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26 novembre 2016 6 26 /11 /novembre /2016 19:49
Pour «casser la baraque», François Fillon dégaine un projet-gourdin
 PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART

Éclipsé par le duel Sarkozy-Juppé, François Fillon a pris le temps de construire un projet radical. Passage en force dès les premiers mois du quinquennat, fin du système de Sécurité sociale hérité de 1945, réécriture du droit de la filiation, mise en place de « statistiques d’origine » Les journalistes de Mediapart se sont penchés sur le programme coup de massue du nouveau favori de la primaire.

 

Personne ne l’a vu venir. Pendant toute la campagne de la primaire de la droite et du centre, François Fillon est resté dans l’ombre du duel Juppé-Sarkozy, trop rapidement annoncé. Lentement, méthodiquement, l’ancien premier ministre a profité de cette relative tranquillité pour construire un projet présidentiel radical, truffé de mesures ultralibérales économiquement et ultraconservatrices sur les questions de société. Des propositions éclipsées dans le débat public par les « Gaulois » et la « double ration de frites » de Nicolas Sarkozy, mais qui n’ont pas échappé à la frange la plus réactionnaire de l’électorat, laquelle s’est mobilisée en masse au premier tour pour plébisciter son nouveau champion.

Fort de ses 44,1 %, François Fillon s’est dit « fier », lors du dernier débat de la primaire, « d’avoir gagné une bataille idéologique ». « Mon seul regret est d’avoir mis autant de temps à convaincre », a-t-il ajouté. Pour comprendre quelles sont ces propositions qui ont séduit les électeurs de la droite profonde, Mediapart se penche sur les lignes de force du programme de l’ancien premier ministre. Un « programme puissant de transformation du pays », comme il le présente lui-même. Mais qui laisse surtout entrevoir une casse sociale considérable, un choc récessif détonant et un retour en arrière sur les droits accordés aux femmes et aux LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans).

  • Un « choc » libéral et social

C’est sur la radicalité de son programme économique que François Fillon s’est d’abord distingué dans cette campagne. L’ex-premier ministre, qui revendique l’héritage thatchérien, a dégainé avant tous les autres candidats à la primaire un programme ultralibéral, assumant la nécessité d’un « choc » français, comme la Grande-Bretagne ou l’Allemagne en ont déjà connu.

Pour « fluidifier » le marché du travail, il propose la suppression de toute durée légale du travail – en renvoyant la question à des accords d’entreprise (Alain Juppé souhaite pour sa part le retour aux 39 heures) –, un code du travail réduit au strict minimum, la fin des régimes spéciaux et un report à 65 ans de l’âge de départ à la retraite. Pour rompre avec l’« assistanat », François Fillon veut aussi restaurer la dégressivité des allocations chômage et instaurer une allocation sociale unique « pour que les revenus du travail soient toujours supérieurs à ceux de l’assistance ».

Celui qui pense être le seul à proposer un projet capable de « redresser le pays » défend par ailleurs une baisse massive de la fiscalité des entreprises et des plus riches. Il propose de baisser les charges patronales de 40 milliards, ce en quoi il diffère très peu de son adversaire, qui propose une baisse de 35 milliards, avec un allègement de 10 milliards de l’impôt sur les sociétés.

Pour les ménages, rien de bien réjouissant non plus, puisque l’ancien premier ministre souhaite augmenter de deux points le taux de TVA (contre un point pour Alain Juppé). Pour les contribuables les plus riches en revanche, le député de Paris propose, comme son concurrent, la suppression de l’impôt sur la fortune (ISF) et le plafonnement de la taxation des revenus du capital.

Parce qu’il entend malgré tout désendetter le pays, François Fillon promet une purge dans la dépense publique et mise sur 100 milliards d’économie sur le quinquennat. Sa mesure phare : supprimer 500 000 postes de fonctionnaires, quand le maire de Bordeaux évoque au moins 250 000 suppressions. Pour atteindre ce chiffre astronomique – pour mémoire, la douloureuse révision générale des politiques publiques (RGPP) avait supprimé 117 000 emplois en cinq ans –, le député de Paris propose de faire travailler 39 heures les fonctionnaires. Avec quelles compensations ? Mystère.

Pour administrer cette amère potion, l’ancien premier ministre compte bien « passer en force ». « Il y a une surestimation des forces de résistances sociales », expliquait-il début septembre, devant un parterre d’associations libérales. À l'entendre, il faudra donc procéder par ordonnances dès le mois de juillet. « Les organisations syndicales n’ont plus la force pour accomplir les blocages dont elles menacent. Personne ne peut vraiment dire que le pays était bloqué avec la loi El Khomri ! »

 

Pour lui, les syndicats en sont aujourd’hui réduits « à des actions désespérées comme le blocage des dépôts de carburant ». « Nous, on a envoyé la gendarmerie, cela s’est très bien passé [lors des blocages contre la réforme des retraites en 2010 – ndlr]. S’il faut le faire, on le refera ! » avait-il encore lancé lors de cette réunion publique. Pour contourner ces « forces de blocage », François Fillon veut par ailleurs développer le référendum d’entreprise.

La fin des régimes spéciaux devra elle aussi être tranchée par référendum. Parce que, explique-t-il, notre « démocratie est mise au défi du faire », c’est-à-dire condamnée à l’impuissance, le député de Paris veut un « gouvernement commando » de 15 ministres. Une vieille antienne qu’aucun président n’a jamais appliquée. « Le calendrier parlementaire devra permettre l’adoption des principales réformes dans les 100 jours qui suivent l’élection présidentielle. Cette rapidité d’adoption sera rendue possible par le niveau sans précédent de préparation de l’équipe gouvernementale et des textes, les principales réformes étant déjà rédigées sous la forme de projets de loi, voire au niveau de leurs décrets d’applications », écrit-il encore dans son programme.

