Ce livre est magnifiquement écrit et bouleversant. Justine Augier construit un très beau portrait kaléidoscopique, sur la base d'une pluralité de témoignages, d'une femme d'exception, ultra-déterminée, sans concession, d'un courage extraordinaire comme la révolution syrienne en a révélées des centaines, mais c'était une des plus importantes politiquement et des plus connues, centrale dans le dispositif de témoignage sur les atrocités de régime.
Laïque et révolutionnaire alors qu'elle venait d'un milieu traditionaliste. Indomptable, indomptée.
On doit cet essai à mi-chemin entre littérature et enquête journalistique à Justine Augier, écrivaine de 40 ans, qui a travaillé pour l'ONU en Afghanistan, puis a vécu en Palestine, au Liban, et aux Etats-Unis. C'est une enquête bouleversante, où l'auteur s'interroge aussi sur les ressorts de sa propre fascination et les difficultés de saisir une personnalité complexe et secrète en dépit de son caractère de femme publique engagée, sur l'action de l'avocate militante Razan Zaitouneh, une jeune femme qui a documenté l'horreur du régime de Bachar-al-Assad et les crimes contre l'humanité commis contre les prisonniers du régime, tortures et sévices en tout genre.
Razan Zaitouneh était une amie de Riad-al-Turk, dirigeant communiste syrien, opposant au régime fasciste des Assad, prisonnier politique d'Hafez al-Assad pendant 18 ans, et de Yassin al-Haj Saleh, un autre intellectuel communiste enfermé pendant des années par Hafez al-Assad et qui a pris le parti de la révolution syrienne, sa femme Samira al-Khalil ayant elle aussi disparue tragiquement, enlevée par les islamistes.
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Avocate, militante des droits de l’homme, fi gure de la dissidence syrienne, Razan Zaitouneh s’appliquait à docu-menter les crimes commis dans son pays par le régime mais aussi par les groupes intégristes, à recueillir la parole de ceux qui avaient survécu à la torture et à l’enfermement – quand, en décembre 2013, elle fut enlevée avec trois de ses compagnons de lutte. Depuis lors, on est sans nouvelles. De l’ardeur reconstitue son portrait, recompose le puzzle éclaté de la révolution en Syrie, et du °crime permanent˛ qu’est devenu ce pays.
En découvrant son combat et son sort, Justine Augier, qui a elle-même mis à distance ses premiers élans huma-nitaires, est saisie par la résonance que cet engagement aussi total qu’épris de nuances trouve dans ses propres questionnements. Récit d’une enquête et d’une obsession intime, partage d’un vertige, son livre est le lieu de cette rencontre, dans la brûlure de l’absence de Razan.
Plongée dans l’histoire au présent, De l’ardeur nous donne un accès précieux à cette réalité insaisissable dans son assassine absurdité, et si violemment parallèle à notre confort occidental peu à peu menacé. Et ce, dans un respect absolu de la dignité du langage, dans la lucidité d’une impuissance certaine et néanmoins étrangère à toute reddition.
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