François Fillon a dû révéler le 6 février qu’Axa avait été client de sa société 2F Conseil. Embarrassé, le groupe d’assurances a reconnu lui avoir versé 200 000 euros entre mi-2012 et mi-2014. L’ancien premier ministre l’aurait aidé « à ouvrir des portes à Bruxelles et à Berlin » dans le cadre de la discussion concernant la directive de régulation sur les assurances. Comment justifier une telle activité avec un mandat parlementaire ? Le conflit d’intérêts est patent.
C’est sans doute par discrétion. François Fillon n’aime pas faire état de ses amitiés et de ses relations dans le monde des affaires. Encore moins lorsqu’il s’agit d’Axa. Ce n’est que parce qu’on l’y a poussé que le candidat de droite à l’élection présidentielle est sorti de sa pudeur naturelle et a reconnu ses liens avec Henri de Castries, ancien PDG du groupe d’assurances, en décembre. La polémique sur la privatisation de la Sécurité sociale faisait rage. François Fillon avait alors juré que, même si Henri de Castries était son ami, il n’était en rien l’inspirateur de ce projet qui visait à casser la Sécurité sociale au profit des assureurs.
Cet aveu avait finalement incité l’ancien assureur à lui aussi sortir des coulisses et à afficher son soutien public à François Fillon. « Mon engagement ne date pas d’hier », expliquait Henri de Castries dans un entretien au Figaro le 17 janvier. Avant d’insister sur le fait qu’il n’était pour rien dans l’écriture du programme de la Sécurité sociale : « Je ne demande rien, je n’attends rien. » Henri de Castries était, disait-on alors, promis aux plus hautes destinées : ministre des finances et de l’économie au moins, et peut-être même Matignon.
Ce que n’avait pas précisé l’ancien PDG d’Axa dans cet entretien, c’est qu’il appréciait tellement les conseils et la hauteur de vue de François Fillon que son groupe avait eu recours à sa société de conseil, 2F Conseil, entre 2012 et 2014. Ce n’est une fois de plus que contraint et forcé que François Fillon a déclaré, lors de sa conférence de presse du 6 février, qu’Axa avait bien été son client, comme l’ont été Fimalac, la banque Oddo et le cabinet comptable de René Ricol, ainsi que Mediapart l’a révélé.
Des conseils précieux, semble-t-il : François Fillon a été rémunéré 200 000 euros par Axa pour une mission s’étalant entre la mi-2012 et la mi-2014, selon les révélations de BFM Business. 200 000 euros, cela ressemble à un tarif de base pour la société 2F Conseil. Il a reçu les mêmes appointements de la part du cabinet Ricol.
Comment justifier de telles rémunérations pour des activités menées en même temps qu’un travail de parlementaire ? Pour nombre de parlementaires, elles sont injustifiables. La situation ne peut qu’être porteuse de conflits d’intérêts. « Comment ne pas soupçonner un trafic d’influence ? Les puissances de l’argent sont en train d’accaparer la politique. De très grandes sociétés multinationales se paient des hommes politiques, appointent, donnent de l’argent à des hommes politiques pour qu’ils les aident à ouvrir des portes, à se servir de leurs relations pour leurs intérêts », s’indigne François Bayrou. « On ne peut pas intervenir en même temps comme lobby pour un intérêt privé et en même temps comme législateur censé défendre l’intérêt général », insiste de son côté Yannick Jadot, candidat écologiste à la présidentielle.
Douze députés écologistes et de gauche ont saisi le 9 février le déontologue de l’Assemblée nationale, Ferdinand Mélin-Soucramanien, sur les activités de conseil de François Fillon. « Les activités qu’il a exercées auprès du client dont nous avons connaissance [AXA] ne peuvent-elles pas être constitutives d’une situation de conflit d’intérêts et d’un manquement manifeste à la déontologie d’un parlementaire ? »s’interrogent-ils dans cette lettre signée notamment par Cécile Duflot et le député démissionnaire du PS Pouria Amirshahi.
Depuis la révélation de ses activités de conseil auprès d’Axa, François Fillon fait tout pour enterrer cette nouvelle polémique. La plus embarrassante peut-être pour lui car elle pose la question de sa proximité avec le monde financier, des échanges de services possibles. Car le monde des affaires – et plus encore le monde financier – n'est pas connu pour être désintéressé : quand il engage de l'argent, il attend toujours un retour sur investissement. Quelles sont les contreparties en retour ? Un poste de ministre ? Une politique écrite au bénéfice du monde financier, qui pourtant n'a pas eu à se plaindre ces dernières années ?
L’ancien premier ministre peut, comme à son habitude, plaider l'acharnement : il a agi dans la plus parfaite légalité. En principe, la loi électorale interdit aux parlementaires d’exercer les métiers de conseil, activités jugées incompatibles avec l’activité parlementaire car sources évidentes de conflits d’intérêts. Cependant, elle autorise les parlementaires à conserver cette activité, s’ils l’exerçaient auparavant. Cette disposition n’a pas été modifiée lors de la discussion sur la loi sur la transparence de la vie politique adoptée en 2013, une grande majorité d’élus de droite mais aussi nombre de parlementaires de gauche prônant le statu quo. François Fillon est un homme averti et respectueux des règles : il a enregistré sa société de conseil en juin 2012, juste huit jours avant de reprendre son activité de parlementaire, après sa sortie de Matignon, comme l’a déjà relevé Mediapart. Il exerçait donc bien son activité de conseil avant d’entrer au Parlement !