  • Santé : la fin de la Sécurité sociale

Pour une fois, des candidats à l’élection présidentielle ont parlé santé jeudi soir. Et ce fut l’un des moments les plus saillants du débat de l’entre-deux-tours de la primaire. Alain Juppé a voulu marquer sa « divergence assez profonde » avec son concurrent sur l’avenir de l’assurance maladie : « Moi, je ne toucherai pas au taux de remboursement dont bénéficient aujourd’hui les Français. » François Fillon s’est agacé : « Alors oui, je propose que la Sécurité sociale se concentre sur les risques principaux. Alors tout de suite, la caricature ! » Nulle caricature pourtant, l’ancien premier ministre détaille précisément ses propositions en matière de santé dans un document de seize pages. Et elles reviennent à tourner définitivement la page du système de Sécurité sociale hérité de 1945.

Pour mettre fin aux « déficits récurrents de l’assurance maladie », François Fillon choisit l’option la plus simple : transférer des dépenses de l’assurance maladie vers les complémentaires. L’assurance maladie se verrait recentrée « sur les affections graves ou de longue durée », et les complémentaires sur « le reste, le panier de soins individuel ». N’en déplaise au député de Paris, qui promet aux Français « le juste soin, au meilleur coût », c’est bien le choix le plus coûteux et le plus inégalitaire qu’il fait : les complémentaires ont de lourds frais de gestion, sans comparaison avec l’assurance maladie, et elles segmentent les risques, assurant une bien moindre solidarité entre bien portants et malades, riches et pauvres, jeunes et vieux.

« Responsabiliser les patients » est un leitmotiv à droite. Là encore, François Fillon choisit l’option radicale : le retour en force des franchises. Il veut « introduire une franchise médicale universelle, fonction des revenus dans les limites d’un seuil et d’un plafond ». Ce sont les complémentaires santé qui rembourseront ces franchises. Petite promesse sociale : « Les moins favorisés ne pouvant accéder à l’assurance privée bénéficieront d’un régime spécial de couverture accrue. » Il rompt également avec le mode de financement de la Sécurité sociale, historiquement assis sur les revenus du travail. Décidé à alléger encore la fiscalité des entreprises, il compte basculer « les cotisations maladies patronales vers un mix CSG/TVA ».

 

 

L’hôpital est dans le viseur du candidat, qui prévoit de revenir aux 39 heures… sans aucune précision sur les contreparties financières. Et s’il est resté flou sur les catégories professionnelles visées par sa promesse de suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, il a bien précisé au cours du débat télévisé que cette purge concernerait « les trois fonctions publiques », donc la fonction publique hospitalière.

En apparence, les libéraux sont à la fête. François Fillon comme Alain Juppé prévoient de supprimer le tiers payant généralisé honni, qui doit entrer en vigueur le 1er janvier. L’ancien premier ministre estime que la médecine générale est « face à un risque de paupérisation » (sic), et il promet à tous les médecins libéraux une « juste rémunération ». Un détail cependant : les « soins courants » sont assurés par les libéraux, qu’ils soient médecins, dentistes, pharmaciens ou infirmiers. Ces derniers passeraient donc, inévitablement, de la tutelle de l’assurance maladie à celle des complémentaires. Eux qui sont une cible électorale pour la droite, ont-ils réellement mesuré les conséquences de ce projet de réforme radical ? Depuis jeudi soir, le milieu de la santé s’agite sur les réseaux sociaux.

Dans une interview aux Échos, le porte-parole santé de François Fillon, manifestement affolé, a battu en retraite. La franchise universelle ? « Il est possible que nous renoncions. » Le recul de l’assurance maladie ? L’ancien premier ministre « ne changera peut-être pas le taux actuel de 75 % », a-t-il indiqué. Le “brutal”, l’inflexible candidat recule déjà.
  • Famille et droits des femmes

La famille, c’est l’incantation des chaumières, le hululement des paroisses, le brame des grands cerfs réactionnaires. La famille permet à la vieille droite française de se faire le chantre de ses intérêts et de ses détestations, au nom de l’amour des siens. François Fillon s’y adonne à cœur joie dès sa déclaration de candidature, le 28 août 2016 à Sablé-sur Sarthe, treize jours après la fête mariale revendiquée d’emblée par ce héraut de l’Ouest catholique : « Le 15 août, j’ai célébré l’Assomption à l’abbaye de Solesmes voisine. Depuis plus de mille ans, des moines y observent la règle de saint Benoît. Mille ans d’Histoire ! » Sa harangue se poursuit avec une anaphore de derrière les fagots, « Ma France », par neuf fois répétée, comme pour faire la nique au « Moi président » de François Hollande en 2012, lors du débat télévisé crucial face à Nicolas Sarkozy. En sixième position, l’ancien premier ministre assène : « Ma France doit protéger la famille et ses valeurs. »

 

Puis il donne quelques pistes, usant et abusant de la première personne du singulier : « Je veux que les familles soient placées devant leur responsabilité éducative et sanctionnées quand elles se montrent incapables de faire rentrer leurs enfants le soir à la maison et de les envoyer le matin à l’école. Je veux la liberté pour les parents de choisir l’école de leurs enfants. Je défendrai la liberté scolaire en permettant la création de nouvelles écoles privées à condition qu’elles respectent nos valeurs communes. »

Apprécions tout ce qu’implique ce « à condition qu’elles respectent nos valeurs communes » : cherchez l'islam ! Et le postulant à la primaire de la droite et du centre d’enchaîner :

« Le redressement national passe aussi par la famille dont le rôle est fondamental pour la cohésion sociale et pour la transmission des valeurs. Je remettrai la famille au cœur de notre projet politique. Je proposerai l’abrogation de la mise sous condition de ressources des allocations familiales. Je demanderai au Parlement de réécrire le droit de la filiation afin de protéger les droits de l’enfant. »

