J'ai eu l'occasion de rencontrer pendant des heures des migrants accueillis au CAO de Lampaul-Guimiliau il y a quelques jours.
Ce furent des moments d'échange très beaux, qui donnent à réfléchir au-delà de l'émotion d'entendre ces témoignages particulièrement durs, de la part de jeunes qui ont déjà tant affronté, mais qui gardent le sourire et beaucoup de gentillesse et d'optimisme malgré tout.
Une discussion prolongée avec trois migrants africains accueillis au CAO m'a permis de mettre des maux et des visages derrière les mots connus de la tragédie de la migration africaine aujourd'hui, à l'aune de la politique répressive de l'Europe, de la misère de l'Afrique, de la barbarie de la Libye après la guerre occidentale pour abattre le régime crapuleux de Mouammar Kadhafi qui a plongé ce pays de le chaos et la criminalité à grande échelle dont les migrants sont les premières victimes.
Ces jeunes là sont partis de chez eux, en Afrique de l'Ouest, depuis 18 mois, deux ans.
Ils ont entre 19 et 20 ans. Ils sont partis mineurs.
Parce qu'ils étaient orphelins, rejetés ou exploités par leurs familles,ou parce qu'ils voulaient pouvoir faire des études, se construire un avenir.
Ils ont marché, marché en remontant vers l'Afrique du Nord, fait certainement des petits boulots pour survivre car ils ne sont pas riches.
Ils sont arrivés en Libye, et là, à leurs dires, presque tout le monde est armé, et tout "noir" est une proie en puissance.
Ils ont été enfermés pour certains 6 mois dans des hangars ou des cours par des citoyens libyens violents et criminels, qui ont fait pression sur eux pour extorquer de l'argent à leurs familles dans leur pays d'Afrique de l'Ouest.
Ceux qui ne peuvent payer sont abattus quand il y a besoin de faire de la place dans le hangar ou la prison, pour terrifier les autres. Des femmes sont violées régulièrement. Des hommes sont réduits à l'état d'esclave pour des travaux de forçats.
Le racisme vis-à-vis des noirs africains est effarant. Des crimes contre leur dignité humaine se commettent à la pelle chaque jour.
Ceux qui peuvent s'échapper (très difficile), payer pour s'en sortir et payer un passeur pour tenter de traverser la Méditerranée arrivent sur des plages encadrés par des hommes en armes.
Pour ces privilégiés qui peuvent croire échapper bientôt à l'enfer, quand leurs frères et leurs sœurs restent en arrière, un autre enfer commence.
On les fait monter à 180 dans des zodiacs en plastique souple qui peuvent crever à tout moment et que quatre hommes suffisent à transporter sur leurs dos.
Le moteur est agonisant, il n'y a que pour quelques heures de transport en essence dedans.
On a tout confisqué au migrant.
Ils n'ont pas de manteau, pas d'imper, pas de veste, tout objet tranchant ou qui risquerait de crever le bateau est retenu.
Ils sont serrés plus encore que des sardines, sachant que tout mouvement de bascule en dehors du bateau serait fatal. Les gens ont peur, se font dessus.
Personne n'a encore de téléphone avec GPS pour se repérer.
Il n'y a pas de pilote.
Bientôt, il n'y aura plus d'essence, 4 ou 5 heures après le départ, et le bateau va dériver pendant deux jours avec à son bord des gens angoissés, souffrants, paralysés par le manque de place, les sauts de température sur la mer.
Il n'y a rien à manger, quelques bouteilles d'eau seulement.
Par chance, un bateau italien arrive pour secourir les passagers du zodiaque, de ce radeau de la méduse: quand il arrivera à Lampedusa, cela se passe au printemps 2017, il y aura des milliers de migrants à bord dont les embarcations ont été repérés par satellite précédemment.
Sur les cinq zodiaques qui sont partis de cette plage libyenne à 40 minutes d'intervalle deux jours avant, quatre simplement pourront être secourus, tandis que l'un d'entre eux sombrera en mer, avec environ 180 personnes noyées!
C'est le prix de ce trafic criminel. Le terrible ratio qui explique qu'il y ait eu plus de 10 000 migrants ayant sombré en Méditérranée depuis 2014: la frontière la plus meurtrière du monde, devant celle du Mexique et des Etats-Unis.
Les migrants savent qu'ils vont vers une mort possible. Ils ne peuvent plus reculer. Sur les plages, ceux qui refusent de monter sont abattus par les passeurs!
