Face aux menaces qui pèsent sur les agents publics après les annonces du candidat de droite à la présidentielle, François Fillon, la journée de mobilisation des fonctionnaires tourne à la défense de notre « modèle social ».
« Que veut-on comme services publics demain ? » interroge Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT santé. Dégradation des conditions de travail, remise en cause du temps de travail, attaques contre tous les versants de la Fonction publique : les agents sont inquiets. Quatre syndicats du secteur (CGT, FSU, Solidaires et FA-FP) appelaient ce mardi à se mobiliser dans l’ensemble des territoires. A Paris, après un rassemblement de près de 500 personnes, les représentants étaient reçus au cabinet de la ministre Annick Girardin pour évoquer entre autres revendications l’augmentation des salaires, l’amélioration des conditions de travail, le renforcement des garanties aux usagers du service public, un plan de titularisation pour les précaires. « Les projets de lois de finances et de financement de la Sécurité sociale 2017, marqués par l’austérité budgétaire, nous inquiètent aujourd’hui plus que jamais », insiste Mireille Stivala, dont la fédération a nourri la mobilisation du 8 novembre dans la santé et l’action sociale. « Après la recrudescence de suicides à l’hôpital, certains reconnus comme accidents du travail, la proposition du candidat Fillon de supprimer 500 000 postes de fonctionnaires et d’augmenter le temps de travail a été reçue comme une provocation. Les agents sont en épuisement professionnel et on leur répond qu’ils vont devoir travailler plus. A Paris, on pourrait fermer les hôpitaux de l’Assistance publique pendant un an pour écluser les heures des personnels placées en compte épargne-temps ! »
Depuis 2000, les agents ont perdu 18 % de pouvoir d'achat
« Les politiques posent la question des moyens dans les services publics, mais a-t-on les moyens de s’en passer ? », interroge Pascal Carretey, secrétaire national adjoint FA-FPH (autonome). Et d’ajouter : « Quand une infirmière doit s’occuper de trente patients la nuit, il ne lui est pas possible d’assurer pleinement leur sécurité ». Les syndicats mobilisés sont unanimes : inversons le postulat, estimons les services publics et la Fonction publique comme des richesses et non des coûts, investissons. « La fin du gel du point d’indice a permis au pouvoir d’achat d’augmenter de 1,2 %. Mais nous demandons un rattrapage car, depuis 2000, les agents ont perdu 18 % », détaille Denis Turbet-Delof, délégué général de Solidaires, qui souligne : « Plus de 20 % des agents vivent dans la précarité. Et maintenant M. Fillon veut s’attaquer aux régimes de retraite et aux complémentaires de santé. Même la Cour des comptes souligne qu’il s’agit d’un faux problème. Le Conseil d’orientation des retraites reconnaît que le système revient à l’équilibre. Il n’y a pas besoin de révolution sur le sujet. »
"Passer aux 39 heures va les arranger, ils travailleront deux heures en moins !"
La FSU, elle, s’amuse des bravades surréalistes pour séduire en se fondant sur des préjugés. « Les enseignants travaillent entre 40 et 42 heures, comme l’inspection générale l’a détaillé dans ses rapports. Passer aux 39 heures va les arranger, ils travailleront deux heures en moins ! » ironise Bernadette Groison. Mais attention, ponctue la secrétaire générale de la FSU, si techniquement on peut sabrer dans les effectifs, il faudra expliquer comment politiquement. « Soit on décide de ne plus rendre des services : fermer les ouvertures de piscine dans les communes, proposer moins de places à l’hôpital… Soit on privatise : et là, ça a un coût. Le coût moyen de l’éducation revient à 10 000 euros par an et par élève. Tout le monde ne pourra pas se le payer… »
A travers une réduction des dépenses publiques, on remet en cause l’équilibre qui a construit notre modèle social, veulent surtout alerter les syndicats. Attention à ne pas créer de dissensions dans la société. Pour eux, si on veut mettre en avant un modèle plus juste, plus solidaire, cela passera nécessairement par une Fonction publique forte.
Et le mardi 29 novembre, sous la plume de la même journaliste de l'Humanité:
10 % des effectifs de la fonction publique seraient-ils superflus ? Non, répondent les fonctionnaires, qui s’inquiètent du projet de société que le candidat de droite François Fillon associe à cette proposition.
