Dans la continuité du style post-colonial de sa première visite, Emmanuel Macron s'est de nouveau rendu au Liban. Alors que le pays s'enfonce dans la faillite, provoquée par une crise profonde et multidimensionnelle, la classe dirigeante s'efforce de survivre voire d'en sortir renforcée.
Depuis plusieurs mois, le Liban est confronté à une paralysie économique et financière aggravée par la pandémie de Covid-19. L'effondrement de la livre, la destruction de l'appareil productif et des infrastructures résultent de la corruption, de la gabegie de dirigeants politiques prédateurs et sectaires. L'explosion dévastatrice du port de Beyrouth qui a détruit une partie de la capitale témoigne de cette incurie. Partout la pauvreté extrême s'accroît tandis que les couches moyennes sont laminées. Pour contrecarrer la colère sociale qui ne cesse de s'exprimer, le système en place joue des rivalités confessionnelles, intensifie les dérives autoritaires de l’État et la répression des manifestations.
S'appuyant sur la détresse de la population et son désir de changement profond, E. Macron qui cherche à retrouver une influence au Moyen-Orient, multiplie les ingérences. Il a appelé de ses vœux la constitution d'un gouvernement d'"unité nationale" afin d'entreprendre les réformes austéritaires exigées par les institutions financières internationales dont le FMI. En dépit de ses proclamations pour bousculer l'appareil politique, E. Macron tente de consolider un système criminel que le peuple libanais rejette massivement. Tous les partis politiques libanais liés au pouvoir ne s'y sont pas trompés et ont répondu à cet appel en nommant comme premier ministre Mustapha Abid. Cette personnalité, issue du sérail, a la confiance des milieux financiers pour conduire quelques réformes permettant de débloquer les fonds internationaux dont les dirigeants actuels ont besoin pour gagner du temps et survivre sans toucher au système. Des milliers de manifestants ont dénoncé cette collusion entre Paris et la classe dirigeante.
Les organisations non confessionnelles et démocratiques, dont le Parti communiste libanais, s'efforcent aujourd'hui de transformer en force politique cette contestation en élaborant une plateforme alternative. La création d'un État laïc, civil et démocratique en constitue la pierre angulaire avec le développement d'une économie productive. Ces choix sont aussi une condition impérative pour mettre un terme aux ingérence turques et iraniennes qui ne manquent pas de s'exprimer.
Dans ce combat, le peuple libanais peut compter sur la solidarité sans faille du Parti communiste français.
Pascal TORRE
responsable adjoint du secteur international du PCF
chargé du Maghreb et du Moyen-Orient
Quelques heures avant l’arrivée du président français à Beyrouth, un nouveau premier ministre a été nommé, actant ainsi la stratégie régionale de Paris. Décryptage.
Les tenants du pouvoir confessionnel au Liban ont eu chaud. Sur la sellette depuis le 17 octobre, avec un mouvement sans précédent réclamant la chute de ce régime communautaire, et plus encore depuis l’explosion meurtrière du 4 août, ils ne savaient plus vraiment comment s’en sortir. À tel point qu’aucun dirigeant de ces six grands partis n’avait osé mettre le nez dehors et se rendre sur les lieux du drame, au milieu d’une population meurtrie et en colère. Leur avenir ne tenait qu’à un fil. Soudain, comme par magie, eux jusque-là divisés en deux camps, mouvement du 8 mai d’un côté, mouvement du 14 mai de l’autre, se sont entendus en une journée pour nommer un premier ministre. Et ce juste quelques heures avant l’arrivée à Beyrouth d’Emmanuel Macron.
Mustapha Adib devient donc chef du gouvernement libanais. « L’heure est à l’action », a-t-il déclaré, s’engageant à constituer rapidement une équipe formée d’experts et de personnes compétentes qui mènerait « immédiatement des réformes ». Aucune surprise à attendre puisque ces réformes auront « comme point de départ un accord avec le Fonds monétaire international », a-t-il dit. Pas très étonnant. Comme la nomination de cet homme, jusque-là ambassadeur en Allemagne, mais auparavant chef de cabinet du premier ministre Najib Mikati, un milliardaire de Tripoli (ville qui possède l’un des plus hauts taux de pauvreté au Liban), accusé par un procureur d’être impliqué dans des magouilles financières. C’est dire qu’en réalité, il vient du sérail.
La stratégie française se met donc en place avec la tentative de Paris de devenir l’élément clé de résolution des problèmes. L’ambassadeur de France au Liban était auparavant en poste en Iran. Emmanuel Macron se rend dès mercredi en Irak, où, selon nos informations, il devrait discuter avec le premier ministre irakien, Moustafa al-Kazimi, des relations économiques entre la France et l’Irak, et des tensions avec la Turquie. On prête au président français l’intention de proposer la tenue d’une conférence internationale consacrée à l’Irak. La France se positionnerait ainsi en médiateur entre Téhéran et Washington, deux acteurs largement présents en Irak. D’où cet investissement hors du commun au Liban, chacun des partis confessionnels ayant un pied (voire plus) dans la problématique régionale. Qui avec l’Iran, qui avec l’Arabie saoudite, qui avec les États-Unis. Et tous, en parole, avec la France (bien que celle-ci manœuvre pour que le secteur de l’énergie ne se retrouve pas dans les mains des proches du président Aoun), l’ombre de la Syrie planant comme il se doit, alors qu’Israël, ennemi déclaré du Hezbollah libanais, renforce et normalise à marche forcée ses relations avec un certain nombre de pays arabes.
