20 000 Kurdes venus de toute l’Europe se sont rassemblés, samedi 15 février, à Strasbourg, après une marche à travers toute la France, pour réclamer une nouvelle fois la libération d’Abdullah Öcalan, détenu depuis 26 ans sur l’île prison d’Imrali en Turquie. La revendication d’un État kurde indépendant est désormais dans toutes les têtes.
« Pour nous c’est une journée noire, un jour où l’injustice a frappé un leader qui représentait un peuple qui voulait la liberté », affirme Hatip Dicle, le coprésident du Congrès démocratique du peuple qui regroupe tous les partis et les associations de défense des Kurdes au Kurdistan. Il a été député en Turquie et a fait aussi plusieurs années de prison. Autour de lui, des milliers de drapeaux jaunes avec la photo d’Öcalan claquent au vent froid, portés par une foule qui occupe toute la largeur des grands boulevards du sud de Strasbourg, sur plusieurs kilomètres.
« Depuis 26 ans, les Kurdes n’ont pas arrêté de lutter avec une énergie énorme. La cause kurde est plus claire aujourd’hui, les revendications et les attentes du peuple kurde sont largement connues maintenant au niveau mondial. Donc on peut dire que ce jour noir où tout a commencé il y a 26 ans, est devenu petit à petit un jour plus lumineux. Nous avons beaucoup plus d’amis dans le monde. Nous allons réussir, et cette victoire ne sera pas seulement la nôtre, ce sera aussi celle de nos amis, de ceux qui ont été sensibles à la lutte du peuple kurde », poursuit Hatip Dicle. La marche de ce samedi 15 février se déroule dans un contexte totalement nouveau au Proche-Orient, depuis la chute de Bachar al-Assad.
En Syrie, les Kurdes sont implantés dans le nord, l’est et l’ouest du pays, notamment dans le Rojava qui jouxte la frontière avec la Turquie, où depuis janvier, l’Armée nationale syrienne (ANS) soutenue par la Turquie, a repris plusieurs localités et menace désormais Kobané. « Les opérations militaires visent à casser le lien entre les Kurdes de Syrie et ceux de la Turquie », analyse le député européen honoraire Francis Wurtz, du PCF.
Vivre en paix
En parallèle, le gouvernement turc a destitué vendredi un 9e maire pro-Kurdes, celui de la grande ville de Van (un million d’habitants), à l’est de la Turquie, pour le remplacer par un administrateur nommé par le régime turc, alors que depuis le mois d’octobre, Erdogan semblait vouloir entrer dans un nouveau processus de paix avec les Kurdes. « Erdogan joue un jeu extrêmement trouble, en autorisant d’une part la visite de responsables du parti kurde DEM à Öcalan dans sa prison, tout en lançant des opérations militaires contre les Kurdes au Rojava, et en destituant un nouveau maire pro-Kurdes. Ce sont des signaux contradictoires », souligne Francis Wurtz qui doute qu’Erdogan veuille réellement entrer dans une négociation avec les Kurdes.
« Depuis 1989, Öcalan avait dit que la situation du Moyen-Orient était chaotique, avec des régimes antidémocratiques installés partout, et qu’il fallait donc absolument sortir de là, non pas avec une politique basée sur le nationalisme, comme le fait la Turquie, mais en incluant toutes les nationalités », rappelle le porte-parole de la confédération démocratique kurde en Europe, Morat Ceylan, qui déplore que ni le Conseil de l’Europe ni la Cour européenne des droits de l’homme implantés à Strasbourg n’agissent réellement pour la libération d’Öcalan, alors que le droit pour tout prisonnier de pouvoir un jour être libéré figure dans la Convention européenne des droits de l’homme, dont la Turquie est signataire.
Venu d’Irlande, Paul Gavan, le député du Sinn Fein à l’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, dénonce lui aussi les attaques continues des mercenaires soutenus par la Turquie contre les civils qui vivent dans la région autonome du Rojava. « Je suis avant tout ici pour appeler à la paix et au dialogue. Le processus de paix en Irlande est la preuve concrète de ce qui peut être réalisé grâce à des négociations qui regroupent toutes les parties concernées », explique-t-il.
Après une marche de plusieurs kilomètres au sud de Strasbourg, les milliers de manifestants, parmi lesquels beaucoup de jeunes venus de différents pays d’Europe, ont conflué pour un grand meeting où alternaient discours politiques, témoignages, danses et musique kurde. Maya, qui a 20 ans, est venue d’Afrin pour faire ses études en Allemagne, mais veut retourner dans le Rojava sitôt qu’elle aura obtenu ses diplômes. « Actuellement, je ne vois qu’une seule chose qui peut nous sauver, c’est un état indépendant qui protège nos enfants. Je rêve d’un Kurdistan indépendant. Nous ne sommes pas des terroristes, nous voulons, comme tout le monde, la liberté de vivre en paix », dit-elle.
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