Peut-on passer à la trappe 500 000 fonctionnaires sans atrophier les services publics ? Pour le candidat de droite à la présidentielle, la réponse est comptable. Ce choix est « nécessaire pour atteindre l’équilibre des comptes publics », déclarait-il lors du dernier débat des primaires l’opposant à Alain Juppé, jeudi dernier. Si l’équation paraît simple pour François Fillon, les inconnues demeurent pour les agents : quels métiers, quels secteurs seront les plus touchés par la faucheuse ? Le député de Paris entretient le flou, promettant juste de s’attaquer aux trois versants de la fonction publique (État, hôpital, territoires) pour ne pas faire de jaloux. Ses propositions à l’emporte-pièce inquiètent tant les personnels que les usagers, qui ne voient pas comment l’on pourrait garantir l’égalité de traitement et la solidarité entre citoyens en amputant l’emploi public de 10 %.
« Supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires consiste à ne remplacer aucun départ à la retraite de 2018 à 2022, analyse Jean-Marc Canon, de l’Union générale de fédérations de fonctionnaires CGT. À la suite des réformes rétrogrades sur les retraites (abaissement des droits, recul de l’âge, etc.), les chiffres actuels montrent que le flux annuel des départs diminue sensiblement année après année. On peut estimer à 500 000 le nombre maximal d’agents qui feront valoir leur droit. Mais pour supprimer autant d’emplois, il ne faudra en remplacer strictement aucun d’ici à 2022. » Or, dans le même temps, François Fillon veut en finir avec les régimes spéciaux et imposer à tout le monde la retraite légale à 65 ans. « De telles mesures ne pourront que retarder significativement l’ouverture des droits des agents. Si la réforme des retraites passe, il n’y aura jamais 500 000 fonctionnaires qui partiront à la retraite dans la mandature », remarque, narquois, le secrétaire général de l’UGFF. Mais François Fillon a prévu un autre argument. Si, au départ, il ne pointait du doigt que les stricts fonctionnaires, son vocabulaire a évolué. L’ex-premier ministre de Sarkozy évoque plus largement l’emploi public, incluant ainsi les vacataires et autres contractuels. Soit 100 000 missions par an. Une solution complémentaire pour puiser dans les effectifs.
Le risque d’une privatisation de certaines fonctions
Mesure-t-on plus en détail à quoi peut correspondre ce chiffre ébouriffant ? Des centaines de milliers d’emplois d’infirmiers, de médecins, de contrôleurs des impôts, de policiers, de militaires, d’enseignants… avec pour ligne de fuite une privatisation de certaines fonctions. Et un risque pour le respect des principes d’égalité, de solidarité, de proximité et d’unité territoriale garantis par les services publics. Sur 5,4 millions d’emplois, l’hôpital concentre 1,15 million d’agents. Mais tous ne sont pas fonctionnaires. « 150 000 contractuels occupent des postes permanents dans la fonction publique hospitalière », alerte Jean Vignes, secrétaire général de la fédération SUD santé sociaux. Le 8 novembre, l’intersyndicale de la santé (CGT, FO, SUD) était mobilisée pour défendre l’hôpital et obtenir plus de moyens, dénonçant « les dégradations extrêmes des conditions de travail des personnels ainsi que l’augmentation de la mortalité et la diminution de l’espérance de vie de la population inhérentes à ces politiques ». Rogner sur les effectifs ne pourra qu’entraîner une nouvelle dégradation de ce service public, d’autant que les syndicats ont évalué à 33 000 postes le nombre d’heures accumulées sur leur compte épargne temps par les salariés de l’hôpital…
L’ex-ministre de l’Éducation nationale, entre mars 2004 et mai 2005 sous Jacques Chirac, pourra-t-il s’attaquer raisonnablement à cet autre secteur ? « Réduire les effectifs serait une catastrophe, avertit Marc Oudot, professeur de lycée à Gonesse (Val-d’Oise) et syndiqué Snes. Cela entraînerait un recul pour toute la population avec un service public de moindre qualité et la difficulté d’assurer des remplacements en banlieue. Le nombre d’adultes présents dans l’établissement est un élément essentiel pour un enseignement de qualité. » Ce professeur souligne la présence déjà grandissante des vacataires et contractuels exerçant des temps partiels dans les établissements, s’inquiétant de la précarisation rampante de la profession. « Nous avons fait grève en début d’année pour créer une classe supplémentaire afin de désengorger les cours. On nous opposait comme argument que l’éducation nationale n’arrivait pas à recruter d’enseignants. En dégradant les conditions de travail, on aura toujours plus de mal à recruter ! » Autre sujet inquiétant pour les enseignants : les promesses de moyens supplémentaires accordés à l’école privée et d’autonomie des établissements. « Fillon veut renforcer le contrôle du chef d’établissement, en faire un manager local qui aura plus de pouvoir sur les enseignants, grâce à la prime au mérite, à la possibilité subjective de répartir les heures supplémentaires en fonction des enseignants… » Une idéologie qui ne serait pas sans influence sur l’enseignement.
