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16 décembre 2020 3 16 /12 /décembre /2020 12:00
Disparition. John Le Carré, espion un jour, écrivain pour toujours
Mardi 15 Décembre 2020

Le grand explorateur de l’univers des services secrets s’est éteint à 89 ans. Il laisse une œuvre mémorable sur la part d’ombre d’un large pan de l’histoire contemporaine.

 

« J e suis juste un écrivain qui fut, brièvement, espion », aimait à dire John Le Carré, qui s’est éteint samedi, à 89 ans, d’une pneumonie. Il est spécifié qu’elle n’était pas liée au coronavirus. Vingt-cinq romans à son actif, qui ont souvent été portés au cinéma, dont le fameux Espion qui venait du froid (1963), tiré à plus de 20 millions d’exemplaires. L’histoire est celle d’un agent double britannique, Alec Leamas, passé en Allemagne de l’Est. Ce récit a donné lieu à un film de Martin Ritt, dans lequel Richard Burton assumait le rôle du transfuge anxieux avec un art consommé. Le Carré, en poste en qualité de diplomate au Foreign Office, démissionne alors pour écrire, devenant aussitôt le maître incontesté du roman d’espionnage, à partir de l’antagonisme complexe qui régit les rapports de l’URSS et du bloc occidental dominé par les États-Unis en pleine guerre froide. Il créera, dans ce genre, un espace littéraire proprement singulier, en se nourrissant du combat idéologique entre les deux grandes puissances, mais opérant aussi un virage contrôlé au moment de la glasnost, si opposée à l’univers obscur des agents secrets.

L'Histoire en train de se faire

Né le 19 octobre 1931 à Poole, dans le Dorset, John Le Carré (de son vrai patronyme David Moore Cornwell) est élevé par un père qui est « escroc magnifique », un jour aux champs de courses, le lendemain en prison, toxique, imprévisible, détourneur de sommes folles, astucieux, instable et volage. Lasse, l’épouse quitte le domicile conjugal. Elle abandonne ses deux fils dont le plus jeune, David, n’a que 5 ans. Les deux enfants grandissent en internat. David songe à devenir moine, ne tient pas en place, quitte l’Angleterre à 16 ans, direction Berne, où il étudie l’allemand et le français. C’est donc dans cette ville de Suisse, « haut lieu du renseignement », qu’il est approché par le MI6, soit les services secrets britanniques. Il enseigne la littérature allemande à Eton et devient ensuite secrétaire d’ambassade à Bonn au moment de la construction du mur de Berlin, puis consul à Hambourg. Parallèlement, il officie dans l’ombre, transmet des messages, manie la désinformation contre le camp adverse. Sa carrière d’espion se clôt le jour où le célèbre agent double Kim Philby, passé à l’Est, révèle au KGB le nom de l’agent secret Cornwell. L’Espion qui venait du froid  a été écrit simultanément, avec l’appétit de celui qui observe l’Histoire en train de se faire (la construction du mur), prêt à se fracasser contre une vie privée qui tourne au désastre.

Un anti-James Bond

Fort du succès de son livre, il quitte le Foreign Office, pour se consacrer à plein temps à l’écriture. Il invente, en somme, un anti-James Bond. Les œuvres significatives défilent : Miroir aux espions (1965), Une petite ville en Allemagne (1968),   la Taupe (1974), premier volet d’une trilogie, et chasse aux agents doubles dans les couloirs du « Cirque » (le service des renseignements extérieurs du Royaume-Uni). Le personnage de George Smiley, héros timide et adipeux, obsédé par la dissimulation, reprend du service après un abandon temporaire. C’est encore la Petite Fille au tambour (1983), un pas de côté pour ce livre inspiré du conflit israélo-palestinien : un espion israélien manipule une belle Britannique radicale, qu’il transforme en agent double.

En 1986, c’est Un pur espion, sans doute le plus autobiographique de tous ses livres. Le personnage du père a des traits du sien. La Maison Russie (1989) est un des premiers romans sur la perestroïka. Suivront quantité d’autres, dont le Directeur de nuit (1994), Notre jeu (1996) Single & Single (1999). Son œuvre met en jeu la figure de l’espion, en héros gris de l’époque, en qui se posent les questions du vrai, du faux, de l’apparence et de l’être, du doute et de la certitude.

Gentleman lucide

Grand lecteur de Dumas, Dickens, Tolstoï, Balzac, Conrad et Graham Greene, John Le Carré s’est également impliqué dans des œuvres prenant à partie, notamment, les stratégies délictueuses des multinationales pharmaceutiques, dans la Constance du jardinier (2001) ; la seconde guerre d’Irak, contre laquelle il se dresse avec véhémence, avec Une amitié absolue (2004) ; l’exploitation féroce de la misère en Afrique, dans le Chant de la mission (2007). Dans son dernier roman, paru en 2019, il dressait un portrait au vitriol de Boris Johnson, croqué en « porc ignorant ».

D’aucuns ont pu faire de l’œuvre de ce gentleman lucide, qui parlait un français distingué, une lecture psychanalytique. Il aimait d’ailleurs à dire que « les services secrets sont l’inconscient des démocraties occidentales ».

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