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10 février 2011 4 10 /02 /février /2011 09:29

La semaine dernière, au commissariat central d'Orléans, Nicolas Sarkozy retrouvait avec délectation les thèmes d'intervention qui lui ont permis depuis 2005 de montrer ses beaux petits muscles de superflic prêt, comme son ami Vladimir Poutine, à aller « butter des terroristes (ou des criminels) jusque dans les chiottes », et à mettre de mauvais juges trop laxistes au pilori pour satisfaire l'exigence de fermeté et de tolérance zéro de la population angoissée par les progrès de la criminalité et de la délinquance.

La jeune Laëtitia Perrais avait semble-t-il été violée et tuée sauvagement quelques jours avant en Loire-Atlantique par un récidiviste, Tony Peilhon: quelle aubaine pour notre président qui doit faire beaucoup de bruit pour nous faire oublier l'affaire Woerth-Bettencourt, l'affaire de Karachi, l'affaire du jet privé affrété pour Alliot-Marie en Tunisie par un protégé du régime de Ben Ali ou des vacances mirobolantes de Fillon en Egypte dictatoriale à la veille de l'insurrection démocratique! Sarkozy promit comme à son habitude des « sanctions exemplaires » pour les juges et policiers qui avaient relâchés bien imprudemment ce « monstre » qu'il eût été plus sage, vraisemblablement, d'étrangler tout de suite sans autre forme de procès, car les « monstres » sont intrinsèquement et définitivement dangereux, nuisibles et inhumains.

 

On a dans ce discours indigne un concentré des pseudo-évidences crypto-fascistes que Nicolas Sarkozy assène depuis qu'il a assuré sa mue de ministre du budget mielleux et sournois de Nicolas Balladur en homme providentiel capable de rassurer les masses en rompant avec une vieille tradition de naïveté humaniste et libérale du législateur et de l'institution judiciaire. Il y a des hommes qui naissent déviants ou criminels en puissance, c'est dans leurs gènes. La prise en compte de la souffrance des victimes et de la nécessité de défendre la société exigent qu'on ne s'embarrasse pas à considérer uniquement l'individualité du cas jugé, les doutes sur la culpabilité du prévenu, sur sa responsabilité ou son statut de malade incapable de dominer ses pulsions destructrices: il faut enfermer à vie les récidivistes les plus dangereux, faire de la dangerosité un motif d'incarcération valable au-delà des actes effectivement commis... Surtout, il faut en finir avec la culture de l'impunité de l'institution judiciaire, la confronter à une obligation de résultat, évaluée non à partir de la justice des jugements mais de la pacification de la société: dès que des crimes odieux seront commis, ce sera la faute de l'indulgence coupable des juges, boucs émissaires idéaux car peu aimés des français et considérés comme faisant partie d'un corps privilégié et corporatiste coupé de la société, ou la faute des lois, qu'il faudra durcir à nouveau pour abolir le crime: juger les mineurs comme les adultes, les détraqués mentaux comme les personnes saines d'esprit, alourdir les peines, les rendre incompressibles...

A nourrir ainsi depuis presque dix ans, par intérêt électoral et peut-être aussi par conviction, la défiance vis à vis des juges et des garanties légales des libertés individuelles telle que la présomption d'innocence dans le fonctionnement de la justice républicaine, Nicolas Sarkozy et sa clique de courtisans sont parvenus à susciter un écœurement quasi universel dans la profession judiciaire, qui se traduit par les renvois d'audiences non urgentes non les tribunaux d'instance depuis une semaine et par le mouvement de grève interprofessionnel extrêmement bien suivi qui paralysera tous les tribunaux ce jeudi 20 février 2011.

 

Les magistrats n'en peuvent plus de ces réformes et de ces effets d'annonce spectaculaires qui s'enchaînent depuis 2007 et qui tendent à durcir l'arsenal répressif et à bafouer l'indépendance de la justice.

