J'étais hier soir au cinéma "L'étoile" à Carantec pour participer au ciné-débat organisé par Amnesty International sur Une famille syrienne, le film tourné au Liban sur une famille d'Alep cloîtrée dans son appartement dans un quartier cible des bombes et des snipers dans la guerre par le réalisateur belge Philippe Van Leeuw. C'est un film très fort, avec des interprétations d'acteurs bouleversantes, une tension du début à la fin dans le huis clos de l'appartement où cohabite un grand-père qui voit l'effondrement de la civilisation et de la Syrie qu'il a connu, sa belle-fille (le mari est en ville, et peut-être mort, apprendra t-on à la fin), les trois enfants, un cousin venu rejoindre sa petite copine parmi les filles, une voisine dont l'appartement a été éventrée et vidée avec son bébé, qui doit partir le soir au Liban, mais dont le jeune mari qui travaillait pour un journaliste français pour l'amener à faire des interviewer d'étudiants vient d'être touché par un Sniper devant l'immeuble, sans qu'on l'avertisse, une bonne d'origine indienne ou sri-lankaise, probablement, qui a vu le jeune homme se faire tirer dessus mais à qui sa patronne interdit de rien dire à Halimé, la jeune voisine.
L'horreur de la guerre est ressentie sans presque aucun cadavre, corps déchiqueté, juste à travers l'attente, l'angoisse, les détonations, les explosions, l'appartement fermé à double tour, les moments où l'on se réfugie dans la cuisine, et un viol insoutenable par des bandits que l'on devine dépendre des services de sécurité syriens ou être des chabiha. Mais c'est justement une des originalité et des forces de ce film sorti en septembre 2017 de ne pas situer politiquement les forces en présence, et même les sympathies de la famille vivant la guerre dans son huis-clos où l'on devine qu'elle ne pourra pas s'en protégeant, même en se barricadant comme elle le peut.
La menace est partout, les civils ne peuvent que subir une guerre qui est devenue très chaotique, où la violence et la barbarie ne sont pas l'apanage de tel ou tel camp.
Après le film, Maha Hassan, une syrienne kurde d'Alep, qui y a vécu 38 ans, écrivaine (elle travaille à son dixième roman en ce moment), qui vit à Morlaix et a quitté Alep en 2004 après la répression d'une première tentative de mouvement de libération kurde face à Bachar, la peur, est revenue avec une responsable d'Amnesty International et Elyane Guilho, la responsable du groupe local d'Amnesty, Elyane Guilho, sur le cynisme absolu et la cruauté sans limites du régime de Bachar-al-Assad, à qui l'on peut imputer une vingtaine d'attaques aux armes chimiques, au moins 20 000 personnes suppliciés par torture dans des prisons très bien connus où se concentre la quintessence de ce régime infernal, 70 000 disparitions, pour une guerre qui a fait fuir de leur maison la moitié des 22 millions de syriens et fait plus de 350 000 morts.
Une guerre que Bachar a mené contre son peuple en contribuant à créer l'hydre islamiste radicale qui a combattu l'armée syrienne libre et les révolutionnaires qui avaient un projet laïc et démocratique pour la Syrie. Bachar a rarement combattu Daesh directement, qui servait ses intérêts, en relégitimant son régime, il s'est contenté de combattre les forces les plus dangereuses pour sa légitimité interne et internationale et de massacrer les civils appartenant aux quartiers et communes conquises par l'opposition. Merci à Amnesty International d'avoir programmé ce film et cette discussion plus que nécessaire même si l'on se sent terriblement impuissants par rapport à la tragédie syrienne prolongée par l'affrontement des puissances internationales sur ce terrain fort enjeu stratégique pour l'avenir du Proche-Orient.
Maha Hassan a demandé que les réfugiés, syriens ou autres, soient reconnus comme porteurs d'une histoire, d'une capacité à apporter à la société d'accueil, et pas simplement, au mieux, comme objet d'aide et de sollicitude. Elle-même a beaucoup été marquée et inspirée par Milan Kundera, Todorov, Nancy Huston, qui sont aussi des exilés venus enrichir la culture française.