Deux mois plus tard, en pleine ascension, le candidat Fillon, dans une épître aux évêques de France (24 octobre 2016), rajoute une couche de familialisme exacerbé : « Pour reconstruire notre contrat social, je crois à la famille. Elle est le premier cercle de nos solidarités, de nos tendresses, elle est au cœur de mon projet politique. La physionomie des familles françaises a évolué avec le temps. Le mariage pour tous a été voté. J’y étais hostile mais j’ai toujours indiqué que le législateur ne pourrait revenir là-dessus au risque de diviser à nouveau la société française. En revanche, je propose de réécrire le droit de la filiation pour figer le principe selon lequel un enfant est toujours le fruit d’un père et d’une mère. De ce principe découlent des conséquences : réserver l’adoption plénière aux couples hétérosexuels, limiter strictement l’accès à la PMA aux couples hétérosexuels stériles et interdire la GPA qui est une instrumentalisation inadmissible du corps des femmes. Il serait à l’honneur de la France de s’engager pour l’interdiction universelle des mères porteuses. »

Le programme de François Fillon s’engage donc à réécrire la loi Taubira (qu’entend maintenir Alain Juppé) en mettant fin à l’adoption plénière pour les couples de même sexe. Voilà un thème ayant mobilisé les catholiques pratiquants (qui sont également de bons pratiquants électoraux ; ils se rendent volontiers aux urnes, les flatter s’avère payant !), dans la mesure où, pour citer Koz, un thuriféraire de François Fillon sur les réseaux sociaux, l’adoption plénière « pose le problème majeur en ce qu’elle abolit la réalité et ancre l’enfant dans une filiation totalement fictive ».

Une telle normalisation n’est pas surprenante pour un homme ayant voté contre la dépénalisation de l’homosexualité (1982), contre le Pacs (1999) et contre le mariage pour tous (2013). Un tel ordre moral s’accompagne, chez François Fillon, de compensations sonnantes et trébuchantes – toujours au nom des grands principes. Les riches familles nombreuses bénéficieront d’avantages fiscaux non négligeables.

Il y a le relèvement du plafond du quotient familial à 3 000 euros. Celui-ci était passé, dès l’été 2012, de 2 336 euros par demi-part à 2 000 euros ; puis à 1 500 euros l’année suivante. Plus les revenus sont importants, plus s’avère substantielle la suppression de la gratification octroyée aux familles nombreuses. Le coût de rabot ôte un bénéfice supplémentaire aux plus aisés. Cela relève de la justice sociale. Traduction dans le programme de François Fillon : le relèvement à 3 000 euros doit « mettre fin à la surimposition dont ont été victimes depuis 4 ans les classes moyennes et tout particulièrement les familles nombreuses ». Renversons la perspective : M. Fillon entend abroger une mesure socialiste, qui visait à augmenter l’effort contributif des familles nombreuses aisées en restreignant leurs possibilités de se soustraire à l’impôt…

La réforme la plus symptomatique de François Fillon (non proposée par Alain Juppé) consiste à supprimer la modulation des allocations familiales en fonction des revenus, comme c’est le cas depuis juillet 2015. Le montant des “allocs”, pour une famille de deux enfants par exemple, a depuis lors été divisé par deux pour un foyer fiscal dépassant les 6 000 euros mensuels et par quatre au-delà de 8 000 euros. Ces subventions, Fillon régnant, devraient être à nouveau uniformes (donc injustes), au nom d’une belle appellation dévoyée : « L’universalité. » Les allocations redeviendraient ainsi ce qu'elles n'auraient jamais dû cesser d'être pour la droite effrénée : permettre aux familles pauvres de joindre les deux bouts et aux familles riches de mettre encore davantage de beurre dans les épinards.

L’Insee, dans son étude parue le 22 novembre 2016, France, portrait social, écrit ceci : « Par rapport à une situation où elles n’auraient pas été mises en œuvre, les nouvelles mesures sociales et fiscales intervenues en 2015 diminuent légèrement le niveau de vie des 30 % des ménages les plus aisés en augmentant, légèrement aussi, celui du reste de la population et plus particulièrement des 10 % les plus modestes. » Cet infime rééquilibrage est insupportable à la droite irrémédiable, qui se drape dans les valeurs familiales.

Demeure une interrogation lourde de sens pour l’avenir. François Fillon (qui a voté l’abolition de la peine de mort en 1981) s’inscrit-il dans la lignée du personnalisme chrétien (« La famille est à la fois instinct et raison, puisqu’elle est la rencontre de la vie biologique, de la vie sociale et de la vie spirituelle », écrivait ainsi Jean Lacroix, longtemps philosophe attitré du Monde d’Hubert Beuve-Méry, dans son ouvrage de 1948, Force et faiblesse de la famille) ?

Ou alors François Fillon, qui a reçu le soutien du fâcheux Jean-Frédéric Poisson au nom de la défense des valeurs familiales, retrouve-t-il une certaine veine maurrassienne considérant la famille comme l'un des garants (avec la corporation et la paroisse) d’une société d’ordre à même d'incarner le « pays réel » (par opposition au « pays légal », c’est-à-dire la République) ?… À titre indicatif, à Sablé-sur-Sarthe, le 28 août dernier, le candidat lâchait dans son discours aux accents refondateurs : « Non, la France n’est pas née en 1789 et elle n’est pas passée de l’ombre à la lumière en 1981 ! »

En ce qui concerne l’avortement, l’ancien premier ministre répète à qui veut l’entendre que tout, dans son for intérieur, y répugne – signal on ne peut plus clair par les temps qui courent. Le candidat précise cependant, quand on l’y oblige, qu’il se veut et se montrera respectueux de la loi Veil votée en 1975. Poussé dans ses retranchements, il n’hésite pas à s’en laver les mains : « Je suis un homme, je ne suis pas une femme, a-t-il lâché lors du débat du 24 novembre. Je n’ai donc pas à prendre ce genre de décisions. »

Avec une telle façon de s’exonérer en ravalant l’avortement à une question qui relèverait des « personnes du sexe » (comme on dit dans la bonne bourgeoisie de province), François Fillon se fait le truchement d’une régression qui nous ramène quasiment un demi-siècle en arrière. En 1967, quand le gaulliste Lucien Neuwirth, qui défendait une loi, controversée à droite, sur la contraception, était allé parler de la pilule à l’Élysée avec le général-président, celui-ci avait laissé tomber, dans un grognement patriarcal : « Voyez cela avec ma femme… »

