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18 juillet 2019 4 18 /07 /juillet /2019 05:33

 

Au ministère des transports, Élisabeth Borne a « réformé » la SNCF. Le gouvernement juge aujourd'hui que c’est l'un de ses grands succès. Au ministère de la transition écologique, elle aura pour mission de faire la même chose avec EDF et de démanteler le service public façon puzzle.

Alors que le gouvernement se veut désormais le promoteur de la transition écologique, l’élève modèle des accords de Paris, quels signes faut-il voir dans la nomination express d’Élisabeth Borne au ministère de l’écologie, censé être un des plus importants du gouvernement ? Tout laisse craindre que ce ne soit pas celui du sursaut, de la rupture, de l’urgence qu’appelait de ses vœux Nicolas Hulot lors de sa démission fracassante en août 2018.

Au contraire. Après le bilan quasi inexistant de son prédécesseur, Élisabeth Borne semble appelée à s’inscrire dans une vision technocratique et néolibérale de l’écologie défendue par le gouvernement.

La manière dont Élisabeth Borne a été nommée est un premier signal. Moins de huit heures après la démission de François de Rugy, Élisabeth Borne a été désignée pour lui succéder. Cela peut s’interpréter comme la volonté de démontrer une certaine efficacité du gouvernement, désireux de ne pas réitérer le pataugeage qui avait suivi la démission de Nicolas Hulot.

Mais cela en dit surtout long sur la place que le gouvernement entend réserver à la transition écologique : Élisabeth Borne est une ancienne haute fonctionnaire, sans poids politique, qui a toujours été une parfaite exécutante des volontés gouvernementales. Ce que reconnaît Matignon implicitement : si elle conserve son portefeuille des transports en plus de celui de l’écologie, elle n’a pas rang de ministre d’État, à la différence de ses prédécesseurs.

En quelques mots, le chef de file des députés LREM, Gilles Le Gendre a résumé la façon dont il fallait analyser cette promotion : « Je salue la nomination d’Élisabeth Borne comme ministre de l’écologie. Notre groupe apprécie de travailler avec la ministre qui a déjà porté deux lois essentielles du quinquennat : la réforme de la SNCF et la loi sur les nouvelles mobilités », a-t-il indiqué sur son compte Twitter.

C’est la référence qui justifie la promotion d’Élisabeth Borne, selon le gouvernement : elle est la ministre qui a réussi à mener à bien la réforme de la SNCF. Là où tous les autres gouvernements, selon les discours à répétition de la majorité, avaient calé.

Avant même qu’elle soit complètement mise en œuvre, les usagers, les collectivités locales, les salariés commencent à prendre la mesure de ce qui s’annonce comme le démantèlement de la SNCF : les dessertes annulées, les petites lignes qui ferment sur tout le territoire, le fret ferroviaire qui périclite au bénéfice du camion, allant jusqu’à la fermeture de la desserte Perpignan-Rungis qui permettait d’assurer le transport de primeurs dans la nuit, contrairement aux engagements par Guillaume Pepy et Élisabeth Borne.

On peut y ajouter les guichets supprimés sur tout le réseau provoquant des files d’attente de plus de deux heures, même dans les gares principales, les trains qui ne sont plus signalés sur le site afin de pouvoir plus vite les supprimer par la suite, un changement de tarification qui provoque une explosion des prix des billets.

Au sein de l’entreprise publique, la désorganisation est totale. Les retards s’accumulent sur toutes les lignes, les équipements cassent faute d’entretien suffisant. Des salariés craquent, certains se suicident. Sans provoquer la moindre réaction de la direction de l’entreprise et de ses pouvoirs de tutelle.

Dans un gouvernement normal, cela aurait provoqué des questionnements, un rappel à l’ordre, voire la démission de Guillaume Pepy, au bilan catastrophique au terme de plus de vingt ans à la tête de la SNCF. Cela aurait pu même amener une remise en cause de la ministre chargée du dossier. Mais pas dans celui-ci.

Avant d’être ministre, directrice de cabinet de Ségolène Royal au ministère de l’écologie déjà, à la mairie de Paris, et chez Eiffage comme responsable de l’activité concession et partenariat public-privé, Élisabeth Borne a été aussi directrice de la stratégie de la SNCF. Elle partage les vues de la direction actuelle de l’entreprise publique sur ce qu’il convient d’y faire : une transformation radicale de la SNCF en entreprise privée, jusqu'à la caricature.

