Etre éditorialiste politique du quotidien payant le plus lu de France, Ouest France, vous donne certaines obligations: ne pas insulter l'intelligence des lecteurs, respecter leurs diversités d'opinion et ne pas prendre le ton du bon pasteur qui ramène au bercail ses moutons égarés en prenant les électeurs pour des insensés en puissance qu'il faut à tout prix dissuader de voter pour une gauche de transformation sociale irresponsable et calamiteuse.
La plaisanterie avait pris un tour dantesque il y a un mois lorsque Michel Urvoy signait un tonitruant éditorial ayant pour titre un ovni rhétorique juxtaposant les figures de rhétorique contraires, pléonasme et oxymore: "Social de gauche, social de droite". L'éditorial commençait par faire une concession au bon peuple en colère en utilisant des catégories inoffensives pour le capital et teintées de paternalisme compassionnel pour désigner les précaires, ses victimes: "L'attention portée aux plus fragiles-les agriculteurs hier, les handicapés avant-hier, les femmes demain- et les débats acharnés sur l'ISF ou le RSA le montrent: la présidentielle se jouera en partie sur la justice sociale et l'équité fiscale".
Mais, attention à se garder de toute préconisation démagogique (en d'autres temps, on aurait dire "démocratiques") qui conduirait à alourdir les impôts pour réduire les inégalités, aboie aussitôt Urvoy pour nous remettre dans le droit chemin. "La droite, dit-il, rappelle très justement que l'on n'a jamais consacré une telle part de la richesse- près d'un tiers, un record dans l'OCDE, à la solidarité". Mais n'est-ce pas les victimes de la mondialisation libérale et du capitalisme financier, des licenciements boursiers, des délocalisations, de la désindustrialisation, du désinvestissement scolaire, de la précarisation des contrats de travail, du temps partiel imposé, des bas salaires, qui peuvent se maintenir avec peine à flot grâce à l'impôt et aux cotisations sociales dont les classes moyennes paient la plus grande part?
Après ces précisions utiles visant à montrer que la France sarkozyste reste un Etat socialiste avancé qui ne pourrait avancer plus loin dans ce sens sans aller à sa ruine et se rapprocher de la Corée du Nord, Urvoy enchaîne par un morceau choisi des "Idées politiques pour les nuls" : il y a "deux conceptions de la justice sociale: pour la droite, c'est plutôt aide-toi et l'Etat t'aidera à t'intégrer par le travail; pour la gauche, globalement, la collectivité doit t'assister au maximum".
Mais attention, le principe de réalité s'applique aussi à gauche: trop socialiser, trop ponctionner de richesses privées et de produits de l'activité économique, nous dit cet agent de la fabrique du consentement qu'est Urvoy - un parmi tant d'autres voix autorisées des médias, d'autant plus dangereux qu'il se dit de gauche - c'est se condamner à réduire la taille du gateau à partager: "Dépenser plus et alourdir la dette serait une catastrophe. Taxer et imposer davantage serait suicidaire pour la consommation et pour l'avenir du "made in France" dans le monde. Il faut doncx répartir autrement les recettes et les dépenses".
En somme, pour reprendre une expression de notre camarade Alain David, le débat est bien bordé.
Hier encore, en première page du Ouest France du 29 juin 2011, Michel Urvoy profitait d'un commentaire sur la déclaration de candidature de Martine Aubry pour commettre un nouvel éditorial de rappel à l'ordre, commençant par un satisfecit à l'encontre d'une nouvelle candidate à laquelle il préférait il y a quelques semaines Dominique Strauss-Khan, l'incarnation d'un prétendu réalisme économique "de gauche": "Raisonnable dans ses promesses- "tout ne sera pas possible tout de suite" - elle intègre la crise et évite tout propos qui viendrait dégrader la notation de la France".
