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13 septembre 2016 2 13 /09 /septembre /2016 18:57
Macron rattrapé par son bilan à Bercy

13 SEPTEMBRE 2016 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX

Alstom à Belfort, mais aussi Ecopla en Isère… L’ancien ministre de l’économie, qui a lancé son mouvement en vue de la présidentielle et aimerait parler d’autre chose que d’économie, est pour l’instant contraint de rendre des comptes sur son action à Bercy.

« Emmanuel Macron nous a laissés crever. » Lundi 12 septembre, leur valise à la main, le délégué CGT Christophe Chevalier et quelques-uns de ses 77 collègues, soutenus par le journaliste et activiste François Ruffin, sont venus demander des comptes à Emmanuel Macron devant la tour Montparnasse, là où l’ancien ministre de l’économie, qui a quitté le gouvernement le 30 août en vue de la présidentielle, a installé les locaux de son nouveau mouvement, En Marche !

À court de trésorerie, abandonnée par son principal actionnaire, le multi-millionnaire australien Jerry Ren, leur société, Ecopla, seul fabricant français de barquettes en aluminium pour l’industrie agroalimentaire, installée à Saint-Vincent-de-Mercuze (Isère), a été cédée cet été par le tribunal de commerce de Grenoble.

L’acheteur, un groupe italien, ne s’intéresse qu’aux machines et ne reprendra aucun salarié. « Un gâchis industriel, humain et financier », déplore l’expert-comptable du comité d’entreprise, Michel Lemoine, qui dénonce la « stratégie de pillage de fonds »menée ces dernières années par les différents actionnaires. « Le passif de la société est constitué essentiellement de dettes de l’État, abonde Meryem Ylmaz, de l’Union régionale des Scop et Scic d'Auvergne Rhône-Alpes. En face, il y a un tour de table de 2,3 millions d’euros pour un projet industriel de coopérative viable qui permettrait de reprendre d’abord 20, puis 50 personnes. »

Les salariés, qui alertent les pouvoirs publics depuis un an et demi sur la gestion erratique de leur dernier actionnaire – finalement, il est parti sans laisser d’adresse –, en veulent particulièrement à Emmanuel Macron, nommé à Bercy en août 2014. Ils lui reprochent de ne pas avoir agi assez tôt pour éviter la disparition d’une entreprise au savoir-faire unique, alors même qu’ils portent depuis longtemps un projet alternatif. « Macron aurait pu nous sauver mais il ne s’est pas intéressé au dossier. Il n’a pas fait son boulot. Tout ça est de sa faute », déplore Christophe Chevalier, qui s’étonne que l’ancien ministre n’ait jamais reçu les salariés, malgré une « trentaine de courriers »envoyés par les élus locaux, départementaux et régionaux, tous bords politiques confondus. Le député PS de l’Isère Pierre Ribeaud, qui dit « avoir accumulé une correspondance assez impressionnante sur le sujet », assure que « des choses ont été faites » par Bercy, mais affirme que « le cabinet de Macron n’a pas pris le temps de rassurer les salariés et les élus ». Diplomatique, il déplore « une absence de prise de conscience ». « Macron nous a juste écrit un jour avant sa démission », remarque le syndicaliste Christophe Chevalier, qui y voit surtout un signe de désinvolture. Dans cette lettre, que nous avons consultée, l'encore ministre se dit « parfaitement informé de la situation » de l’entreprise, mais s’en tient à des propos très généraux. Lundi, l’ancien ministre a accepté de recevoir une délégation d’Ecopla dans ses locaux de la tour Montparnasse. « Emmanuel Macron a fait une sorte de mea culpa, explique son ancien directeur de cabinet à Bercy, Alexis Kohler, qui l’a rejoint au sein du mouvement “En Marche !”. Il y a bien eu un travail pour faire pression sur l’actionnaire, pour retarder l’entrée en liquidation de l’entreprise et pour encourager le projet de Scop, mais il n’y a pas eu assez d’information envers les salariés. » Lundi, les salariés ont aussi été reçus à Bercy par la secrétaire d'État en charge du commerce, Martine Pinville, et plusieurs conseillers. La fin de l’aventure industrielle Ecopla, ancienne usine du groupe Pechiney, pourrait être confirmée en appel le 5 octobre. Candidat possible à la présidentielle, Emmanuel Macron entendait profiter de cette rentrée pour densifier son propos et s’exprimer sur d’autres sujets que l’économie, comme par exemple la réponse au terrorisme ou la sélection à l’université, comme il l’a fait récemment devant les présidents d’université. Le voilà dans l’immédiat contraint de rendre des comptes sur son bilan à Bercy.