Le gouvernement est en phase avec cette vision. Comme il le dit si souvent, il « assume ». Pour lui, la réforme de la SNCF est un succès complet. Derrière une pseudo-concertation, il a contraint les syndicats de la SNCF à plier. Malgré le plus long mouvement social dans l’histoire de l’entreprise, les cheminots ne sont pas parvenus à bloquer le pays. Le service public a été mis en miettes, le statut a été brisé. Les pans les plus rémunérateurs vont pouvoir être rétrocédés au privé.

Que cette victoire idéologique se paie au prix d’une aggravation des fractures territoriales, d’une destruction au moins partielle du transport ferroviaire, considéré pourtant comme le moins nuisible à l’environnement, n’est qu’accessoire. Le fer n’est qu’un moyen comme un autre dans le grand plan des « mobilités » vues selon le ministère des transports. À côté, il y a le transport aérien et maritime, que la ministre des transports ne voulait surtout pas taxer, même si elle a dû faire partiellement marche arrière. Il y a surtout le transport routier, les camions, les bus si chers à Emmanuel Macron, les voitures.

Les dessous de l’« amendement Total »

Élisabeth Borne aime la route, surtout quand elle est en concession. Alors qu’elle était directrice de cabinet de Ségolène Royal, elle a été avec Alexis Kohler, alors directeur de cabinet d’Emmanuel Macron au ministère de l’économie, la cheville ouvrière qui a permis de tuer dans l’œuf les velléités des parlementaires qui souhaitaient reprendre le contrôle des autoroutes, jugeant l’expérience de la privatisation « catastrophique ».

Ce sont ces deux hauts fonctionnaires qui ont négocié le protocole d’accord d’avril 2015 entre l’État et les sociétés concessionnaires, signé par leurs ministres respectifs. Cet accord a permis dans la plus grande opacité d’allonger jusqu’à six ans les concessions accordées aux groupes privés, et d’élaborer un rattrapage tarifaire qui se traduit par un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers, selon les calculs de l’Autorité de régulation de transport ferroviaire et routier (ARAFER).

Cet accord fait l’objet aujourd’hui d’un recours gracieux auprès du premier ministre, de la part de l’ancien élu écologiste, Raymond Avrillier. Il y dénonce un « contrat est manifestement contraire à l’intérêt général », signé par des ministères qui n’avaient pas «  compétences pour le faire ».

Alors que la révolte des « gilets jaunes » a mis l’accent notamment sur la privatisation des autoroutes, la ministre des transports ne semble en avoir tiré aucune conclusion. Dans le cadre de la loi sur les mobilités, deux amendements (ici et là) ont été présentés par le député LREM Joël Giraud lors de la discussion en commission des finances.

Le premier en particulier vise à « faire porter, par une délégation de service public, la création ou l’aménagement d’infrastructures à gabarit routier afin de faciliter, sécuriser ou fluidifier l’accès à une autoroute ou aux itinéraires qui la prolongent ». En d’autres termes, le texte a pour objet de permettre la privatisation de certaines routes ou portions de routes nationales, comme le demandent depuis des années les sociétés autoroutières.

À l'Élysée lors de la signature de la réforme législative de la SNCF en juin 2018. © SNCF

Interrogée en avril sur l’idée de privatiser les routes nationales, Élisabeth Borne avait démenti. « Non, enfin a priori, je vous dis… ça fait des années que les sociétés d’autoroutes trouvent toutes sortes d’idées pour prolonger leur contrat, je pense que ces contrats, ce n’est pas l’intérêt de l’État, ce n’est pas l’intérêt des Français qu’on les prolonge indéfiniment », avait assuré celle qui avait aidé à leur prolongation.

Pourtant, lorsque les deux amendements ont été présentés en commission des finances, le gouvernement, d’habitude si prompt à faire rejeter ce qui ne lui convient pas, n’a rien dit. Et les deux amendements ont été adoptés et continuent à cheminer au Parlement.

À la suite de ces adoptions, le ministère des transports est resté silencieux. Mais le ministère de la transition écologique avait alors démenti tout projet de privatisation des routes nationales. « C’est la proposition des sociétés d’autoroutes, dont elles font la promotion depuis longtemps, ce n’est pas pour autant le plan du gouvernement », assurait-il alors.

Le fait qu’Élisabeth Borne cumule désormais les deux portefeuilles pourrait peut-être permettre de réconcilier les points de vue, mais pas forcément en faveur de l’écologie et de la défense de l’intérêt général.

