Nous étions trente hier soir, assis sur des bancs face à face dans l'école primaire d'enfance de notre candidate aux législatives, Marie Huon (et ses parents et grands-parents...) avec sa classe unique au parquet fatigué et son poële à bois peinant à rechauffer la salle sentant bon la IIIème République et ses idéaux de civisme et d'éveil de l'intelligence. Et nous nous avons débattu, soulevé des questionnements, des problèmes, faisant exemple une nouvelle fois, après l'assemblée citoyenne de Lanmeur il y a un mois, que l'intelligence collective a des ressources sous-exploitées dans la sphère politique traditionnelle contaminée par la culture de la délégation de pouvoir.
Jean-François Huon et Hubert Peneau, nos hôtes qui avaient fait l'essentiel du travail de distribution de tracts pour annoncer la réunion publique (800 tracts distribués dans la région de Plouigneau cette semaine), ont introduit la réunion de manière talentueuse et dynamisante en disant leur révolte de citoyens face à la politique austéritaire en cours qui fait payer aux classes moyennes et populaires le prix du soutien sans condition ni contrepartie des gouvernements aux puissances financières et les raisons de leur engagement au Front de Gauche devant la confiscation de la démocratie qui a suivi le Non au référendum sur TCE de 2005.
En tant que candidat du Front de Gauche j'ai ensuite présenté ma vision (qui ne prétend pas à l'originalité) des écueils et potentialités de la conjoncture actuelle:
Ismaël Dupont:
La difficulté que nous avons à affronter, c'est de convaincre un maximum de gens que l'on peut sortir par le haut de la crise actuelle, qu'il y a des marges de manoeuvre pour se défaire des carcans de la domination de la finance et du libéralisme, pour satisfaire les besoins sociaux, refuser l'austérité, et lutter énergiquement contre les inégalités, la précarité, la détérioration des services publics et de la protection.
Je pense que les gens, dans leur majorité, souhaitent le changement, perçoivent qu'il est nécessaire d'en finir avec ce système libéral et capitaliste sacrifiant tout au dogme de la concurrence et de l'enrichissement privé, parce qu'on reconnait majoritairement qu'il nous mène dans le mur de nos limites sociales et écologiques, mais beaucoup aussi malheureusement sont fatalistes, rentrent la tête dans les épaules ou n'ont aucune confiance dans notre capacité collective à changer les choses.
Pourtant, il faut à tout prix empêcher le scénario qui se dessine actuellement partout en Europe. D'un côté, le renforcement de l'autoritarisme libéral et le consensus complice entre les cadres des partis de gouvernement de centre-gauche, de droite, et parfois même d'extrême-droite, sur une austérité (réduction des salaires, des retraites, des services publics, de la protection sociale) qui plonge le continent dans la récession et creuse les déficits du fait du ralentissement de l'activité et des baisses de recettes fiscales. D'un autre côté, un sentiment de dégoût vis à vis de la politique, de désarroi et de désespérance, qui se traduit par l'abstention et la montée de l'extrême-droite, des idées xénophobes et réactionnaires que la droite normalise elle aussi par ses politiques de récupération du vote d'extrême-droite.
Nous vivons un moment qui est à la fois brutal, strimulant et extrêmement dangereux.
Brutale, la période que les français vivent l'est assurément. C'est la crise et ce qui est le plus préoccupant, c'est la situation que vivent les gens au quotidien: 10% de chômeurs recensés officiellement: 4 millions de chômeurs et bien plus encore si on prend en compte les chiffres réels dont beaucoup se sentent, à raison, complètement abandonnés. 8 millions de pauvres, 8 millions de mal logés ou très mal logés. Les plus grandes difficultés à remplir son caddie avec des prix à la consommation qui augmentent, comme le coût des énergies, des transports, des loyers, des soins. Des tensions énormes dans les entreprises et la fonction publique, dûes aux nouvelles techniques de management basées sur le tout-rentabilité immédiate, la pénurie de moyens humains, le stress et la mise en concurrence, qui se traduisent par des souffrances au travail, la recrudescence des arrêts-maladie, des suicides, de l'usage des psychotropes. Ce moment de brutalité, nous le devons aussi et surtout à la droite qui attaque tout azimut les droits démocratiques et sociaux conquis de haute lutte, s'attaquant aux systèmes de solidarité: retraites, congés-maladie, sécurité sociale. Et le pouvoir d'achat du grand nombre que l'on cherche toujours plus à rogner, la TVA anti-sociale étant le nouvel avatar qui consiste à faire payer à la majorité de la population le coût des privilèges bien gardés d'une minorité.
