Dans l'éditorial du jour au titre limpide "Un système pervers", Hubert Coudurier, le patron du Télégramme dénonce le supposé probable recul du gouvernement par rapport à la réforme du régime des intermittents du spectacle, et achève sa diatribe contre le mouvement forcement "corporatiste" et "égoïste" des intermittents, au nom du respect de la sagesse des syndicats (en réalité, en fait de syndicat, il s'agit du MEDEF), en accusant le système de protection sociale de l'intermittence d'être rien moins que responsable de la "précarité" des professionnels (sous-entendu: livrés à la seule loi du marché, seuls les meilleurs subsisteraient, et vivraient bien de leur art) et à "une certaine médiocrité que déserte le public".
Monsieur Coudurier est très certainement en connaisseur en matière de grand art et de grande culture. Il a dû aussi voyager et réaliser que la France est le ou l'un des tous premiers pays du monde en terme de réseau de salles de spectacles et de théâtre, de festivals, d'arts dans la rue, le financement public et le système de protection des intermittents du spectacle permettant le développement de créations partiellement indépendantes des contraintes du marché et de la profitabilité marchande. Bien sûr, certains à droite, les héritiers des hommes opulents et réjouis que l'on retrouvait dans les Salons académiques ou les théâtres bourgeois du XIXe, considèrent que l'art qui vaut est l'art vendable et vendu, le succès marchand étant l'équivalent de la sélection naturelle des meilleurs gènes dans l'évolution des espèces.
En réalité, la culture, et son autonomie par rapport aux considérations purement commerciales, est d'intérêt public: c'est un moyen de construire, de chercher du sens, d'éveiller les intelligences, de mettre un peu de beauté dans nos vies, d'émanciper les esprits. La presse et les médias, leur indépendance par rapport aux pouvoirs financiers, sont aussi d'intérêt public, justifiant au même titre un financement public, dans la mesure où une démocratie vivante et bien portante passe par l'éducation et l'information pluraliste des citoyens. A ce titre, on peut noter que Monsieur Coudurier, si prompt à dénoncer les privilèges de l'"art entretenu" et des intermittents, fait surnager son entreprise commerciale médiatique grâce à des aides d'Etat à la presse et au portage, des subventions publiques à Tébéo ... Financements publics dont les Vendeurs Livreurs Colporteurs du Télégramme ne voient pas la colère avec leurs revenus du misère.
Il est normal que la presse soit aidée pour ne pas dépendre que de la publicité et du désir d'asseoir une influence politique et économique des millionnaires - et Dieu sait si elle en dépend malgré tout- tout comme il est logique de soutenir la création culturelle indépendante par de l'argent public, sans quoi il n'y aurait plus rien en dehors de la culture élististe, académique, et de la culture de masse modelée par les exigences du mauvais goût capitaliste.
Le soutien public à la culture, la protection sociale des acteurs du monde de la culture et des artistes, est une cause première de la vitalité culturelle exceptionnelle de la France, qui fait une part de son attrait touristique, de son prestige, et surtout qui nourrit la qualité de vie des habitants dans les territoires, car la culture procure des émotions, de la joie, crée du lien social, embellit la vie.
D'ailleurs, le dossier du Télégramme de ce mercredi 18 juin est plus nuancé que l'édito de Coudurier: les intermittents ne sont pas des privilégiés. Leur salaire médian est de 13.700 euros par an, contre 18.400 euros pour un salarié du privé. C'est la passion qui anime la plupart des intermittents et des articles, par l'ambition de vivre au crochet de la protection sociale et l'appétit du gain.
Seuls 43% des intermittents bénéficient d'au moins une journée d'indemnisation chômage par an. Les heures des intermittents ne sont souvent pas décomptées au réel. L'allongement du délai de carence pour le paiement des allocations va conduire une partie non négligeable des intermittents à perdre presque un mois de revenu par an.
L'article d'Hervé Queillé montre bien que des abus viennent surtout des sociétés de l'audiovisuel qui préfèrent embaucher des intermittents pour limiter leurs charges plutôt que des salariés titulaires. Que la fragilisation des intermittents s'explique aussi par la baisse du budget de la culture et des possibilités pour les collectivités de subventionner des spectacles.
