C'était dans l'Humanité Dimanche du 10 janvier, un débat entre le très libéral Michel Barnier, commissaire au Marché intérieur et aux services, et Françis Wurtz, ancien député européen communiste. On vous passe le service après-vente de Mr Barnier et on va se contenter de retranscrire les rappels accablants de Francis Wurtz.
HD: Existe t-il un modèle social européen?
Michel Barnier: Oui, il existe un modèle économique et social européen fondé sur l'économie sociale de marché...
Francis Wurtz: Je suis de ceux, nombreux en France comme le vote de 2005 l'a rappelé, attachés à l'idée européenne mais profondément critiques par rapport aux orientations, aux structures et à la fuite en avant actuelles. Nous vivons aujourd'hui une crise de légitimité de l'UE, et la question du modèle social en fait partie. Trois moments de la construction européenne ont dévitalisé ce modèle. D'abord à partir des années 1990, le développement profondément libéral du marché unique. Ensuite, l'instrumentalisation de l'élargissement à l'Est pour mettre en concurrence les modèles sociaux et tirer tout le monde vers le bas. Enfin, la gestion de la crise de l'euro conduit à l'instauration d'un régime d'austérité généralisé et durable. Ainsi, pour une majorité d'Européens et d'Européennes, ce "modèle" n'a plus rien de social. Cette notion comme celle d'économie sociale de marché ne parlent plus aux gens car leur vécu les contredit.
Françis Wurtz: Je mets en cause cette concurrence à tout va, entre entreprises, entre Etats - par exemple, la compétition fiscale- entre acquis sociaux. Exemple: Renault. Ses salariés, en France, doivent accepter de renoncer à des acquis, sous la menace d'une délocalisation des emplois vers l'Espagne... où les salariés subissent le même chantage vis-à-vis de la Roumanie! Je conteste que cette hyper-concurrence génère le progrès social dans les nouveaux Etats membres. Je rentre de Hongrie: dramatique!
Michel Barnier: Mais depuis vingt ans, 2,7 millions d'emplois ont été créés grâce à cet ensemble économique commun. Mais, c'est vrai, nous ne sommes pas parvenus à supprimer la règle du droit de veto sur la fiscalité, d'où l'existence de la compétition fiscale. Je vous donne acte que nous aurions dû au moins harmoniser les bases des taux d'imposition sur les entreprises, comme la Commission l'a proposé. Par ailleurs, la Commission propose aujourd'hui une taxe sur les transactions financières.
Françis Wurtz: Que les impôts sur les sociétés n'aient pas été harmonisés n'est pas un oubli, c'est un choix. De la même manière, alors qu'il règne un quasi consensus parmi les économistes pour dire qu'il faut arrêter l'austérité, parce qu'elle conduit à la récession, les dirigeants européens refusent obstinément de changer de cap.
Michel Barnier: Malheureusement, beaucoup de pays ont été mal gérés et se sont endettés. Or, en nous endettant, nous nous mettons dans la main des marchés financiers, nous perdons notre souveraineté, nous créons des impôts pour les générations futures.
Françis Wurtz: N'oublions pas d'où vient l'explosion de la dette. L'endettement de la France, 90% du PIB aujourd'hui, était en 2007 de 62%. Face à la crise financière, les Etats membres ont mobilisé des centaines de milliards pour sauver le système financier et ensuite relancer l'économie pour éviter la dépression. Or on a accusé les peuples d'avoir "vécu au-dessus de leurs moyens". La solution n'est pas d'imposer l'austérité et de destabiliser la société, mais de donner à ces pays plus de moyens pour s'en sortir.
Michel Barnier: Mais que se passe t-il sans cette discipline collective et cette solidarité? La Grèce a reçu, dans le contrat global, 240 milliards d'euros! Quelle est la solution? Que ce pays sorte de l'euro? Que la Grèce reste seule à faire face? C'est précisément ce que nous n'avons pas accepté.
Françis Wurtz: La "solidarité"! La "troïka" restera une tâche indélibile sur l'Europe! Vous vouliez sauver la zone euro, mais la gestion de cette crise est terriblement contre-productive: la dette grecque au début de cette purge était de 115% du PIB; elle est prévue à 190% l'an prochain.
Humanité Dimanche: Quel rôle la BCE doit-elle jouer?
Michel Barnier: Son rôle est de garantir la stabilité monétaire...
Françis Wurtz: Entre décembre 2011 et février 2012, la BCE a prêté aux banques, à 1%, 1000 milliards d'euros, sans aucune condition d'utilisation. Ces milliards ne sont pas allés au financement de l'économie. Aujourd'hui, la difficulté d'accès au crédit bancaire, notamment des PME, est un gros problème. Se pose donc la question du fonctionnement de la BCE et des missions qui lui sont assignés par les traités. Autre grief: les critères d'attribution du crédit en général. Le refinancement des crédits bancaires par la BCE devrait être fait dans des conditions différentes selon qu'il s'agit de financer des investissements créateurs d'emploi, de la formation, de la création de valeur ajoutée utile à la société, ou qu'il s'agisse d'opérations financières. Enfin, un des manquements majeurs des traités, donc de la BCE, est l'interdiction qu'elle prête aux Etats membres pour financer le développement social et la transition écologique.
Humanité Dimanche: Que faire en 2013 pour "retrouver" le modèle social européen?
Françis Wurtz: Vous pouvez aménager à la marge le marché unique, mais il est d'essence profondément libérale. Prenons la libéralisation de l'énergie, justifiée par la possibilité offerte aux consommateurs de choisir leur fournisseur. En France, 94% des usagers de l'électricité ont garder leur confiance à EDF. L'attente d'une ouverture à la concurrence n'existe donc pas. En revanche, cela oblige EDF à vendre à ses concurrents l'électricité à un prix inférieur à celui du marché.
Michel Barnier: Mais cela a permis à EDF d'aller conquérir des marchés extérieurs...
Françis Wurtz: Mon problème n'est pas de permettre aux entreprises françaises de tailler des croupières à leurs concurrents. La première mission d'une entreprise comme EDF est d'assurer l'accès à l'énergie pour tout le monde en France et en coopération pour tout le monde ailleurs. Pour 2013, je crois urgent et nécessaire d'aller vers des ruptures fondamentales avec le modèle européen actuel. Premier axe: enrayer cette politique d'austérité au profit du développement social et écologique. Deuxième axe: la question de la BCE, en particulier l'utilisation de sa capacité à créer de la monnaie pas seulement vis-à-vis des banques privées, mais aussi des Etats-membres pour favoriser le développement social et la transition écologique. Le troisième axe est celui de la démocratie. L'Europe actuelle est de plus en plus verticale; il faudrait qu'elle devienne de plus en plus horizontale avec une implication active des citoyens. Ainsi le PGE voulait lancer une "initiative citoyenne européenne" en faveur de la création d'une banque publique européenne dédiée au financement du développement social et de la transition écologique en utilisant le même droit que celui des banques privées d'emprunter. La Commission nous a répondu qu'aucun traité ne permet un acte juridique favorable à une telle initiative.
Françis Wurtz: Il faut donner une autre finalité à la construction européenne. Si le projet européen ne connaît pas des changements fondamentaux dans la prochaine période, vous allez détricoter, à votre corps défendant, l'appui des peuples européens.
Propos recueillis pour l'Humanité Dimanche par Fabien Perrier.
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