Il est particulièrement attendu au tournant dans le dossier de l’usine ferroviaire Alstom de Belfort. Le groupe a annoncé que cette usine, poumon économique de Belfort depuis le XIXe siècle, qui a notamment vu naître le TGV, va cesser son activité en 2018 (elle compte 450 salariés et presque autant de sous-traitants).

Emmanuel Macron a dénoncé dans L’Est Républicain une décision « soudaine, brutale et condamnable », contraire aux engagements pris. Depuis plusieurs jours, l’ancien ministre de l’économie est pourtant au centre de toutes les critiques. En visite à Belfort le 28 mai 2015, Macron avait promis aux ouvriers de « défend[re] » leur activité,« stratégique pour la France. […] Nous nous battons pour qu’il n’y ait pas de plan social ni de licenciements, mais au contraire des perspectives de redémarrage ». L’Élysée, qui a convoqué lundi une réunion de crise et entend maintenir l'activité, pointe l’inaction supposée de l’ancien secrétaire général de l’Élysée, accusé d’avoir trahi François Hollande pour jouer sa propre partition. « La vérité, c’est qu’il avait levé le pied depuis un an », l’éreinte dans Le Monde son successeur, Michel Sapin, un intime de François Hollande.

« Laisser-faire » ou « volontarisme lucide » ?

Ce week-end, lors des journées d’été des frondeurs à La Rochelle, son prédécesseur, Arnaud Montebourg, a lui aussi mené la charge. « Je me souviens que, dans le salon vert du palais de l'Élysée, le secrétaire général adjoint du même palais avait déclaré lorsque j'avais demandé 20 % du capital d'Alstom pour l'État : nous ne sommes quand même pas au Venezuela ! » a lancé Montebourg.

« Me succédant dans les fonctions de ministre de l'économie, il avait la charge d'utiliser ces 20 %, et ces deux hauts fonctionnaires qui siègent au conseil d'administration d'Alstom, pour dire et faire en sorte que l'équipe de France du ferroviaire – la SNCF, Alstom, la RATP – se serre les coudes. » Sous-entendu : Emmanuel Macron n’a pas usé du pouvoir d’influence dont l’État actionnaire disposait. Une « faute très grave », selon Montebourg, pour qui Macron a « incarné à Bercy » « l’excès de laisser-faire ». À droite, Nicolas Sarkozy y est lui aussi allé de son couplet : « Il est parti. Il n'a rien fait, c'est désolant. »

« Sur ce dossier, il est resté mobilisé en continu. Il a refusé un plan social proposé par la direction et a travaillé à lancer des projets pour apporter de la charge, notamment via la commande publique », explique son ancien directeur de cabinet, Alexis Kohler. Emmanuel Macron assure avoir tout fait pour « éviter un plan social et des licenciements », en mettant « la pression sur Alstom » ou en « soutenant les projets à l’exportation ». « J’ai eu, régulièrement, au cours de mes fonctions de ministre, des relations avec les dirigeants d’Alstom. J’ai eu des échanges avec eux encore en juillet dernier, et il n’était absolument pas question de fermer Belfort. Ce n’était pas un sujet de discussion », s’est-il défendu, plaidant la surprise.