Pendant qu'il dépénalisait le droit des affaires et permettait à des voyous comme Bernard Tapie de s'enrichir sur le dos du contribuable en bénéficiant d'une procédure d'exception, Sarkozy ne voyait pas plus d'indécence à profiter de l'émotion suscitée par l'affaire des innocents salis d'Outreau pour supprimer le juge d'instruction. Le juge d'instruction, chargé des affaires judiciaires les plus graves, dont des affaires de corruption politico-financière, a en effet le tort d'être un magistrat du siège, indépendant du parquet contrôlé par le ministère de la justice et l'exécutif. En lui ôtant son pouvoir d'enquête à charge et à décharge grâce au rappel opportun des dérives inquisitrices d'un juge d'instruction isolé dans l'affaire d'Outreau, Sarkozy voulait se donner une justice aux ordres, ne cherchant pas trop de noises au pouvoir. Fort heureusement, grâce à la fronde de la profession judiciaire, ce projet de réforme a été ajourné. Une autre limitation de l'autonomie des juges, cependant, a été portée par la loi Dati du 10 août 2007 instaurant des peines planchers automatiques pour les récidivistes.

La dernière loi sécuritaire en date qui inquiète les hommes de lois attachés aux valeurs républicaines et les citoyens soucieux de la préservation de leurs libertés est le fourre-tout législatif Loppsi 2, qui cible en priorité les populations pauvres et précarisées, les jeunes, les militants et les internautes et traduit la volonté décomplexée de la majorité parlementaire de droite de mener la guerre des classes à visage découvert. Loppsi 2 prévoit la possibilité d'expulser en 48h et sans contrôle du juge les occupants d'habitat hors norme (tente, caravane, mobile home, yourte, bidonville, camion ou voiture aménagé), que ces habitats se situent dans l'espace privé ou public, et que leurs habitants soient contraints par leur précarité et la cherté des logements à ce mode de vie ou en désir de vivre hors des sentiers battus. On « accentue ainsi la gestion purement sécuritaire des exclus du système tout en prohibant des modes de vie réfractaires au système », comme le formule avec à propos un tract de la Confédération Nationale du Travail (CNT). Loppsi 2 prévoit aussi d'intensifier les contrôles pour les bénéficiaires de prestations sociales et de forcer les travailleurs sociaux à faire de la délation. Un couvre-feu pourrait être installé dans les communautés urbaines pour les mineurs de moins de 13 ans. Les personnes condamnées par la justice ne pourraient bénéficier d'un droit à l'oubli: le fichage judiciaire serait à vie. La vidéo-surveillance pourra se généraliser et être utilisée comme un outil policier de détection en temps réel, notamment lors des manifs, et les dispositifs de contrôle policier d'internet seront renforcés. Plus grave encore sans doute, Loppsi 2, alignant ainsi la France sur les expériences américaines et anglaises, donne un cadre juridique légitimant la multiplication des entreprises de sécurité privées et prévoit la création d'une réserve civile de la police nationale ouverte au citoyen lambda: tout un chacun pourra ainsi patrouiller avec la police, porter une arme, et effectuer des missions de police judiciaire. C'est l'installation, comme le dit avec à propos un article de Médiapart, de la « police low-cost ».

 

Pendant que l'arsenal répressif s'enrichit de nouveaux délits, d'un alourdissement des peines, d'outils de contrôle et de privatisation de la sécurité, qui enlèvent un peu plus de contenu à nos libertés démocratiques dans une période charnière où le système capitaliste creuse les inégalités et les tensions sociales comme jamais depuis l'après-guerre mondiale et a besoin, plus sans doute qu'auparavant, d'une législation pénale et d'une police mis au service de la perpétuation de l'ordre social inégalitaire, on ne donne pas à la justice les moyens de faire son travail de service public dans l'intérêt de la société, des victimes et des prévenus.