 

 

 

  • Éducation : retour vers le passé

François Fillon a été ministre de l’éducation nationale entre mars 2004 et mai 2005. Il ne se prive pas de le rappeler. Pour lui, il faut faire table rase du passé et détricoter ce que le gouvernement actuel a mis en place en la matière. Le vainqueur de la primaire de la droite et du centre doit pourtant endosser les réalisations pas franchement glorieuses du quinquennat Sarkozy, dont il a été le premier ministre de 2007 à 2012. La purge de 80 000 postes dans l’enseignement a lourdement entaché son bilan. Pourtant, le député de Paris n'entend pas faire le moindre mea culpa et préconise au contraire de continuer sur cette lancée. Il a annoncé la suppression de 500 000 fonctionnaires.

Difficile d’imaginer que l’institution scolaire, qui compte en son sein un peu plus de 800 000 enseignants, passerait entre les gouttes. De toute façon, François Fillon considère que l’école est déjà suffisamment dotée – il s’agit du premier budget de la nation – et qu’il n’y pas besoin d’y injecter des crédits supplémentaires, mais d’engager de profondes réformes. « Notre enseignement scolaire n’est donc pas malade d’un manque de moyens », assène-t-il dans sa feuille de route en huit pages pour l’éducation.

Sur le plan pédagogique, rien de novateur. Le programme exhale la naphtaline. L’uniforme pourra être instauré. Sans surprise, le vainqueur du premier tour de la primaire reprend les vieilles antiennes de la droite et pourfend comme il se doit la « caste de pédagogues prétentieux », coupable à ses yeux d’avoir insufflé son idéologie dans les couloirs du ministère et détruit l’école à cause de « l’égalitarisme promu par la gauche ». 

Pour contrer leur influence, l’idée phare de l’ancien premier ministre, aux forts relents de IIIe République, consiste à « réécrire les programmes d’Histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national ». Ceci devant redonner aux enfants « la confiance dans notre patrie ». Cette tâche incomberait à « trois académiciens ». Qu’importe si une telle perspective va à l’encontre du travail scientifique des historiens, qui ne bâtissent pas une histoire mais se fondent sur des faits. 

Dans cette lignée de l’ordre et de la morale à tout crin, les pleins pouvoirs seront donnés aux chefs d’établissement. Chacun aura plus d’autonomie pour casser un système que « le centralisme excessif étouffe », comme il l’a expliqué dans cette interview au Point, le 24 novembre. Ainsi un chef d’établissement aura-t-il la possibilité de recruter lui-même les enseignants, de leur octroyer une promotion et de choisir ses élèves. Du jamais vu dans le système actuel.

Les enseignants devront être également plus présents et auront en contrepartie un traitement revalorisé grâce, notamment, à une prime au mérite. Des enseignants qui seront tenus de consacrer 75 % du temps d’apprentissage de leurs élèves à enseigner les fondamentaux : « Lecture, calcul, écriture, grandes dates et grands personnages de l’histoire de la Nation, géographie de la France et des régions. » L’obtention du brevet sera une condition sine qua non pour entrer au lycée. Le bac sera réformé et réduit à quatre épreuves « plus solides ». La gestion des filières professionnelles sera confiée aux régions.

Pour l’enseignement supérieur, François Fillon veut octroyer plus d’autonomie aux universités et plaide en faveur de la sélection à l’entrée du master, déjà en cours de mise en place par le gouvernement… Il n’oublie pas, dans sa conquête du pouvoir, de donner des gages à l’électorat catholique. Président de la République, l’ancien premier ministre reviendrait sur la limitation de 20 % d’écoles privées sous contrat. De manière générale, les familles devraient s’impliquer dans la vie scolaire et être associées aux grandes décisions au sein de chaque établissement. Bien sûr, hors de question de laisser à l’école le monopole de l’éducation. En bon père de famille, il explique que ceci sera mis en œuvre « sans contrevenir au rôle essentiel des parents dans la transmission de valeurs morales à leurs enfants ».

  • La laïcité à l’épreuve de la chrétienté

C’est l’un des points qui différencient le plus François Fillon d’Alain Juppé. Souhaitant, comme il l’avait indiqué en septembre au Journal du Dimanche, « interdire toute forme de prosélytisme à l’intérieur de l’espace public », l’ancien premier ministre plaide pour légiférer sur l’interdiction du burkini, contrairement au maire de Bordeaux, qui entend résister « à la tentation d’exiger des lois de circonstance au fil des polémiques médiatiques ».

Ce dernier veut créer un code de la laïcité « qui rassemblera les règles non négociables qui s’imposent à tous et à toutes les religions, pour donner des bases fermes à ceux qui font appliquer la laïcité au quotidien ». Il envisage également l’instauration d’un « délit d’entrave à la laïcité dans les services publics ». En outre, les deux hommes se sont tous deux démarqués de Nicolas Sarkozy en s’exprimant en faveur des repas de substitution dans les cantines scolaires et du droit au port du voile dans les universités.

Dans son livre, Vaincre le terrorisme islamique (Éd. Albin Michel), François Fillon cible directement l’islam. « Arrêtons de faire semblant. Non, il n’y a pas un problème religieux en France. Oui, il y a un problème lié à l’islam », écrit-il. La France est « menacée dans son identité par un ennemi dont le crime est la prière », affirme-t-il dès les premières pages. Avant d’ajouter : « Nous avons fini par céder sur les valeurs qui sont les nôtres, nous avons pactisé et nous avons cédé. »

 

Pour régler le « problème », il souhaite créer « une instance de concertation entre l’État et l’Islam en France », qui soit différente du Conseil français du culte musulman (CFCM) mis en place en 2007 par Nicolas Sarkozy, là où le maire de Bordeaux propose « un conseil national des cultes » pour « conclure un accord entre la République et l’islam de France ». Tous deux entendent mettre fin au financement des lieux de culte par des fonds étrangers, mais l’ancien premier ministre se distingue de son adversaire en refusant de recourir à de l’argent public, estimant que « les musulmans sont suffisamment nombreux en France pour financer leur culte ».