Dans le chaos libyen post-guerre civile, les migrants sont devenus le principal moyen de faire de l'argent pour bon nombre de libyens qui souvent, du temps de Kadhafi, vivaient assez bien avec des postes dans la fonction publique, ou des entreprises dépendant de l'Etat, sans trop travailler, les emplois pénibles étant occupés par des étrangers. La vertu de la rente pétrolière qui crée un complexe de supériorité alimenté aussi par le passé esclavagiste de ces pays arabes.
Arrivés à Lampedusa 3 ou 4 jours après le départ de Libye, les migrants sont conduits dans des cars au commissariat de police où on les force à poser leurs empreintes: ça y est, ils sont dublinés, ils ne pourront demander l'asile dans un pays autre que l'Italie!
L'Italie compte beaucoup de migrants. Une grande partie de la population n'a plus de compassion. Il y a de la xénophobie. Nos migrants africains parlent rarement italiens. Ils sont souvent chassés. Ils survivent avec peine. Ils traversent la frontière de la France et de l'Italie parfois facilement, parfois très difficilement.
Ils arrivent à Paris, et dorment pendant deux ou trois mois dans des cartons au pied du Stade de France ou Porte de la Chapelle, déambulant dans Paris de 6h du matin à minuit, simplement contents de pouvoir manger avec les Restos du cœur ou d'autres associations caritatives ou d'aides aux réfugiés. La police les chasse régulièrement, la vie est très dure.
Finalement, ils acceptent d'être conduits dans un centre pour qu'on examine leur demande de titre de séjour. Ce sera un bourg de la campagne finistérienne, un peu loin de tout, mais ils ne savaient pas où ils allaient être conduits. Là, il n'y a presque rien à faire, mais ils se font des amis, sympathisent avec des citoyens français qui leur montrent de la solidarité, mais il y a des tensions aussi de temps en temps entre réfugiés, notamment entre Afghans et Africains.
Chacun porte sa croix, a une histoire d'exil très dure à transporter, des parents et amis laissés sur le bord du chemin, des horreurs vues et subies, mais souvent beaucoup de courage et de foi encore, l'idée qu'il faut forcer sa chance, que si Dieu le veut, on arrivera à s'en sortir, à vivre une vie normale, à aller à l'école, avoir un métier, pouvoir danser en boîte de nuit, faire du foot...
Mais 75% de ces migrants sont dublinés, menacés par une expulsion en Italie ou en Grèce!
D'où ils n'auront aucun avenir. L'extrême-droite qui risque d'arriver au pouvoir en Italie promet leur renvoi en Afrique, après tous ces sacrifices subis, la Grèce est dans une situation économique et sociale qui ne leur laisse guère de chance d'intégration et de travailler.
Beaucoup de ces migrants sont maintenant francophones.
Ils sont pleins de ressources, de richesse intérieure, d'appétit de vivre, de capacité à apprendre, à travailler, à construire.
En les accueillant, en les accueillant mieux, en les régularisant, la France pourrait compter sur une jeunesse du monde qui pourrait lui apporter beaucoup.
Une grande partie de ces migrants sont inexpulsables en réalité.
Va t-on les renvoyer en Afghanistan où ils risquent la mort?
L'Italie ou la Grèce compte bien plus de migrants que la France et ne les régulariseront pas facilement.
Dès lors, on voit bien l'absurdité de la politique de Dublin et de renvoi dans le premier pays européen d'accueil, on voit bien le manque d'humanité et de pragmatisme de la politique française vis-à-vis de l'accueil des migrants.
France, pays riche qui a proclamé les Droits de l'Homme, pays qui pendant la Révolution française accordait les droits de représentants à des étrangers, pays qui a construit son histoire et son identité moderne avec l'immigration, pays qui a été défendu et libéré pendant les deux guerres mondiales avec tant de combattants étrangers (africains, nord-africains, asiatiques, polonais, italiens, espagnols), ancien pays colonial qui a contribué à déstabiliser profondément les régions d'où proviennent les migrants.
France, réagit si tu ne veux pas perdre ton âme!
Nous, citoyens français, on vaut mieux que le visage que nous montrons actuellement, notre Etat et notre société, mais heureusement pas un grand nombre de citoyens solidaires et mobilisés, aux migrants et réfugiés qui auraient tant à nous apporter.
L'histoire nous jugera, comme elle a jugé les Français dans leurs rapports aux persécutés de la seconde guerre mondiale.
Notre responsabilité individuelle et collective est engagée par rapport à ces drames humains massifs, mais qui ont des visages, de la chair, des coeurs et des rêves.
Ismaël Dupont, élu communiste-Front de Gauche à Morlaix et Morlaix-Communauté
le 10 mars 2018
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