Article de l'Humanité - mercredi 11 septembre - par Dany Stive
Le sociologue Michel Simon, militant communiste infatigable, est décédé
Durant toute sa vie, Michel Simon a conjugué un travail intellectuel rigoureux et une conviction communiste profonde. Collaborateur apprécié et assidu de la presse communiste, il est décédé dans sa 87e année, fidèle à un engagement forgé en pleine guerre froide.
En 2006, Michel Simon se retournant sur le chemin parcouru, s'interrogeait dans un texte publié sur le site de la Fondation Gabriel Péri: "Peut-on avoir été membre du Parti communiste français (ou pire, l'être resté) et avoir satisfait (ou satisfaire) aux normes d'autonomie critique hors desquelles il n'y a pas de posture intellectuelle authentique?" Avec sa rigueur et sa franchise habituelles, il s'imposait dans la foulée une règle interdisant toute complaisance: "Conscient des ruses d'une mémoire portée à l'autojustification, je m'appuieai exclusivement sur des textes que j'ai publiés ès qualités dans des organes communistes". Quelques lignes plus loin, le sociologue lance: "En 1951, dans le climat d'extrême tension qui régnait alors (on était au paroxysme de la guerre froide), j'ai rejoint le PCF (à reculons, si j'ose dire) et je ne l'ai jamais regretté."
Pourtant, ni la sociologie ni l'engagement communiste ne relevaient de l'évidence pour lui? A l'Ecole normale supérieure qu'il intègre en 1947, Michel Simon était aussi "farouchement hostile à un collaborationnisme à dominante de droite" (le port de l'étoile jaune en 1942 fut pour lui une "expérience décisive structurante") qu'opposé au PCF. Alors que bien des collègues sont encartés au PCF, il ferraille contre eux, opposé aux "confiscations du pouvoir à l'Est" comme "au piétisme et à l'intolérance" de nombreux communistes. Le combat anticolonial, la solidarité avec les ouvriers en grève modifieront son approche. Le lien avec la classe ouvrière restera un fil rouge toute sa vie, dans son engagement comme dans son travail. De ses rencontres avec les ouvriers, il disait: "C'est peu de dire que j'ai beaucoup appris dans ces échanges...".
Il était philosophe de formation, mais la sociologie prit de plus en plus de place dans sa réflexion. Il publie la Contribution de la psychanalyse à la compréhension des faits sociaux, sous la direction de Georges Davy, fréquente les cours de Lévi-Strauss et Leroi-Gourhan, collabore avec George Friedmann... Nommé professeur de philosophie à Nancy, puis prof de khâgne au lycée Faidherbe à Lille, il publie des articles relevant de la sociologie à la Nouvelle Critique et dans les Cahiers internationaux de sociologie. Il passe un an à la Sorbonne, et Raymond Aron patronne sa candidature au CNRS et, en 1969, il intègre l'Institut de sociologie de Lille où il créera le Centre lillois d'études et de recherches sociologiques et économiques (Clersé).
En 1966, il rencontre le sociologue Guy Michelat, avec qui il multipliera les travaux. Celui-ci se souvient: "Je travaillais alors dans une petite boîte privée qui faisait des enquêtes d'opinion dites qualitatives. Nous avions proposé nos services au PCF. Nous avons été reçus par Jacques Duclos, qui nous a déclaré qu'il nous faisait toute confiance mais en précisant qu'il serait bon que "quelqu'un de chez nous" suive nos travaux. C'était Michel Simon. Pendant plus de quarante ans, nous avons travaillé ensemble. Et nous avons bien rigolé, aussi!".
Avec Michel Simon, la presse communiste perd un collaborateur assidu, observateur attentif de la société française".
Et à lire sur le blog du PCF Bigouden: http://pcbigouden.over-blog.com/ ... ce magnifique et simple hommage de sa nièce à notre camarade finistérien, Michel Simon.
Ce mercredi, nous avons accompagné Michel
Nous sommes retrouvés pour les obsèques de Michel Simon , notre Camarade notre ami, c'était mercredi 11 septembre 2013, au Crématorium de Quimper.
A l'émotion qui tous nous tenait et que je suis incapable de transcrire, je préfère laisser la parole à la nièce de Michel, Anne Simon...
Vogue Michel tes amis, tes camarades ont hissé les voiles.