Comme tous les autres candidats à la primaire, François Fillon s’est gargarisé de laïcité durant toute la campagne, en l’envisageant sous le seul prisme du culte musulman. Invitant le pape François dans les débats, celui qui revendique haut et fort sa foi catholique dans le livre Faire (Éd. Albin Michel) a également cosigné une tribuneintitulée « Crèches de Noël, une victoire française », dans laquelle le sénateur de Vendée Bruno Retailleau et lui se félicitent de la décision du Conseil d’État d’autoriser les crèches dans les mairies, à condition qu’elles n’aient qu’« un caractère culturel et festif ».

  • Immigration et « statistiques d’origine »
  • En matière d’immigration, François Fillon veut « rompre avec le laxisme » du gouvernement socialiste. Il propose de faire inscrire dans la Constitution le principe selon lequel « l’immigration dépend de la capacité d’accueil et d’intégration de la France ». Comme Alain Juppé, il souhaite que le Parlement fixe chaque année le nombre de personnes maximum susceptibles d’être « accueillies ». L’ancien premier ministre veut également autoriser les « statistiques d’origine » pour permettre « de fixer un cadre à notre politique migratoire ». Une sélection par origine qui paraît constitutionnellement difficile à faire passer.

    En outre, il ambitionne également de supprimer l’aide médicale d’État (AME) – qui permet aux étrangers en situation irrégulière d’accéder aux soins –, pour la remplacer par une « dispense de frais de santé » ne concernant que les maladies contagieuses et les situations d’urgence.

  • Une justice du tout-carcéral
  • Exit la loi Taubira. Après avoir bataillé en vain au Parlement contre le texte de l’ancienne garde des Sceaux, François Fillon se propose aujourd’hui d’en retirer les mesures qui en font la substantifique moelle. Comme Alain Juppé, l’ancien premier ministre entend réintroduire les peines planchers, ces peines minimales instaurées en 2007 pour les personnes en situation de récidive légale et, en 2011, pour les auteurs de certains délits de violences aggravées.

  •  

    Pour « redonner du sens à la peine », le candidat propose de supprimer la contrainte pénale, alternative à l’incarcération promue par Taubira, dont Jean-Jacques Urvoas, son successeur place Vendôme, avait déjà souligné en juin le peu d’utilité. Il souhaite également « rétablir le caractère automatique des révocations de sursis » et « supprimer l’automaticité des réductions de peine ». Et en attendant l’incarcération, il plaide pour la mise en place de « sanctions rapidement exécutables »comme « la suspension des aides sociales » et l’« interdiction de séjour ou du territoire national ».

    Les trois credo de François Fillon en matière de justice : simple, indépendante, efficace. L’ancien premier ministre veut garantir « l’impartialité et l’indépendance des juges du siège », laquelle indépendance est en réalité déjà garantie, contrairement à celle du parquet, dont il ne dit rien, sinon qu’il considère le « maintien d’un lien organique avec le pouvoir exécutif » comme une « exigence ». L’impartialité dont parle le député de Paris se résume surtout à une réforme en profondeur du Conseil supérieur de la magistrature (CSM), dont il regrette les « prises de positions politiques ». Le « mur des cons » n’a visiblement toujours pas été digéré.

    Pour le reste, Fillon ne dit pas grand-chose de la réinsertion, mais souhaite en revanche augmenter la durée de l’incarcération. Là où Alain Juppé ambitionne la construction de 10 000 places de prison, l’ancien premier ministre pousse le curseur d’un cran supplémentaire en avançant le chiffre de 16 000 places.

    • Environnement

    C’est tout un symbole : l’image illustrant le volet « environnement » du projet de François Fillon ressemble à la couverture d’un dossier de presse d’EDF. Gros plans sur des lignes à haute tension, tour aéroréfrigérante de réacteur nucléaire derrière un champ de colza, parc éolien en arrière-plan, panneaux photovoltaïques dans un coin. Tout pour produire et transporter l’électricité, rien pour la réduire.

    Au fil des douze pages de son programme, les mots choisis plantent un imaginaire productiviste. La baisse de la demande d’énergie n’est pas mentionnée, alors que l’innovation et le progrès scientifique sont des objectifs affichés. Le principe de précaution est contesté (car il « sert de prétexte à l’inaction ») au profit du principe de responsabilité – qui n’est pas défini. Les énergies « non carbonées », incluant le nucléaire, sont citées plus souvent que les renouvelables (éoliennes, photovoltaïques, hydrauliques…).

     

    Contrairement à Nicolas Sarkozy, l’ancien premier ministre revendique le bilan du Grenelle de l’environnement (en l’enjolivant au passage). L’aéroport de Notre-Dame-des-Landes n’est pas évoqué, mais est-ce nécessaire ? François Fillon a signé la déclaration d’utilité publique du projet en 2008 et en est donc l’un des principaux décisionnaires. En meeting, il ne manque jamais une occasion de dénoncer les « hors-la-loi » qui occupent le terrain, pour mieux aider son fidèle Bruno Retailleau, président du conseil régional des Pays de la Loire.

    Concrètement, des dizaines de mesures sont proposées. Elles s’articulent autour d’une vision pronucléaire, pro-EDF et économiquement libérale. Fillon président : plus d’objectif de réduction de la part du nucléaire dans la production de l’électricité, fin de l’arrêt de la centrale de Fessenheim, allongement de la durée de vie des réacteurs à 60 ans (comme le réclame EDF). Mais rien n’est dit sur l’avenir de l’EPR en construction à Flamanville. L’ancien premier ministre veut supprimer le tarif d’achat des renouvelables, système qui garantit aux producteurs d’énergie un prix de vente sur plusieurs années, ainsi que le mécanisme de la contribution au service public de l’électricité (CSPE) qui le finance.