Mais cette période est également stimulante parce que tout ce qu'a dit, depuis le réveil des luttes en 1995 notamment, la gauche de critique du capitalisme et de transformation sociale, s'est vérifié. La financiarisation de l'économie et la mondialisation libérale, la construction européenne basée sur la mise en concurrence généralisée, l'indépendance de la BCE gardienne des intérêts du capital contre toute politique monétaire visant la satisfaction des besoins sociaux et la coopération en Europe, voilà ce qui nous a conduit dans cette situation de recul social sans précédent en dehors des temps de guerre du XXème siècle: c'est désormais une évidence que peu de personnes désintéressées contestent.
Jamais sans doute le capitalisme n'a été autant sur la défensive, mais il se défend en étant toujours plus aggressif et impudent tout en sachant, et c'est pourquoi il mène une offensive idéologique incroyable pour faire croire que le problème est la dépense publique et le coût du travail, que les peuples peuvent se réveiller, abattre ces monuments de privilèges et se remettrent à écrire l'histoire.
Quel pays mieux que la France où la passion politique a mené tant de fois aux révolutions et aux insurrections sociales peut le mieux sonner le signal de la révolte?
Mais le moment que nous vivons est également considérablement dangereux. Car la progression du dégoût de la politique, de la desespérance, du mal-être social, des décennies de recul social et de défaites des idéaux progressistes, l'éclatement du monde du travail réalisé par le néo-libéralisme, le chômage de masse, et la mondialisation, favorisent des logiques de ressentiment, de bouc-émissaires, de votes de désespérance. En suisse, au Danemark, en Hollande, en Belgique, en Italie, en Hongrie et en France, l'extrême-droite se maintient à un niveau de popularité élevé ou gagne du terrain. Le capital se sert d'elle pour sauvegarder ses privilèges, comme aux pires heures des années 1930 lorsque la bourgeoisie se couchait devant le fascisme pour se protéger du communisme et de la revendication sociale. Aujourd'hui aussi, la bourgeoisie se sert de la menace de l'extrême-droite pour renforcer le pseudo-vote utile et l'adhésion de raison à des partis qui servent le système.
De grands dangers nous guettent dans ces élections, que seule notre mobilisation sur le terrain et la qualité de nos arguments présentés aux français dans nos conversations et nos actions militantes pourront déjouer:
- Que Marine Le Pen cristallise à elle seule le vote protestataire, le vote de colère et de désespoir.
- Que le poids du "vote utile" associé à celui en faveur d'un improbable centre ni de gauche ni de droite mettent en orbite une gauche social-libérale s'accommodant du système de domination du capital financier.
- Que les progrès de la résignation à la régression sociale et à la réduction drastique des droits des salariés et des précaires, des services publics, suivent l'intense diffusion du discours catastrophiste orchestrée par les médias au service du système. La stratégie offensive de Sarkozy contre le service public d'éducation, le pouvoir d'achat des classes populaires, la protection sociale, la souveraineté nationale en matière de définition des politiques économiques et sociales, vise elle aussi à faire croire qu'il n'y a pas d'autre choix possible pour ne pas être attaqué par les marchés et pouvoir refinancer la dette... Alors que cette politique alourdit la crise et la dette publique et privée.
Seul le projet du Front de Gauche peut redonner corps à l'espérance et nous sortir du piège que nous ont tendu les puissances d'argent. Seul ce projet peut empêcher la gauche de décevoir ou de dégoûter à nouveau, ce qui portera encore plus haut la droite dure et l'extrême-droite aux élections suivantes, comme cela s'est produit en Espagne après Zapatéro, en Italie après Prodi...