Alors que l'activité de la justice, du fait du durcissement de la crise sociale, du renforcement des lois répressives et de la pression exercée sur les agents de police et de gendarmerie au nom de la logique des résultats et de la politique du chiffre a sensiblement grandi de 2002 à 2008, augmentant d'ailleurs le nombre de gardes à vue abusives, le nombre d'affaires civiles a augmenté de 58% et les décisions en matière pénale de 10% (chiffres du « Livre Blanc de la Justice en France », publié par l'Union du Syndicat de la Magistrature à l'automne 2010).  Rapportée à ces chiffres, la très légère augmentation de 0,8% du budget de la justice entre 2006 et 2008 est très en deça des enjeux et des besoins (à titre d'exemple, pendant ce temps là, le budget de la justice était augmenté de plus 20% en Espagne).

La France ne consacre que 0,19% de son PIB au financement de la justice (le budget de la justice est de 7,128 milliards d'euros et se situait à un niveau déjà très insuffisant du temps où les socialistes avait le pouvoir), ce qui la place au 37ème rang européen! La proportion de juges professionnels pour 100000 habitants n'est par exemple que de 9,1 contre 20,6 en moyenne dans les pays de l'Europe: on comprend dès lors, au-delà de la volonté démagogique de jouer l'intransigeance supposée du peuple contre le laxisme présumé des magistrats, pourquoi Sarkozy veut confier à des jurys populaires, et non plus à des magistrats professionnels, les procès en correctionnelle...

Et si, malgré tout, notre pays garde avec quatre ou cinq autres l'avantage de proposer un service de justice gratuit au citoyen, victime ou accusé, les coupes claires dans le budget de l'Etat se traduisent par un allongement des délais d'attente, une multiplication des affaires non traitées ou mal traitées, un allongement de la durée de détention préventive avant procès, une baisse des moyens consacrées à la rétribution d'interprètes et de psychiatres pour garantir des procès équitables à tous, ou des moyens affectés à la réinsertion des délinquants, à l'amélioration des conditions de détention pour faire diminuer les risques de récidive. C'est cet étranglement financier de la justice, davantage sans doute que l'étourderie ou l'indifférence aux victimes des magistrats, qui explique la sordide affaire Tony Meilhon.

 

Se faire juger rapidement dans des conditions équitables quels que soient nos ressources est un droit que la société doit accorder à tous, tout comme la société a le devoir de mobiliser des moyens de police et de justice efficaces pour préserver la sécurité des citoyens, arrêter et punir les délinquants et les criminels en prenant en compte de manière équilibrée des critères de jugement républicains (le droit pour le citoyen de vivre en sécurité, sa liberté et ses biens protégés par la collectivité en échange de son propre civisme, la nécessité de réparer pour toute désobéissance aux lois collectivement édictées) et moraux (le droit des victimes d'obtenir réparation et la possibilité pour chacun de se réformer, de s'amender, après avoir payé sa faute). Tout cela suppose que la société soit prête à consacrer de réels moyens financiers pour rendre la justice réellement juste, efficace et humaine. Or, comment de pas s'indigner de ce point de vue de l'état tragique de délabrement, de surpopulation, de climat de non-droit et de violence qui règne dans les prisons, qui, même s'il est régulièrement rappelé par les commissions de parlementaires, les associations de défenses des droits de l'homme et des droits des prisonniers, les journalistes, ne s'accompagne d'aucun volontarisme politique pour réfléchir au moyen de trouver des alternatives à la prison pour ceux qui en sortent plus dangereux ou malades et pour créer un vaste plan de construction, de rénovation, d'humanisation des prisons françaises, sachant qu'en 2007, elle accueillait 58000 prisonniers pour des capacités d'accueil de 50000 places.

 

Il est temps de permettre au citoyen de s'approprier cette question de l'avenir de la justice en ouvrant un grand débat public sans arrière-pensée de récupération électorale!  

 

Ismaël Dupont.

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