Après son vote, le 21 juin 1936, par le Front populaire, sa remise en question sous la pression patronale et son retrait par le régime vichyste, la durée hebdomadaire du travail est rétablie le 25 février 1946.
Le 2 mars 1946, un court article publié dans le Peuple, l’organe de la CGT, annonce le « retour à la loi de 40 heures ». Le rétablissement de l’une des principales conquêtes du Front populaire aurait mérité plus d’éclat. Mais s’agit-il bien de cela ?
À y regarder de plus près, la loi du 25 février 1946 se réfère, certes, aux 40 heures, mais restaure, d’abord, la majoration des heures supplémentaires : 25 % jusqu’à la 48e heure et 50 % au-delà. Elle limite, par ailleurs, leur nombre à 20 heures par semaine et les subordonne à l’autorisation de l’inspection du travail après consultation des syndicats.
Là s’arrête la similitude avec 1936. À cette date, les 40 heures visaient à lutter contre le chômage. Dix ans plus tard, le pays, exsangue, manque de bras pour se reconstruire. Dans un contexte de « réaccumulation primitive » du capital, la réduction de la durée du travail n’est pas à l’ordre du jour. En mars 1944, déjà, le programme du CNR n’en disait rien. En juillet 1945, les états généraux de la renaissance française, censés en prolonger les ambitions, déclarent bien leur « attachement à la semaine de 40 heures », mais s’empressent de lier « la diminution progressive de la durée du travail » aux « progrès techniques et (aux) nécessités nationales ». Dans l’immédiat, elle préconise un retour aux majorations de 1936. La CGT, elle-même, ne demande pas autre chose.
Ministre du Travail, Ambroise Croizat se tient sur cette ligne, convaincu que son projet « favorisera le redressement du pays en stimulant l’effort des producteurs ». Les travailleurs ont-ils vraiment d’autre choix que de se « retrousser les manches », alors que le pouvoir d’achat des salaires horaires est inférieur d’un tiers à son niveau de 1938 ? Sur-le-champ, la nouvelle loi entraîne une hausse de 15 à 20 % des rémunérations. En cela, elle permet à Croizat de contourner le choix gouvernemental de la rigueur salariale.
La France penche pourtant à gauche. Plus nettement qu’en 1936. Après les élections d’octobre 1945, les deux « partis ouvriers » disposent d’une majorité absolue, avec un avantage au PCF – 159 députés –, qui devance la SFIO. Le tripartisme prévaut, cependant, en compagnie du MRP, centriste, au nom de l’union sacrée qu’exige la reconstruction, surtout après le départ du général de Gaulle, en janvier. L’ancrage à gauche se retrouve néanmoins dans la réalisation, en sept mois, de l’essentiel des réformes économiques et sociales de la Libération. Elles sont la contrepartie durable d’un quotidien de privations et d’efforts. Au risque de déceptions qu’attise maintenant la critique gaulliste et qu’enregistrent, en mai, le rejet du projet de Constitution, et, en juin, le recul de la gauche aux élections suivantes.
Partie prenante de la « bataille de la production », la CGT peine à contenir la montée du mécontentement ouvrier. Résolue à « peser sans casser », elle écarte le recours à la grève. En 1946, le rapport des forces sociopolitiques ne s’évalue plus sur le mode rugueux de la conflictualité ouverte, mais sur les terrains plus balisés, ordonnés et indirects de l’audience électorale, des effectifs organisés, des responsabilités exercées dans les entreprises et les institutions.
Texte de circonstance autant que de compromis, la loi du 25 février 1946 n’a donc pas le caractère de franche conquête que revêtent les 40 heures érigées en norme, le 21 juin 1936, à l’issue d’une mobilisation sociale inédite. La question de la durée du travail, domaine par excellence des contre-offensives patronales, est de celles où l’affrontement de classes a toujours été rude. Les 40 heures n’y dérogeront pas. D’emblée, les employeurs ciblèrent alors les heures supplémentaires, réclamant l’« assouplissement » simultané de leur autorisation, de leur nombre et de leur majoration. Au printemps 1938, Daladier ouvrit les premières brèches dans les usines d’armement avant de prétendre « remettre la France au travail ». Le 12 novembre 1938, tandis que son ministre des Finances déclarait la fin de « la semaine des deux dimanches », trois décrets permirent de travailler 50 heures par semaine, interdisant le refus d’heures supplémentaires, dont la majoration, limitée à 10 %, ne commençait qu’à partir de la 49e heure. Après de nouvelles dégradations allant jusqu’à la taxation d’heures supplémentaires obligatoires, la loi vichyste du 25 mars 1941 fixa la durée légale à 48 heures, avec un maximum de 54 heures. En dépit de situations très contrastées d’une entreprise ou d’une branche à l’autre, la durée moyenne du travail s’accrut. Sur ce plan, la loi du 25 février 1946 n’inversa pas la tendance, mais renchérit les heures supplémentaires calculées en référence aux 40 heures, dont le retour effectif attendra encore longtemps.
Repères
1906 Adoption de la loi instituant la semaine de 6 jours en établissant un jour de repos hebdomadaire.
1919 Adoption de la loi instituant la semaine de 48 heures et la journée de 8 heures.
1982 Instauration par ordonnance des 39 heures hebdomadaires et de la 5e semaine de congés payés.
1998-2000 Les lois de réduction du temps de travail établissent la durée hebdomadaire à 35 heures.
Et les salariés agricoles ?
À l’instar des fonctionnaires, mais avec des conséquences plus dommageables, les salariés agricoles échappent, en 1946, au droit commun. En 1936, déjà, leur durée légale de travail avait été annualisée, à raison de 2 400 heures pour 300 jours, soit une moyenne discriminatoire de 48 heures par semaine. Deux ans seront nécessaires avant que la loi du 10 mars 1948 rétablisse les majorations antérieures, calculées sur une base mensuelle ou saisonnière, nettement moins favorable.
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