Les contestataires libanais du 17 octobre (lire notre édition du 30 août) dénoncent les manœuvres en cours et ne se font aucune illusion. « C’est un compromis pour maintenir le régime, mais c’est un gouvernement qui ne répondra pas aux revendications du 17 octobre », dénonce Tarek Ammar, de Beirut Madinati. Cerise sur le gâteau, le président (chiite, comme le veut la Constitution) du Parlement, Nabih Berri, en poste depuis… 1992, appelle maintenant à « changer le système confessionnel (…) source de tous les maux » ! En rendant visite à la diva libanaise Fayrouz, dès son arrivée, hier soir, Emmanuel Macron pouvait effectivement avoir une attitude lyrique.
Hanna Gharib, l’un des rares partis libanais non confessionnels, le parti communiste s’engage avec toutes les forces disponibles pour en finir avec ce système politique. Entretien avec Hanna Gharib, Secrétaire général du Parti communiste libanais. Envoyé spécial.
Quelle est la situation, quatre semaines après l’explosion ?
Hanna Gharib Pendant ces six années, il y a eu quatre gouvernements différents et deux parlements. Personne n’a accordé d’importance au transfert de ces substances chimiques du port de Beyrouth vers une zone non peuplée. Cette classe politique a tué les gens et a fait exploser le pays. Ils n’ont arrêté que des fonctionnaires, au lieu de s’en prendre aux vrais responsables. Personne ne veut assumer la responsabilité. Pourtant, il s’agit bien de corruption.
Le 8 août, une grande manifestation s’est déroulée. Nous étions avec ceux qui demandaient la fin du régime confessionnel, d’en finir avec l’élite au pouvoir, et qui se sont trouvés face aux forces de sécurité. Mais nous étions également avec ceux qui s’insurgeaient contre les interventions extérieures, comme l’ingérence du président français, Emmanuel Macron. Avec le soutien des États-Unis, celui-ci a proposé la formation d’un gouvernement d’union nationale. Ces trente dernières années, la France a soutenu tous les gouvernements libanais, pas seulement politiquement, mais également financièrement. Autant d’argent qui a fini dans les poches de ceux qui gouvernent.
Pourquoi Emmanuel Macron se rend-il au Liban ce lundi ?
Hanna Gharib Macron cherche à ce que la France retrouve une position forte au Moyen-Orient. Parce qu’il sait que bien d’autres forces internationales interviennent dans la région. Il faut évoquer le rôle des Américains, mais aussi des Iraniens. Maintenant, il y a la Turquie, qui s’agite beaucoup au Liban.
Avec les forces de la révolution du 17 octobre, nous lui préparons un bel accueil pour lui dire que nous sommes contre ses plans pour le Liban, que nous sommes contre un gouvernement d’union nationale qui permettrait aux mêmes de rester en place. Et, comme lorsqu’il est venu, le 6 août, nous exigerons de nouveau la libération du militant communiste Georges Ibrahim Abdallah, emprisonné en France depuis trente-six ans et qui est libérable depuis 1999.
Quelles sont les propositions, notamment de la part des forces issues ou qui ont participé aux manifestations du 17 octobre ?
Hanna Gharib Nous proposons d’abord la création d’un gouvernement qui permette d’aller vers une nouvelle ère. Celui-ci devrait être constitué de personnalités non membres de ces partis confessionnels au pouvoir et hors de l’élite politique. Un gouvernement qui puisse avoir des prérogatives législatives pour une période limitée. Qu’une nouvelle loi électorale soit édictée qui ne tienne plus compte des confessions et que le Liban soit considéré comme une seule circonscription dans le cadre d’un scrutin à la proportionnelle. Il convient également d’avoir un organe judiciaire réellement indépendant. Il faut que les juges puissent arrêter les véritables responsables. Et que, au lieu d’un État confessionnel, soit créé un État civil, laïque et démocratique. De plus, il faut réfléchir à la mise en place d’une économie productive et non plus basée sur les importations, ce qui permettrait de créer des emplois. L’émigration augmente, tout comme le chômage et le nombre de cas de Covid-19, mais le pouvoir d’achat diminue.
Ces questions avancent-elles parmi les forces du changement ? Qui discute ?
Hanna Gharib Depuis le début du mouvement du 17 octobre, nous avons fait des propositions autour de la construction d’un nouvel État, civil, laïque, démocratique. Il s’agit pour chacun de se positionner : qui est contre un État confessionnel et qui est pour ? Qui est pour un État de la justice sociale et qui est contre ? Qui considère Israël comme ennemi et qui ne le considère pas ?
Nous avons rencontré beaucoup d’obstacles, mais il y a des avancées. Nous avons ainsi pu organiser une « réunion du changement » avec cinq partis non confessionnels et des personnalités spécialisées en sociologie, en économie, d’anciens ministres, des journalistes… Il y a aussi une union de plusieurs forces, rassemblant notamment une cinquantaine de groupes de jeunes qui organisent des actions dans la rue auxquelles nous participons. Nous accordons aussi une place particulière aux questions sociales et donc aux relations avec les syndicats. Notre but est d’aider à ce que toutes ces forces, disparates mais ayant le même but, se regroupent.
Enfin, avec Charbel Nahas du mouvement Citoyennes et citoyens pour le changement, et le député nassérien Oussama Saad, nous travaillons à la mise en place d’une force porteuse d’un programme alternatif, qui serait celui du gouvernement non confessionnel et doté de pouvoirs législatifs que nous voulons mettre en place. Il nous faut maintenant être plus précis sur les organisations et les personnalités qui en feraient partie, afin d’en faire l’annonce publique. Ce qui serait une grande avancée pour le mouvement révolutionnaire, puisque cette proposition serait face à celle des partis confessionnels qui essaient de se mettre d’accord rapidement pour garder le pouvoir.
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