Où va t-on si les socialistes ne se contentent plus maintenant, après avoir versé des larmes sur la dureté du capitalisme à gouvernance libérale et la précarisation du grand nombre avant de se résoudre après coup à l'inaction et aux politiques vertueuses et réalistes de privatisation et de réduction des impôts et des dépenses publiques pour ne pas mettre en danger les fragiles équilibres qui président à la compétitivité de l'économie et à la croissance, où va t-on disais-je si les socialistes ne peuvent plus même se payer le luxe de leurs belles intentions, des belles promesses de relever le niveau de vie de classes populaires en répartissant mieux les richesses et en limitant les profits financiers? Un homme politique responsable, selon Urvoy, ne promettrait rien, ne dirait rien, mieux même, ne penserait rien qui pourrait affoler les banques, les fonds d'investissement, les sociétés d'assurance, les investisseurs et les créanciers de l'Etat.
Mais pourquoi, dès lors, ne pas faire écrire le programme de la gauche par les salariés des agences de notation? Remarquez, avec le Pacte Euro plus, on y vient: maintenant que les budgets votés par les Parlements seront soumis en amont à la censure de technocrates européens vérifiant leur compatibilité avec les lois d'airain de la réduction des dépenses publiques et de l'augmentation des profits financiers. Curieux comme cette crise systémique du capitalisme financier qui a creusé la dette des Etats européens a donné de nouveaux moyens de mise au pas assumée des démocraties par les puissances du capital et leurs héraults appointés.
Mais restons dans la politique politicienne, dans la politique spectacle où l'on guette les signes des stratégies de communication, comme nous y invite Urvoy: Martine Aubry est toujours "devancée dans les sondages par François Hollande qui affiche, depuis près de deux ans qu'il y travaille, une motivation à toute épreuve et un projet réfléchi" . Quel est le projet réfléchi de François Hollande, que sa calvitie précoce et sa fadeur qu'on aurait tort de prendre pour du désintéressement et de la modestie ne rendent pas plus sage pour autant?
Diminuer le poids de l'impôt de solidarité sur la fortune, alléger l'impôt sur les successions? Inviter, comme il nous l'a promis en nous annonçant "du sang et des larmes" après 2012 si l'on voulait sortir vivants de la crise de la dette et de la zone euro, à s'astreindre à de nouvelles potions amères d'austérité quand les profits financiers des entreprises du CAC 40 et les revenus des couches les plus favorisées de la société n'ont jamais connu une telle augmentation depuis une dizaine d'années?
Mais rassurons-nous, il y a au PS, nous dit Urvoy, au-delà des positionnements stratégiques oppourtunistes pour capter les voix des différentes sensibilités socialistes, "une vraie similitude de projets", "si vraie que Martine Aubry, souvent cataloguée plus à gauche, s'apprêtait à soutenir Dominique Strauss-Khan".
Et elle avait raison pour Urvoy, car la seule, la vraie question, c'est de savoir comme faire gagner la gauche, vous savez celle du "social de gauche" qui ne doit tout de même pas être trop socialiste pour faire gagner la gauche et le pays... Electeurs potentiels du Front de Gauche et de Europe Ecologie les Verts, réfléchissez à deux fois à vos responsabilités avant d'enclencher la machine à perdre en étant trop exigeants sur votre adhésion à des projets, en votant selon vos préférences: "pour l'opposition, y compris pour les écolologistes et pour les électeurs de Jean-Luc Mélenchon, la question primordiale sera de choisir celui ou celle qui peut atteindre le second tour". Et bien sûr, cela, ce sera les sondages qui nous le diront à quelques semaines des présidentielles.
On est bien loin ici de la révolte des Indignés espagnols et grecs contre la dictature des marchés, le vérouillage du système politique par un bipartisme sans véritable alternative au néo-libéralisme qui détruit les solidarités collectives et dépossède le citoyen de sa souveraineté. Et bien non, monsieur Urvoy, la question que nous nous poserons avant de voter au premier tour, ce n'est pas "qui est le mieux placé pour arriver au second tour, battre Nicolas Sarkozy et Marine Le Pen?" mais "quel projet politique et quelle dynamique collective sont à même d'offrir des perspectives de débouché politique aux luttes sociales et aux volontés, qui percent partout dans une Europe de plus en plus brutalisée par les marchés et son oligarchie, d'une transformation d'un système capitaliste mondialisé et financiarisé qui plonge les sociétés et la nature dans des crises mortifères au court terme?".
Ismaël Dupont.
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