Article du Télégramme sur la citoyenne morlaisienne et écrivaine Maha Hassan, 25 juillet 2017:
Anaëlle De Araujo
Née dans la ville, désormais meurtrie, d'Alep, en Syrie, la romancière kurde, Maha Hassan, a choisi Morlaix comme nouveau point d'ancrage. Elle travaille actuellement sur un roman écrit directement en français, avec l'aide de l'association Trocoat. Portrait d'une femme aux multiples identités et éprise de liberté.
Je suis enfin chez moi ici, à Morlaix. Je veux vivre le dernier chapitre de ma vie dans cette ville. Et après, j'aimerais que ma maison devienne une maison pour les écrivains », confie Maha Hassan dont le parcours est aussi romanesque que ses livres. Après des années de clandestinité littéraire et de nombreux articles et ouvrages, censurés par le régime syrien, cette auteure aleppine de 50 ans a fui la Syrie, en 2004, au moment de la révolte kurde.
« Mon passeport français a été une renaissance
» « Les écrivains ne bénéficient d'aucune considération en Syrie, d'autant plus quand on est une femme, kurde de surcroît. Il est impossible d'organiser des soirées littéraires et beaucoup de livres sont censurés et publiés à l'étranger », déplore-t-elle. Réfugiée politique, elle choisit d'aller à Paris, où elle est accueillie à la Maison des journalistes. Elle remporte le prix Helmann/Hammett, décerné par l'ONG Human Rights Watch, en 2005. En 2014, Maha Hassan obtient la double nationalité franco-syrienne. « Obtenir le passeport français a été une renaissance pour moi. Je me sens plus forte maintenant », explique la Morlaisienne d'adoption avec émotion.
« Les Bretons ressemblent aux Kurdes »
Elle s'est installée à Morlaix, il y a deux ans, avec son compagnon. « Je me sens bien dans cette ville. Les Bretons ressemblent beaucoup aux Kurdes. Ils sont spontanés et honnêtes. Je me sens à l'aise avec les gens d'ici. Certaines rues de Morlaix me rappellent également Alep ». Cette expérience personnelle transparaît dans son roman « Cordon ombilical », qui a été sélectionné pour la finale du Arab Booker Prize. Maha Hassan y raconte l'histoire d'amour entre une femme kurde et un Breton qui n'a que faire de son identité française, alors que c'est un sujet important pour la Kurde et la condition de sa liberté.
« Chaque femme est une conteuse »
La quête de la liberté est le fil directeur du parcours de Maha Hassan. « En Syrie, je ne pouvais pas parler des sujets tabous comme la politique et le sexe. Maintenant, les thèmes principaux de mes romans sont la liberté, l'identité et les femmes ». Refusant le qualificatif de féministe, Maha Hassan accorde pourtant une place importante au talent créateur des femmes dans ses romans : « La plupart de mes personnages principaux sont des femmes. Je considère que chaque femme est une conteuse, qu'elles ont toutes un génie d'écriture particulier. Mon objectif est donc de libérer la parole et l'écriture des femmes, en leur montrant que c'est possible de devenir écrivain ».
Un roman en français en cours d'écriture
La romancière syrienne travaille actuellement sur son dixième livre, qui est le premier qu'elle écrit en français. Depuis deux mois, elle est assistée par les membres de l'association Trocoat, du quartier de Troudousten-Coatserho, qui relisent son manuscrit et corrigent les tournures de phrases, en discutant avec l'auteure pour ne pas « trahir ce qu'elle veut dire ». Selon Maha Hassan, l'écriture est une activité libératrice : « La littérature, c'est la liberté, c'est la connaissance de soi et des autres, c'est un monde très riche. L'écriture m'a sauvée. J'ai tout le temps des histoires dans la tête. Je suis comme un passage pour les personnages, je suis là pour leur donner vie ».
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