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14 juin 2011 2 14 /06 /juin /2011 09:03

On pouvait s'y attendre. Depuis des années, nombre d'experts patentés s'interrogeaient dans les médias sur les limites du modèle français d'étatisation de la promotion et de la gestion du patrimoine culturel, sur le sous-investissement d'un État dont les caisses seraient vides pour l'acquisition et la conservation de biens culturels, propriétés de la nation, et sur les avantages du système anglo-saxon de partenariat public-privé et de valorisation publique du mécénat.

La dépense publique doit être réduite. Il n'y a pas d'alternative (le fameux Tina de Margaret Tatcher: « There is no alternative »). La culture n'est pas, de loin, le poste prioritaire du budget national: santé, éducation, police, armée, justice passent loin devant dans l'ordre des priorités. Comme les autres ministères, le ministère de la culture et les institutions culturelles comme les musées et les théâtres doivent donc songer à tendre vers l'auto-financement. Ainsi, tandis que le ministère de la défense vend à une entreprise privée l'hôtel de la Marine sur la place de la Concorde au balcon duquel des révolutionnaires assistèrent à l'exécution de Marie-Antoinette et de Louis XVI, tandis que le château de Versailles sert régulièrement pour les festins et les soirées prestigieuses de l'aristocratie européenne, de la très haute bourgeoisie ou des multinationales, que le Louvre exporte une partie des trésors nationaux chez les milliardaires du Qatar ou lance à grand renfort de publicité auprès des mécènes privés, riches ou non, une campagne de souscription pour acheter le magnifique et coquin tableau de Lucas Cranach l'Ancien, Les trois Grâces, notre dame de fer à nous, la maire de Morlaix, n'est pas en reste.

Il y a quelques mois, Agnès Le Brun, récemment imposée par Jean-François Copé comme secrétaire départementale de l'UMP, donnait symboliquement son visa à la politique sarkozyste de privatisation du patrimoine et des activités culturelles en lançant une campagne de souscription dûment médiatisée pour offrir au Musée des Jacobins un calice du XVIème siècle: en 15 jours, s'est félicité Agnès Le Brun en conseil municipal, la somme a pu être réunie. Il est vrai qu'elle-même paie de sa personne en cédant ses indemnités de maire pour que revive un théâtre qu'elle a privé de ses investisseurs publics en poussant l'ancienne direction au départ et diminuant drastiquement les subventions de la ville. Par pied de nez, des morlaisiens ont donné un euro provocateur pour avoir leur nom inscrit au registre des vanités des mécènes du musée à côté de celui « des plus généreux donateurs », notables de la région de Morlaix appartenant aux réseaux du maire actuel (Rotary club ou Lion's Club...?) décidés à assurer la réussite rapide de cette entreprise de délégitimation de l'investissement public dans le service public de la culture et de restauration de l'orgueil des élites provinciales.

Dans un Ouest France daté d'il y a presque deux semaines, on pouvait lire un nouvel appel décomplexé à un financement par les entreprises privées et les particuliers des activités culturelles municipales à Morlaix. La motivation: s'acheter une image de bienfaiteur public et se faire de la publicité pour les entreprises. Ainsi, on nous explique que la banque CIC Ouest choie les enfants morlaisiens en leur offrant la réédition d'un livre de conte intitulé Lomic roi de la baie qui sert de support aux activités pédagogiques de la maison à Pondalez (qui dépend de la mairie et du musée des Jacobins). Des œuvres de l'exposition Bernard Menguy auraient également pu être produites, nous dit-on, grâce au soutien du Comptoir métallurgique de Bretagne, de la forge de Plouézoch et de la voilerie Ulmo.

Avoir son nom gravé dans le marbre, honoré par sa ville, ce fut aussi sans doute le rêve d'Agnès Le Brun qui, sur la plaque que les Morlaisiens ont payé avec leurs impôts pour rendre hommage et célébrer la mémoire des victimes du centre-ville autres que les 39 enfants de l'école maternelle Notre-Dame-de- Lourdes) des bombardements anglais du Viaduc le 29 janvier 1943, s'est arrogé la moitié de la place sur la stèle commémorative pour faire graver en lettre d'or son nom et ses titres conquis de haute lutte: « Agnès Le Brun, maire de Morlaix, conseillère générale ».

Tout cela nous rappelle l'époque bénie d'une autre société de caste, celle de l'antiquité hellénistique et romaine, lorsque les hommes d'affaires, les hommes politiques et les notables de bonne famille des Cités manifestaient sans complexe leur appartenance à la caste des nantis, rehaussaient leur prestige et leur popularité auprès du peuple, en finançant, sur des deniers personnels qui avaient été préalablement gonflés en volant tout à fait régulièrement leurs semblables (par la corruption politique, l'impôt inégalitaire, le travail sous-payé dans les villas à la campagne, l'exploitation des esclaves, des peuples et des villes vaincus et rançonnés), des jeux du cirque, des thermes, des théâtres, des améliorations de voiries et de temples. Ces évergètes avaient en retour le droit d'avoir leur statue ou leur nom honorés à leur mort ou de leur vivant sur les places et les avenues ou dans les bâtiments publics.