Une fois nommé à Bercy, l’ancien ministre s’est toutefois privé de plusieurs moyens d’influencer les décisions stratégiques du groupe Alstom, surtout lors du rachat par le groupe américain General Electric de ses activités énergie – il a notamment refusé de se servir d’un décret, adopté en mai 2014, permettant à l’État de s’opposer à une prise de contrôle d’une entreprise française par un groupe étranger. Il a également donné à General Electric un avantage décisif dans les coentreprises détenues par les deux groupes. Porte-parole autoproclamé de ce qu’il appelle la « gauche du réel » (tout en prônant le dépassement du clivage gauche-droite), Emmanuel Macron plaide, selon son entourage, un « volontarisme lucide » en matière d’intervention de l’État dans l’économie. « Les reproches qu’on lui fait sont injustes et faux, commente Benjamin Griveaux, un de ses porte-parole. Il y a une volonté de caricaturer ses propos et ses actions. Rien ne laisse penser dans ce qu’il a fait qu’il prône l’abandon en rase campagne de l’État. Il prône un État régulateur, intelligent, à l’initiative et en soutien. » Ses partisans répètent que Macron n'est pas un Alain Madelin réincarné, surtout lorsque des secteurs stratégiques sont en jeu. Ils disent aussi qu'il n'aime pas les situations de monopoles, trouve inopportun de s'acharner quand des filières industrielles ne sont pas viables, et pense que l'État n'a pas systématiquement toutes les réponses dans le cas de dossiers difficiles. Dimanche dernier, sur France Inter, lors de sa première émission de rentrée, Emmanuel Macron avait déjà été interpellé par Christophe Chevalier, le syndicaliste d’Ecopla. Dans sa réponse, l’ancien ministre a reconnu qu’il y avait parfois « des échecs : en France vous avez aussi une liberté d’entreprendre et un droit de propriété, et vous avez parfois des actionnaires cyniques qui décident de ne pas totalement aider une entreprise. […] Donc oui, il y a des limites à l’action publique, je n’ai jamais menti aux gens en leur promettant monts et merveilles en disant qu’on allait pouvoir tout arrêter, parce qu’il y a des actionnaires qui, parfois, n’ont plus de projet pour l’entreprise, veulent juste sa fin, avec un cynisme qui est réel et qu’on ne peut pas bloquer ». Nicolas Demorand, l’animateur de l’émission « Questions Politiques », lui a reproché de théoriser une forme d’« impuissance ». Un très proche d'Emmanuel Macron, qui réclame l'anonymat, dit ne pas être « surpris qu’Emmanuel Macron [soit] attaqué. C’est la rançon du succès de sa visibilité, une réaction d’un système qui se sent fragilisé par son émergence et lui cherche querelle sur son bilan ». L’ancien ministre « a un vrai bilan à Bercy en matière de politique industrielle et saura le faire valoir », assure l’équipe d'En Marche ! Au cours des prochains mois, elle devra pourtant faire avec son image. À cause de son bilan (la fameuse loi Macron), de son passé de banquier d’affaires chez Rothschild, de sa ligne très favorable aux entreprises, de ses soutiens patronaux ou de certaines sorties malheureuses (par exemple celle sur les salariées « illettrées » de l’abattoir breton Gad), Emmanuel Macron incarne le « laisser-faire » dans un pays où l’action de l’État en matière industrielle est souvent attendue. Attente évidemment décuplée à l’approche d’une campagne présidentielle, où tout sujet industriel peut devenir inflammable.

En 2002, le candidat socialiste Lionel Jospin avait expliqué qu’en matière industrielle,« l’État ne peut pas tout ». « Cette formule avait été dure pour lui », a admis Macron sur France Inter. Tout en laissant comprendre qu’il est au fond assez d’accord. « On infantilise les Français. […] Le rôle des responsables politiques, ce n’est pas de démontrer en toute circonstance des capacités, des protections que parfois ils n’ont plus. On ne leur dit pas la vérité : vous avez parfois des changements profonds qui dépassent la capacité que vous avez à y répondre. Vous avez des transformations environnementales, numériques, industrielles, qui ne correspondent plus à la réponse que vous pouvez y apporter. » Dans les prochaines semaines, l'ancien ministre, désormais émancipé, aura tout loisir de confronter ce credo à la réalité des attentes des électeurs.

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