Il y a à peine deux mois, Michel se trouvait là où il a toujours été heureux : sur son bateau, aux Glénans, avec ces amis qui n’ont cessé, ces dernières années tout comme ces dernières semaines, de l’entourer et de partager avec lui le meilleur comme le pire. Michel ne faisant jamais les choses à demi, il en a profité pour exploser son safran, ce qui m’a bien fait rire : comme il me le disait à sa décharge, il n’avait jamais repéré qu’il y avait un rocher à cet endroit, et on en apprend donc à chaque navigation. Lors de cette dernière croisière, il manquait quelqu’un sur le bateau pour que le bonheur soit parfait.
Jeannine, grande barreuse, avec son magnifique sourire, et sa capacité jamais démentie à rembarrer son capitaine de mari s’il l’embarquait là où elle n’avait pas envie d’aller. Et je le dis avec émotion : Michel, jusqu’à la fin, a été amoureux de cette très belle femme, discrète et solide, sensible et droite, et me montrait encore il y a peu une photo d’elle à Venise, qui suggère qu’effectivement, Anita Ekberg à Rome peut aller se rhabiller…
Sur ce bateau, il manquait aussi Félix, le chien du bonheur, avec son art de vous saloper les pantalons blancs par débordement de tendresse. Pour moi donc, penser à Michel et Jeannine, c’est penser au bateau, c’est penser au chien, c’est penser à la vraie vie, la vie dans le vent et la houle. Michel, pourtant, n’a jamais largué les amarres, et le grand large ne lui a jamais fait perdre de vue ce qui se passait sur la Terre.
Il faut dire qu’il avait expérimenté dès l’enfance ce dont sont capables les hommes quand on les laisse faire. Il l’avait rappelé à l’enterrement de Gérard, son frère, voir ce dernier porter l’étoile jaune à dix ans ou se retrouver avec lui en prison, toujours au même âge, ça marque. La guerre leur aura cependant permis de saisir qu’au cœur même de l’enfer, il reste toujours de belles âmes et un Limousin rouge, et je rends hommage à la famille Giry, qui les a accueilli à Saint-Laurent-sur-Gorre.
Penser à Michel, c’est donc penser à son engagement indéfectible.
Il y d’abord son engagement professionnel en sociologie, dans l’étude, avec notamment son compagnon de route Guy Michelat, de la classe ouvrière ; Michel était aussi très impliqué dans la configuration symbolique de la recherche (il fut le fondateur de l’Institut fédératif de recherches sur les économies et les sociétés industrielles). Cet engagement sociologique ne peut être dissocié de son engagement en politique.
Qui ne le sait, Michel fut un acteur majeur du Parti communiste français, qui a été pour lui bien davantage qu’un parti : le rêve réalisable d’une société meilleure, une société sans colonisation, une société sans marginalisation.
Dans la maison de Michel trainent des dossiers tous récents, où il collectait il y a encore quelques semaines ce qui le marquait dans l’actualité. Car il a été actif jusqu’à la fin, même si cette dernière année a été une année difficile pour lui. Année difficile, qui a pourtant comporté de grands moments de bonheur et de solidarité : avec les amis du bateau, Milo (le seul qui puisse revendiquer d’avoir été son professeur !), Guy, André, mais aussi avec tous ceux qui n’ont cessé de le soutenir et de nous aider, amis ou cousins comme Marcel Tilly et Jean-Pierre Kohen, personnel soignant attentif et chaleureux, aides à domicile dévouées.
Moments partagés aussi avec Monique sa belle-sœur, si proche ; avec Pierre son neveu qui lui a amené ses enfants il y a à peine un mois ; avec Jean, Eve et Jehan le petit dernier de la famille Simon. Avec Philippe, mon compagnon qui avait toujours le mot pour le faire rire. Avec aussi et surtout Marie-Claire Sonnic, dont le soutien indéfectible, la générosité et l’amitié ont été pour mon oncle la force 4 qui a permis de faire voguer le bateau jusqu’au dernier port. A vous tous qui êtes là, merci. Quand je cesserai de parler, nous nous recueillerons quelques minutes en écoutant un mouvement du Requiem de Mozart, Mozart dont Michel souhaitait qu’on l’écoute pour ce dernier jour de partage, de même qu’il a choisi la photo avec Jeannine que vous voyez devant vous. Michel est mort samedi dernier, sans souffrance, dans une chambre qui donnait sur la mer. Souhaitons-lui bon vent.
Anne SIMON
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