L'historien de l'antiquité Paul Veyne a analysé cette pratique de l'évergétisme dans un livre très dense, Le pain et le cirque, et en a fait la caractéristique d'un régime des notables sans puissance publique et État véritable où l'oligarchie se sert du financement des services publics pour affirmer son rang et maintenir sa domination: « L'évergétisme est la clé de cette oligarchie: seul gouvernera celui qui est assez riche pour payer. L'obligation de faire largesse joue le rôle de barrière et permet aux notables de se réserver le privilège de gouverner, ainsi que la distance sociale que le pouvoir politique confère » (Paul Veyne). Cette pratique ostentatoire trouve à s'exercer là où l'impôt solidaire pour financer les infrastructures publiques utiles et accessibles à tous est faible, en l'absence d'État et de volonté de redistribution sociale.

Or, précisément, ce petit article de Ouest France déjà mentionné qui assurait (le 1er juin si je ne m'abuse) la communication de la majorité municipale encourageant au mécénat privé dans le domaine du financement des acquisitions et opérations culturelles donnait une autre justification à cette pratique: non seulement elle offre une satisfaction narcissique ou un certificat de civisme aux riches et aux entreprises mais en plus, elle ne contredit pas leurs intérêts financiers. En effet, nous dit-on, « les donateurs peuvent bénéficier d'avantages fiscaux. Un apport en numéraire ouvre droit à une réduction d'impôt de 60% des sommes versées dans la limite de 0,5% du chiffre d'affaire hors taxe. Des contreparties matérielles sont aussi proposées: visites privées, conférences, réceptions dans les espaces du musée, gratuité au musée pour les salariés etc. ».

Au moment où la mairie de Morlaix n'a pas trouvé d'autre solution que de faire payer 4,50 euros l'entrée au musée des Jacobins aux Morlaisiens adultes qui bénéficiaient auparavant d'une gratuité justifiée par leur contribution aux impôts locaux et leur qualité de citoyens ayant droit à une offre culturelle de proximité, on est content d'apprendre que les riches donateurs du musée peuvent trouver dans le mécénat une nouvelle niche fiscale, sachant que ce sont les baisses d'impôt pour les riches et les entreprises voulues par la droite qui vident les caisses de l'État et justifient en retour le recours à l'investissement privé dans le mécénat culturel récompensé en nouvelles baisses d'impôt... C'est comme cela qui s'étouffe en se serrant la ceinture volontaire pour engraisser une minorité accepte de bon cœur la main charitable qui consent à offrir quelques plaisirs à la population. On est content d'apprendre aussi que certains clubs huppés ou certaines entreprises pour leur politique de charme vis à vis des employés ou des clients pourront disposer du musée des Jacobins pour organiser leurs conférences et leurs repas grand luxe...

Voulez-vous une autre bonne nouvelle pour la vitalité des entreprises culturelles à capitaux mixtes public-privé qu'on appelait autrefois les musées nationaux, régionaux ou municipaux et qui sont aujourd'hui gérées de plus en plus comme des usines de petits pois?

Les œuvres d'art ne seront pas réintégrées dans l'assiette de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune dont Fabius les avaient exclues en 1981: cela aurait produit, pour Frédéric Mitterrand, Jacques Lang, et les plus fervents défenseurs de la culture française au sein de l'UMP pourtant infiltré par des dangereux « partageux » comme le député des côtes d'Armor Marc Le Fur, l'effondrement du marché de l'art, la mort des artistes, des mécènes, des donations aux musées...Même le brillant héros tragique Dominique Strauss-Khan, dont la défense est portée à bout de bras par la fortune familiale d'Anne Saint Clair assise sur une collection impressionnante de tableaux de maîtres, ne s'en serait pas relevée... Heureusement qu'il est si simple de concilier l'intérêt de l'oligarchie et celui de la culture. D'ailleurs, peut-on les dissocier? Seuls les élites ont un bon goût naturel et une capacité créatrice...

Plus sérieusement, ne peut-on pas logiquement penser qu'en faisant rentrer plus d'impôts, et particulièrement plus d'impôt de solidarité sur la fortune, et en supprimant cette niche fiscale exceptionnelle que constitue l'achat d'œuvres d'art, on lutte contre l'inflation spéculative dans le marché de l'art qui rend difficile l'achat d'œuvres par les musées et on fait rentrer de l'argent frais pour mener une politique ambitieuse de nationalisation du patrimoine culturel, de soutien public à la culture vivante et à la démocratisation de la culture.

 

Ismaël Dupont

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