Du côté d’Axa, en revanche, les choses sont plus compliquées. Comment justifier un tel contrat avec François Fillon ? Quels conseils pouvait-il apporter au groupe d’assurances ? Axa ne court-il pas le risque d’être poursuivi pour abus de bien social, voire financement politique illégal pour avoir rémunéré l’ancien premier ministre ? Tout de suite après la révélation de ce contrat, le groupe a pris les devants. François Fillon « a notamment travaillé entre mi-2012 et mi-2014 sur les négociations en cours à l’époque sur la directive européenne Solvency 2, entrée en vigueur le 1er janvier 2016 », a-t-il indiqué à L’Argus de l’assurance. L’ancien premier ministre aurait en particulier permis « d’ouvrir des portes à Bruxelles et à Berlin ». Interrogé sur ses déclarations et le contenu exact de ces missions, le groupe d’assurances n’a pas répondu à nos questions.
Solvency 2 est une directive européenne visant à renforcer les règles prudentielles des assurances. Le cadre général a été adopté en novembre 2009, après la crise financière. Mais les dispositions précises pour fixer le cadre réglementaire se sont étalées jusqu’en 2014. Le texte a été transposé dans la législation française à la fin de 2014 et est entré en vigueur à partir du 1er janvier 2016.
L’ombre pesante d’Axa
Pendant ces années, les discussions ont tourné au bras de fer entre la Commission européenne et les assureurs. Ces derniers ont cherché par tous les moyens à obtenir la plus faible régulation possible, voire pas de régulation du tout. Au nom, bien sûr, de la sauvegarde du secteur, « désavantagé face à la concurrence mondiale ». Tout a été sujet à controverse : le niveau de fonds propres requis, les actifs risqués ou non, les positions à prendre en compte ou non.
À la seule évocation de l’ancien premier ministre conseiller d’Axa pour Solvency, les connaisseurs du secteur éclatent de rire. « C’est une plaisanterie », dit un financier, ancien administrateur d’un groupe d’assurances, qui soupçonne le candidat de droite de n’avoir jamais lu un bilan de ce type de groupe. Le soupçon est justifié : le monde de l’assurance est encore plus compliqué et technique que celui de la banque.
La députée PS Karine Berger, qui a été très active sur ces questions pendant toute la mandature, ne se souvient pas non plus avoir vu François Fillon se passionner pour la régulation bancaire et financière. Il n’appartient pas à la commission des finances et n’est jamais intervenu dans les débats. « C’est Jérôme Chartier [aujourd’hui conseiller spécial auprès de François Fillon – ndlr] qui est intervenu pendant toute la discussion sur la transposition en droit français de la directive Solvency 2 », indique-t-elle.
Alors que de multiples lobbies se sont activés dans les couloirs de Bruxelles pendant toutes ces années pour faire réécrire le texte, quel pouvait être l’apport de François Fillon ? Que signifie la mission « ouvrir des portes à Bruxelles et à Berlin » ? Tout laisse penser que l’ancien premier ministre a monnayé son carnet d’adresses auprès d’Axa. Une personne notamment pouvait intéresser Axa : Michel Barnier, alors commissaire européen chargé du marché intérieur et des services. À ce titre, c’est à lui que revenait la responsabilité d’écrire toutes les directives de régulation financière. Il affichait des positions très fermes sur ces sujets, mais a dû souvent reculer face aux gouvernements, français notamment, venus en soutien de leur secteur financier.
François Fillon connaît Michel Barnier de longue date. Comme lui, c’est un gaulliste historique. Tous les deux ont appartenu à cette jeune garde de droite qui s'est illustrée contre la gauche au pouvoir dans les années 1980, alors que le RPR et l'UDF ne se remettaient pas d'avoir perdu le pouvoir. Plus tard, Michel Barnier a été ministre de l'agriculture de François Fillon. Rien de plus facile donc pour l'ancien premier ministre que de glisser un mot en faveur d’Axa à Michel Barnier. Les élus font cela tous les jours pour défendre telle ou telle société implantée dans leur circonscription.
Mais Axa avait-il vraiment besoin de François Fillon pour défendre sa cause ? Outre les multiples lobbyistes, le groupe d'assurances a des défenseurs à Bercy et jusqu'au sommet de l'État. D’autant qu’à l’époque, l’assureur est un souci pour le ministère des finances, car il est fragilisé dans le monde financier. Les rumeurs abondent sur son cas. Il se murmure alors qu’il serait l’assureur européen qui aurait le plus de difficultés à remplir ses obligations prudentielles. Le cours boursier du groupe atteste en tout cas de ces problèmes : il est alors au plus bas historique, évoluant pendant plus de deux ans entre 8 et 10 euros.
La Commission européenne n’a pas répondu à nos questions pour savoir si un rendez-vous avec François Fillon figurait à cette période à l’agenda officiel de Michel Barnier. Mais un simple coup de fil peut suffire. L'a-t-il donné ? Cela justifie-t-il de recevoir en contrepartie une rémunération de 200 000 euros ? Poser la question est déjà donner la réponse. D’autant que par la suite, François Fillon a été amené en tant que parlementaire à se prononcer sur ce texte.
Dans tous les cas de figure, la position de François Fillon est intenable. Soit il n’a apporté aucun conseil réel à Axa et sa rémunération exorbitante apparaît comme un soutien illégal de la part de financiers. Soit il a monnayé pour le groupe d’assurances quelques entrées et s’est fait écho auprès de personnes influentes des désirs et des revendications de l’assureur, tout en se prononçant sur le texte législatif de transposition par la suite et le conflit d’intérêts est à tout le moins patent. Mais il est vrai que cette notion semble bien étrangère à François Fillon. Comme il le dit lui-même, la transparence est un fléau. Et l'honnêteté ?
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