La priorité d’Élisabeth Borne, cependant, n’est pas celle-là. « Au travail dès demain avec Brune Poirson et Emmanuelle Wargon » a-t-elle déclaré, en remerciant Emmanuel Macron et Édouard Philippe pour sa nomination au ministère de la transition écologique.

Dés le 18 juillet, la ministre va être à pied d’œuvre : elle doit défendre le projet de loi énergie et climat en lecture au Sénat. C’est d’ailleurs peut-être aussi l'une des raisons qui expliquent sa nomination express.

Car le texte est de la plus haute importance pour le gouvernement. Officiellement, il s’agit d’adapter un certain nombre de réglementations pour les mettre en conformité avec les accords de Paris, de promouvoir l’isolation des bâtiments, de réduire la consommation d’énergie.

Mais il y a un article 8 dans ce texte : celui qui révise l’accès régulé à l’énergie nucléaire historique (ARENH) produite par EDF. C’est celui-là qui importe au gouvernement, qu’il ne fallait surtout pas retarder.

En première lecture à l’Assemblée, plusieurs députés avaient proposé des amendements pour mieux encadrer l’accès à la production d’EDF, afin de limiter les pratiques opportunistes de fournisseurs qui ne sont que des traders sur le marché de l’électricité, mais n’ont aucune capacité de production électrique (voir notre enquête sur les tarifs de l’électricité).

Tous ont été rejetés. En revanche, le gouvernement a introduit, par le biais d’un amendement, un changement majeur : il propose que la production d’électricité produite par EDF offerte aux fournisseurs indépendants à prix encadrés, jusque là limitée à 100 TWh par an, soit portée à 150 TWh dès le 1er janvier 2020.

Les connaisseurs du dossier ont baptisé ce texte l’amendement Total. Le PDG du groupe pétrolier ne cache plus ses ambitions de devenir un concurrent frontal d’EDF et d’avoir accès à l’ensemble de l’énergie nucléaire produite par le groupe public, sans avoir à assumer les contreparties, les risques et les charges du nucléaire. Et c’est ce qui est en train de se passer.

Cet article 8 dans la loi énergie climat est le premier étage de la fusée qui vise à supprimer le service public de l’énergie, à démanteler EDF (voir nos enquêtes ici et ). Une réforme voulue par Emmanuel Macron alors qu’il était déjà ministre de l’économie et qui se prépare dans les coulisses depuis plusieurs mois.

Alors que la direction d’EDF est censée présenter son projet de réorganisation à la fin de l’année, tout est déjà en place pour éclater l’entreprise publique. Tout de suite après l’adoption du texte changeant les conditions d’accès à l’énergie produite par EDF, le gouvernement a prévu d’aller porter la réorganisation de l’entreprise devant la Commission européenne, afin de pouvoir nationaliser le parc nucléaire et d’en disposer comme il l’entend, ce qui reviendra à transformer EDF en bad bank du nucléaire, de filialiser et de privatiser toutes les parties rentables et sans risque.

Que devient la sécurité énergétique ? Comment assurer la sécurité du parc nucléaire lors des période de sécheresse de plus en plus fréquentes et prolongées, tout le refroidissement du parc reposant sur les rivières ? Comment préparer la transition énergétique, promouvoir les énergies renouvelables ? Comment s’assurer des technologies nécessaires pour favoriser leur développement ? Toutes ces questions sont annexes pour le gouvernement. L’important est le Meccano capitalistique permettant de détruire un groupe public afin de favoriser l’émergence des forces de marché.

Car pour lui, la politique écologique ne peut échapper aux principes néolibéraux: c’est le signal prix, soutenu par la dérégulation des tarifs, la taxe carbone et autres, qui va favoriser le changement de comportement et l’émergence de moyens nouveaux. Toute l’histoire du marché de l’électricité prouve l’inverse : les équipements de production à forte intensité capitalistique demandent des environnements stables et régulés sur très longue période, des engagements de long terme de l’État ou des collectivités.

C’est là la mission d’Élisabeth Borne au ministère de la transition écologique. Forte de son « succès » à la SNCF, elle a désormais pour feuille de route de faire la même chose à EDF, de démanteler façon puzzle le service public de l’énergie, d’en finir avec EDF. Un vrai programme écologique, de justice, de responsabilité sociale et environnementale.

 

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Published by Section du Parti communiste du Pays de Morlaix - dans POLITIQUE NATIONALE

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