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    En échange, il propose d’allouer les montants économisés au financement de la rénovation énergétique des bâtiments (mais sans préciser comment). Il dit aussi vouloir fixer à 30 euros minimum le prix de la tonne de CO2 en Europe, mais sans qu’on comprenne très bien si c’est par une réforme du marché européen du carbone (jusqu’ici en échec) ou par une taxe continentale (impossible car elle requiert le vote unanime des États de l’Union).

     

     

     

Le choc néolibéral qu’il appelle de ses vœux se manifeste par son projet de mise en concurrence de la SNCF sur les réseaux ferroviaires, supposée améliorer la compétitivité du ferroutage, alors que le réseau ferré souffre depuis des années d’un sous-investissement destructeur. À l’inverse, le candidat à la primaire ne dit rien de l’écotaxe poids lourds, pourtant votée alors qu’il occupait Matignon. Il annonce par ailleurs un programme de simplification administrative (suppression de normes, regroupement des procédures d’autorisation…).

Surprise, une revendication des écologistes figure dans le programme de François Fillon : l’objectif de 0 % d’électricité d’origine fossile en France. Cela mettrait un coup d’arrêt aux centrales à gaz, en difficultés économiques depuis plusieurs années, mais dont certaines unités sont en cours de construction, comme le projet de Poweo Direct Énergie à Landivisiau, en Bretagne.

  • Europe

Alain Juppé et François Fillon promettent tous deux une Europe « moins bureaucratique », un retour de l’influence française à Bruxelles (sans dire comment ils s’y prendraient, avec un Front national très représenté au Parlement de Strasbourg) ou encore une « Europe de la sécurité et de la défense », en réponse, notamment, au risque terroriste.

Sur la méthode à emprunter pour « refonder l’Europe », ils ont un temps divergé. Au lendemain de la victoire du Brexit, l’ancien premier ministre avait défendu la tenue d’un référendum, non pas sur l’appartenance de la France à l’Union européenne, mais sur des traités européens renégociés (comme le proposait aussi Bruno Le Maire). Mais le député de Paris, qui a voté contre le traité de Maastricht en 1992, semble avoir mis ce projet de côté : il n’en parle plus. Le maire de Bordeaux s’est toujours opposé, quant à lui, à la tenue d’un référendum sur l’Europe, qui serait à ses yeux « totalement irresponsable ». 

Sur l’euro, sujet cher au FN, qui veut s’en débarrasser, les candidats en appellent tous deux à des réformes qui renforceraient la zone euro. Pour Fillon, il s’agit de doter la zone euro d’une structure politique, présidée par l’un des chefs de gouvernement des 19 (à l’heure actuelle, c’est « seulement » le ministre des finances de l’un des pays de la zone euro qui dirige l’Eurogroupe). Il parle également d’un « secrétariat général de la zone euro complètement autonome de la commission, qui assumera le suivi de la gestion de la zone économique ».

Son projet semble donc d’inspiration davantage intergouvernementale (donner du pouvoir aux États, à Bruxelles) que celui d’Alain Juppé, qui compte parmi ses fervents soutiens à Bruxelles le fédéraliste Alain Lamassoure (en clair : renforcer les institutions communautaires, dont la commission, pour favoriser l’intégration économique de la zone euro). Le maire de Bordeaux veut « organiser la convergence, notamment fiscale, entre les économies de la zone ». 

Quant aux négociations commerciales, du CETA (avec le Canada) au TAFTA (avec les États-Unis), les candidats sont restés plutôt discrets. François Fillon promet de « refuser de signer le traité transatlantique en l’état car il est beaucoup trop déséquilibré » (ce qui est exactement la position actuelle du gouvernement français), tandis qu’Alain Juppé laisse entendre qu’il partage cette position, à demi-mot, lorsqu’il réclame des « accords négociés dans des conditions transparentes ».

Enfin, les programmes sur l’Europe ne disent pas un mot d’une éventuelle taxe sur les transactions financières à l’échelle de la zone euro, vieux serpent de mer défendu par Paris et Berlin. Les négociations sur ce sujet semblent enlisées dans la capitale belge, et la victoire de LR à la présidentielle française pourrait bien tuer définitivement le projet.

  • Le double jeu avec la Russie
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  • Ce fut, en mai 2012, un coup de téléphone. Vladimir Poutine était le premier dirigeant étranger à appeler François Fillon après la défaite présidentielle de Nicolas Sarkozy : un signe d’amitié pour celui qui allait quitter Matignon et avec qui Poutine avait construit des relations étroites. De 2008 à 2012, les deux hommes étaient tous les deux premier ministre – la présidence russe était alors occupée par Dmitri Medvedev – et se rencontraient souvent. François Fillon a signé de très nombreux contrats à Moscou, dans l’aéronautique, l’automobile mais aussi les navires Mistral, etc.
  • Mercredi, Vladimir Poutine a aussi été le premier et seul dirigeant étranger à se livrer à un éloge d’un Fillon décrit comme un « grand professionnel » qui « se distingue fortement des hommes politiques de la planète ». Le décrivant comme « ferme »,« réservé », « négociateur ardu », le président russe décidait ainsi, par cette démarche tout à fait inhabituelle pour le Kremlin, de donner son imprimatur et son soutien à la candidature de François Fillon.

    Car depuis l’élection aux États-Unis de Donald Trump, le régime russe jubile. Le voilà au centre du jeu mondial, reconnu soudain comme un acteur essentiel voire prépondérant, tous les analystes disséquant désormais les succès de ce nouveau softpower (pouvoir d’influence) russe, bâti avec l’aide d’une intense machine à propagande construite au niveau mondial.

    Est-ce si certain ? La Russie demeure un pays en pleine crise économique, frappé de plein fouet par les sanctions décidées par l’Union européenne au lendemain de l’annexion de la Crimée, au printemps 2014, fragilisé par l’effondrement des prix du pétrole et des matières premières. Et le raidissement de plus en plus manifeste du régime sur la scène intérieure dit aussi la crainte de voir surgir des révoltes sociales qui menaceraient la réélection de Poutine en 2018.

