pour y rejoindre la résistance, organise à Marseille, puis à Lyon des réseaux d'information et d'imprimerie clandestins. Après l'invasion de l'URSS par Hitler, il est rappelé à Paris pour prendre la responsabilité nationale de la section juive alors que s'accentuent les persécutions et les exécutions d'otages. Il développe une stratégie de rassemblement et d'information fondée sur le refus de l'isolement de la population juive de l'ensemble de la nation, que poursuivent l'occupant et Vichy. Après les grandes rafles de juillet 1942, auxquelles plusieurs milliers de personnes échappent grâce à l'alerte lancée par la section juive, il contribue à créer le 2e détachement juif qui constituera le fer de lance armé des FTP-MOI. Sous la conduite de Missak Manouchian- , le réseau, ses combattants et ses martyrs seront décimés sur dénonciation à la fin 1943. C'est eux que l'Affiche rouge d'Aragon et Ferré immortalisent.
Rayski, qui recevait les directives d'orientation de Jacques Duclos, supervise les structures de résistance juive adaptées à la diversité de la population : union des femmes, mouvement des jeunes, groupes de résistance par arrondissement, services d'écoute de radio, diffusion de l'information, groupes de sauvetage d'enfants.
Identifié par les services de police, il réussit à passer à travers les mailles du filet.
Dès octobre 1943, les organisations juives de la MOI qui sont passées en zone sud connaissent une montée en puissance exceptionnelle et sont reconnues par tous les autres courants de la vie juive comme partie intégrante de la résistance juive. Cette dernière unifie ses forces en créant le Comité général de défense juif qui servira d'embryon à la fondation, dès janvier 1944, du Conseil représentatif des israélites de France (CRIF) incarnant la communauté d'après-guerre.
Il supervise toutes les structures de résistance juive en france
En 1945, alors que le Parti communiste français décide l'intégration au Parti des organisations des immigrés (excepté l'UJRE qui échappe à la dissolution), Rayski participe à la conférence internationale de New York sur la situation du judaïsme européen.
Il est mandaté pour établir des contacts avec les communistes américains. Il joue un rôle international établissant des relations constantes entre le mouvement communiste français et la gauche israélienne. Ces pourparlers engagent le PCF dans une attitude favorable à la reconnaissance de l'État d'Israël.
En septembre 1949, Rayski repart en Pologne où il occupe un poste de sous-secrétaire d'État à la presse. Ses états de service au sein de la MOI et ses relations avec les organisations sionistes mondiales lui valent la méfiance des services de sécurité proches des Soviétiques. Lors du « printemps polonais » de 1956, il favorise la libéralisation des structures étatiques de la presse, mais il se détache de la politique de Gomulka qui parvient à éviter l'intervention armée soviétique au prix d'un alignement politique sur l'URSS qu'il réprouve. La rupture est consommée et Rayski revient en France en 1957.
En pleine guerre froide, il sera accusé d'espionnage au profit de la Pologne (une vengeance de - Varsovie ?) et condamné en 1962 à sept ans de prison, mais il est libéré en mars 1963 puis amnistié. À sa sortie de prison, Rayski se retire de la vie politique, se consacrant à écrire l'histoire de la Shoah et de la résistance juive, témoignant en toute simplicité auprès des écoliers et des lycéens. Le 21 février 2004, le membre d'honneur du CRIF qu'il était participait encore à la soirée d'hommage aux 23 fusillés communistes du groupe Manouchian au siège de PCF. Un héros modeste ».
Lucien Degoy
(lu sur la page Facebook de Robert Clément)
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