Notre projet se base sur 4 priorités:
1) répondre à l'urgence sociale et lutter énergiquement contre la précarité et les inégalités. Progresser vers une société plus solidaire et égalitaire, libérée de la mainmise de la finance et du libéralisme. Cela passe par une augmentation des salaires, le SMIC à 1700 euros brut, la limitation des CDD, du temps partiel imposé, des écarts de revenus et de patrimoine. Mais aussi par des politiques volontaristes de dépense publique et de rupture avec les lois de la marchandisation en matière de logement, de santé, d'éducation.
2) reprendre le contrôle sur les puissances financières, engager l'épreuve de force avec elles en s'affranchissant notamment des traités européens existants.
3) engager la transition écologique par la planification de la dépense publique et d'un développement industriel et agricole compatible avec les limites écologiques et la nécessaire préservation de notre environnement. Relocaliser les activités qui doivent l'être, développer les transports de voyageurs et de marchandises moins polluants.
4) Redonner une effectivité et une vigueur à notre démocratie en luttant contre la dictature du libéralisme en Europe, en en finissant avec ce présidentialisme monarchique, en se tournant vers la démocratie participative, la fin du cumul des mandats, la souveraineté des salariés dans l'entreprise.
Le débat a ensuite tourné sur plusieurs choses:
- Nos chances de faire échec à la victoire possible des partisans du système en place (UMP et PS) à la faveur de la pression des intentions de vote en faveur du FN, pression accentuée et instrumentalisée par les médias et les instituts de sondage.
- Les potentialités que tout cela se finisse par une insurrection du peuple français contre les dominations oligarchiques dont il subit de plus en plus mal l'outrecuidance. Peut-elle advenir sans perspective politique? Peut-on penser que des forces sociales vont se lever, étant donné les résistances générationnelles actuelles à la syndicalisation, l'organisation durable, pour lutter sans début de victoire de la gauche, relançant l'espérance, là où la droite méprise profondément les revendications populaires majoritaires quand elles s'expriment dans les mouvements sociaux?
- La nécessité ou non, dans l'hypothèse théorique où nous ne serions pas au second tour, d'appeler à voter pour le PS ou de renvoyer dos à dos les candidats partisans de l'austérité et de l'Europe libérale. Les sympathisants du Front de Gauche sont d'opinion différente sur ce sujet tout en étant unis dans leur ambition de parvenir au second tour, car c'est la seule et unique garantie d'un coup de barre à gauche: en cas de non participation au second tour, il n'y aura pas de consigne de vote garantie et automatique. Tout dépendra de la volonté de Hollande et du PS d'écouter ou non l'impatience du changement qui se dégage du vote et du projet Front de Gauche.
- Le programme social du Front de Gauche: comment accompagner le relèvement du SMIC dans les PME? Comment prendre l'argent aux détenteurs de capital et de patrimoine? Nos propositions en matière de lutte contre le travail précaire, contre le chômage et pour le droit au logement de qualité.
- Notre programme en matière d'écologie, notre positionnement par rapport au nucléaire.
- Notre projet pour la culture et l'éducation.
- De nos propositions pour une 6ème République, plus sociale et démocratie, avec plus de contrôle démocratique dans l'entreprise et les services publics.
A la fin de la réunion, il a été proposé de mettre en place lors des prochaines assemblées citoyennes une forme de cahiers de doléances pour reccueillir les exigences et les interpellations des citoyens, même ceux qui sont moins à l'aise pour parler en public, et les faire remonter dans notre discours politique et notre projet. Le but serait aussi de laisser une trace des débats, notamment pour nous obliger à préciser certaines orientations, à détailler les moyens que nous emploierons pour réaliser nos ambitions, à combler des lacunes de notre projet politique. Rappelons que celui-ci est déjà le produit collaboratif et participatif d'une série de consultations de citoyens, de syndicalistes, et de débats de militants et sympathisants voulus par les 3 forces politiques organisées qui constituaient le Front de Gauche (PCF, Parti de Gauche, Gauche Unitaire) en 2010.
Compte rendu réalisé par Ismaël Dupont.
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