    Cerné par les difficultés, Vladimir Poutine peut donc se dire qu’une installation de François Fillon à l’Élysée lui redonnerait quelques marges de manœuvre face à une Europe qui vient de décider de reconduire les sanctions à son encontre, et alors que les relations avec l’Allemagne et Angela Merkel se sont fortement dégradées.

  • Voilà pour le jeu russe. François Fillon a lui aussi beaucoup joué de cette relation supposée au beau fixe avec les dirigeants de Moscou. Cela a d’abord été un moyen de se démarquer de ses concurrents, Nicolas Sarlozy et surtout Alain Juppé. Cela lui a ensuite servi à revendiquer une lignée – celle du gaullisme et de son « Europe de l’Atlantique à l’Oural » – et un positionnement : un « souverainisme » revendiqué, contre la politique étrangère de François Hollande alignée sur celle des États-Unis.

    Mais sur cette affaire, les masques devraient rapidement tomber. Certes, depuis quinze ans, Fillon a toujours plaidé pour une relation de « dialogue équilibré » avec Moscou. Mais ce fut aussi la position constante d’Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères de Lionel Jospin (1997-2002), et également celle de Jacques Chirac. Rien de nouveau, donc : Fillon ne faisait que reprendre à son compte les grands fondamentaux de la politique étrangère française.

    Tout a changé avec l’Ukraine puis la Syrie, deux guerres dont la Russie a décidé de devenir un acteur clé. On connaît la suite : une rupture avec l’Union européenne. Les relations avec le Royaume-Uni étaient déjà exécrables ; elles le deviennent avec tous les pays d’Europe centrale, Pologne en tête. Elles se dégradent fortement avec l’Allemagne. Elles se tendent avec la France, qui n’est pas un acteur de premier plan pour le régime russe.

    C’est l’occasion que saisit François Fillon pour se démarquer brutalement de la politique française et prendre le parti de la Russie. Jusqu’où ? François Fillon se voit en de Gaulle. Mais ne joue-t-il pas seulement au président moldave ou bulgare ?

  • Dans ces deux pays, les candidats, qui viennent d’être élus à la mi-novembre, ont fait à grand bruit une campagne pro-russe, vantant le régime Poutine et sa place nouvelle dans le jeu international. Aussitôt élus, ils ont pris leurs distances et sont vite retournés vers l’Europe, ses budgets et ses protections… « Le président ne peut pas être pro-russe ou pro-européen, le président doit être pro-moldave », déclarait, au lendemain de son élection, Igor Dodon, surnommé « le Trump moldave », tout en précisant aussitôt qu’il était hors de question de mettre en cause « le partenariat stratégique avec l’Union européenne ».

    Le quasi-poutinisme affiché par François Fillon dans cette campagne a ainsi ses limites. Il lui a permis de draguer large à la droite de la droite et dans quelques recoins souverainistes et anti-atlantistes. Il lui a permis de s’assurer les soutiens de quelques parlementaires habitués des voyages en Crimée annexée (Thierry Mariani, Jacques Myard) et des réseaux d’affaires russes. Il lui a permis d’approfondir les liens noués en Russie, en particulier avec l’aide précieuse de deux hommes qui furent ses conseillers à Matignon, Jean de Boishue et Igor Mitrofanoff, tous deux descendants de Russes blancs, russophiles convaincus et hommes de réseaux à Moscou.

  • Mais la russophilie de Fillon n’apparaît guère compatible avec ce qu’il affiche comme étant sa priorité en politique étrangère et politique européenne : reconstruire la relation avec l’Allemagne, relancer ce couple qui s’ignore désormais et remodeler l’Europe par un nouveau levier franco-allemand. Or l’Allemagne est aujourd’hui le principal problème de Moscou. Ce que François Fillon semble également ignorer est la dynamique propre au régime russe. Au pouvoir depuis dix-sept ans, Vladimir Poutine, s’il est réélu en 2018 – ce que tout laisse présager –, le demeurera jusqu’en 2024 ! Poutine le Vojd – le Guide –, Poutine le Tsar, ayant effacé tout concurrent et contre-pouvoir en son pays, est devenu un « objet politique » largement incontrôlé et imprévisible, donc inquiétant. Au-delà d’opportunistes postures gaulliennes, François Fillon, s’il ne le sait déjà, le découvrira très vite.

  • Syrie : le choix du camp de Bachar al-Assad

Sur la Syrie, François Fillon a adopté une rhétorique très proche de celle du régime de Damas. S’impose ainsi selon lui la nécessité d’un choix entre, d’un côté, le président syrien Bachar al-Assad et de l’autre, Daech. « Quand on est en guerre, on doit choisir son principal adversaire, écrit François Fillon dans Vaincre le totalitarisme islamique. De Gaulle, pendant la Seconde Guerre mondiale, avait choisi : l’adversaire, c’était Hitler et il n’a pas hésité à s’allier avec les Russes pour le combattre. » Pour vaincre l’État islamique (EI), l’ancien premier ministre prône le même rapprochement. « Il faut s’attaquer à ce mal, il faut le faire avec les Russes, il faut le faire avec les Iraniens, il faut le faire avec tous ceux qui sont prêts à nous aider à le réaliser », arguait-il lors du premier débat entre les candidats, le 13 octobre.

  • Quand on l’interroge sur les raids aériens russo-syriens contre les secteurs d’Alep-Est sous contrôle rebelle, qui ont fait plus de 500 morts et 2 000 blessés depuis le 22 septembre, selon l’ONU, il botte en touche et refuse de parler de « crimes de guerre ». « Il ne faut pas utiliser des mots comme ça, sans pouvoir vérifier », a-t-il affirmé, le 27 octobre, dans « L’Émission politique », sur France 2. La veille, des frappes aériennes sur une école située dans la province d’Idlib (nord-ouest de la Syrie) avaient tué 22 enfants et 6 enseignants, selon l’Unicef.