Comment marche le régime des intermittents? Ils doivent travailler 507 heures sur 10 mois (techniciens) ou 10 mois et demi (artistes) pour toucher des allocations chômage pendant 8 mois (qui peuvent être lissées et fragmentées en périodes alternant travail et indeminisation). Avant 2003, les 507 heures devaient être effectuées sur un an.
Le résultat de la régression de la Réforme 2003, qui serait encore aggraver aujourd'hui, Ronan, un accadordéoniste de musique bretonne interviewé dans ce dossier du Télégramme, l'exprime: " En fait, on galère depuis 2003... Depuis qu'on est passé au régime de 507 heures en dix mois. C'est constamment la course aux cachets. Et c'est d'autant moins facile aujourd'hui, que la fameuse austérité dont on nous rabat les oreilles à longeur de journée a pour conséquence, peut-être, de soulager le budget de l'Etat (et encore pas sûr) mais surtout de réduire nos possibilités de travailler. La réduction drastique du budget de la Culture et des subventions qui en découlent pour le spectacle vivant a des conséquences dramatiques. Qu'on fasse du rock ou de la musique traditionnelle, c'est pareil: en ce moment, en Bretagne, il n'y a pas de boulot"...
Un sonorisateur finistérien ajoute, interrogé lui aussi par le Télégramme : "Ce qui est particulièrement dur à avaler, c'est qu'on nous fait passer pour des privilégiés. Il faut savoir que nos cotisations avaient déjà fortement augmenté en 2003. Là, on va passer de 10,8% à 13,3% contre 6,4% pour le régime général. Quant à proposer un plafond cumul salaires-allocation à plus de 4000 euros, ça nous fait rire: personne ne gagne une telle somme en Bretagne. Et puis, on en a marre d'entendre qu'on coûte trop cher: un euro investi dans la culture, c'est quatre euros générés dans l'économie locale. Mais on voit bien où le patronat et le gouvernement veulent en venir. Le but, c'est de faire mourir le régime des intermittents à petit feu. Et à terme, sans doute, le système de couverture sociale pour l'ensemble des salariés. C'est idéologique avant tout". "Déjà que c'était difficile de s'en sortir. Là, ça va être de plus en plus dur de tenir et d'exercer nos métiers. L'austérité, c'est toujours pour les mêmes: les petits".
Voilà qui est bien résumé, Lolo. Merci aux journalistes du Télégramme de laisser s'exprimer ces voix du peuple à côté de celle du Patron.
I.D
Communiqué du 16 juin 2014 publié le 18 juin 2014
Le Mouvement BREST POUR LA CULTURE appelle à un rassemblement citoyen
LE SAMEDI 21 JUIN à 17h00 - PLACE DE LA LIBERTE à BREST
Cela fait maintenant plus de deux mois que le Mouvement Brest pour la Culture dénonce l’accord signé le 22 mars par les partenaires sociaux sur la nouvelle convention de l’assurance-chômage et pointe les graves dangers qui pèsent sur l'avenir du spectacle vivant .
Cette nouvelle convention entérine de nouveaux reculs pour l’ensemble des chômeurs, précaires, intérimaires, intermittents, mais aussi pour l'ensemble des structures et des collectivités locales en charge des politiques publiques. Les nouvelles mesures de cette convention auront pour conséquence d’augmenter la précarité dans ce secteur.
Le mouvement réclame au ministre du travail, François Rebsamen, de suspendre la procédure d’agrément de l’accord du 22 mars et de remettre les partenaires sociaux autour de la table. Il demande de nouvelles négociations qui tiennent compte des propositions pertinentes, justes, adaptées et plus économiques élaborées par le Comité de suivi qui y travaille depuis 10 ans.
Le combat des professionnels du spectacle contre la nouvelle convention Unedic de leur régime d’assurance chômage recouvre un triple enjeu : la conception du travail, la place de la culture, le respect des principes démocratiques .
SOYONS NOMBREUX AU RASSEMBLEMENT BREST POUR LA CULTURE LE 21 JUIN A 17H.
POUR UNE FETE DE LA MUSIQUE JOYEUSE, SOLIDAIRE ET MILI
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