    François Fillon veut en finir avec « les postures morales », le « politiquement correct » et l’« angélisme ». « Il y a deux camps en Syrie et non pas trois comme on le dit, assurait-il encore le 13 octobre. Le camp de ceux qui veulent mettre en place ce régime totalitaire islamique que j’évoquais tout à l’heure. Et puis, il y a les autres. Moi, je choisis les autres parce que je considère que ce danger-là est trop grave pour la paix mondiale et qu’il nécessite aujourd’hui que nous nous alliions à des gens que nous n’aimons pas ou dont nous n’approuvons pas l’organisation politique et économique. » En d’autres termes : il faut s’allier à Vladimir Poutine et à Bachar al-Assad pour lutter contre l’EI.

    En écartant les rebelles syriens et en proposant une telle alliance, l’ancien premier ministre entérine le fait que les bombardements d’Alep relèveraient de la lutte contre le « totalitarisme islamique ». Et enterre un peu rapidement les conclusions de l’émissaire de l’ONU pour la Syrie, Staffan de Mistura, qui estimait début octobre que sur les quelque 8 000 combattants de la rébellion à Alep, seuls 900 appartiennent à l’ancienne branche syrienne d’Al-Qaïda, le Front Fateh Al-Cham (anciennement Front Al-Nosra, qui a renoncé cet été à son allégeance à l’organisation d’al-Zawhari). Et se demandait si la présence de ces 900 combattants n’offrait pas à Moscou et Damas un « alibi facile »pour détruire la ville.

     

  • À aucun moment, François Fillon ne prend en compte le fait que la rébellion anti-Assad lutte elle aussi contre l’EI. À Alep, Idlib, Deraa, dans la Ghouta orientale près de Damas, à Hama, Daech a été chassé par la rébellion que François Fillon ignore, quand le régime syrien, lui, pactisait avec l’État islamique pour gagner un peu de répit et maintenir ses positions. De même, un autre chiffre semble échapper à François Fillon : selon le think thank Institute for the study of war, 91 % des frappes russes ne visent pas Daech, mais bien la rébellion… Soutenir les bombardements russes ne mettra pas fin à Daech, mais contribuera encore davantage à renforcer les antagonismes et à prolonger une guerre civile qui dure depuis bientôt six ans. François Fillon et ses conseillers oublient aussi comment ce régime syrien a joué des années durant avec le djihadisme, comment il s’en est servi et comment il en a parfois favorisé l’émergence, avant et après le début de la révolution syrienne.

    Membre de l’équipe de campagne, Thierry Mariani, député LR (ex-UMP) des Français de l’étranger, vice-président du groupe d’amitié France-Russie à l’Assemblée et coprésident de l’association Dialogue franco-russe, s’était pourtant rendu à Damas au printemps dernier, en compagnie de quatre autres députés de l’opposition, dont deux soutiens de Fillon (Valérie Boyer, sa porte-parole, et Nicolas Dhuicq, député de l’Aube). Ensemble, ils avaient rencontré Bachar al-Assad et étaient rentrés en France pour vanter l’intervention russe en Syrie.

  • Cette position, en parfaite contradiction avec celle du gouvernement français, les députés Dhuicq et Mariani l’avaient déjà défendue en novembre 2015, lors d’un précédent voyage à Damas organisé par SOS Chrétiens d’Orient, association créée il y a deux ans et qui se présente comme apolitique mais compte dans ses rangs nombre de figures issues de l’extrême droite. Ses méthodes et son efficacité sont par ailleurs très controversées.

    « Même si elle s’en défend, c’est une association proche des milieux d’extrême droite puisque les deux fondateurs sont d’anciens attachés parlementaires du Front national, précise à Mediapart le père Gollnisch, directeur de l’ONG L’Œuvre d’Orient, fondée il y a 160 ans. Ils se sont fait connaître en envoyant des jeunes Français sur le terrain, de manière parfois imprudente : on n’emmène pas des jeunes en Syrie, un pays en pleine guerre civile, dans des cars de tourisme, comme le fait cette association ! SOS Chrétiens d’Orient entretient par ailleurs des liens avec le régime syrien qui ne sont pas sans poser question. Les chrétiens d’Orient ne doivent pas être ainsi instrumentalisés politiquement. »

    L’ancien premier ministre a fait du soutien aux chrétiens d’Orient l’un de ses marqueurs de campagne. « Bachar al-Assad est soutenu par beaucoup de chrétiens d’Orient, qui considèrent que l’arrivée des sunnites en Syrie serait soit le cercueil, soit la valise », a-t-il encore précisé sur le plateau de « L’Émission politique ». Cette position est pourtant aussi erronée que dangereuse pour les chrétiens d’Orient eux-mêmes. Depuis le début de la guerre, Assad lui-même emploie cette rhétorique et se pose en protecteur des minorités, en particulier des chrétiens. À l’inverse, quarante ans de règne démontrent l’antagonisme constitutif du régime des Assad avec ces mêmes minorités. Estimés à 15 % de la population syrienne en 1970, année où Hafez al-Assad, le père de l'actuel président, a pris le pouvoir, les chrétiens n’en représentent plus que 4 % aujourd’hui.

  • « Dans ce type de régime et d’oppression, les chrétiens comme les musulmans n’ont pas leur place, et ceux qui ont les moyens de partir quittent la Syrie, affirme le chercheur Ziad Majed. Du fait de leur niveau d’éducation un peu supérieur et leur meilleure relation aux langues étrangères, mais aussi en raison de leur plus grande facilité à obtenir des visas, les chrétiens quittent la Syrie. Et cette dynamique a commencé bien avant le début de la guerre en 2011. Assad n’a jamais été un garant pour les minorités. Au contraire, il les a fait fuir. » De 1978 à 2000, Hafez al-Assad n’a par ailleurs eu de cesse de marginaliser les forces politiques chrétiennes libanaises.

 

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