Au bout de la chaîne, c’est la collectivité qui paiera plus cher
Si partout, la réduction des effectifs apparaît problématique, ses conséquences sur les missions se révèlent dangereuses. Depuis plusieurs années, la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes tire la sonnette d’alarme. On se souvient du scandale des lasagnes au cheval, de la viande contaminée. La DGCCRF contrôle aussi la sécurité des jouets, des aires de jeux, la prestation des banques et assurances, les commandes publiques… « Nous étions 3 000 agents à la DGCCRF avant la révision générale des politiques publiques, constate Évelyne Wichegrod, enquêtrice dans les Pyrénées-Atlantiques. Sur le terrain, les services de contrôles ne sont plus que 2 000. L’emploi est gelé pour la quatrième année consécutive. Des missions ne sont plus exercées, on réduit l’accueil aux consommateurs et on étend notre territoire. On développe la “multispécialisation”, c’est-à-dire que nous devenons des spécialistes polyvalents, donc nous n’avons plus le temps de mettre à jour nos compétences ni de nous former correctement. Les textes se complexifient et nous sommes de moins en moins nombreux. » Les agents s’inquiètent de ne plus avoir le temps de rechercher les indices d’entente, les pratiques d’anticoncurrence lors d’une ouverture d’un marché public. « Dans certains départements, il n’y a plus de personnes pour aller aux commissions d’appel d’offres, s’inquiète la militante CGT. On asphyxie l’administration qui contrôle les entreprises. » Au bout de la chaîne, c’est la collectivité qui paiera plus cher, car l’administration de contrôle n’a déjà plus les moyens de vérifier partout les possibles collusions en amont d’une signature de contrat. Les autres administrations de contrôle (sanitaire, vétérinaire) souffrent des mêmes manques.
Si dans son programme François Fillon assure vouloir donner les moyens aux ministères régaliens (sécurité, justice), ses propos sur le rapprochement entre police municipale et police nationale ont éveillé des craintes. « Police nationale et municipale n’ont pas les mêmes compétences, ni le même temps de formation, analyse Anthony Caillé, de la CGT police Paris. La police municipale ne rend pas compte de ses activités aux magistrats mais à l’édile, qui constitue le premier magistrat de la commune. » Séparer les pouvoirs au niveau national garantit l’indépendance des fonctionnaires et les libertés des citoyens. Si la police municipale ne répond de ses actes qu’au maire de la ville, on imagine les pressions en période électorales. Voici pourquoi seule la police nationale peut aujourd’hui contrôler les identités, prendre les dépôts de plainte, ou faire respecter l’état d’urgence. Dans la Constitution, la police est une mission régalienne de l’État. Attention aux dérapages…
En taillant dans les effectifs, en s’attaquant au statut des fonctionnaires par un glissement des missions, le programme du candidat de droite est dangereux. Pour tous les agents de tous les secteurs confondus, il s’agit, au-delà de leurs propres conditions de travail, de défendre un enjeu sociétal majeur pour l’intérêt général.
Dans son combat acharné contre les fonctionnaires, François Fillon en a-t-il oublié ses fondamentaux ? Depuis deux décennies, la droite explique en effet que les 35 heures sont une « erreur économique » car le travail n’est pas un « gâteau que l’on partage » en un plus grand nombre de parts pour en donner une à chacun. Et voilà que François Fillon a trouvé la martingale pour supprimer un demi-million de postes de fonctionnaires : il faut pour cela, explique-t-il, rétablir les 39 heures de travail hebdomadaires. Le calcul, en effet, est simple : en augmentant le temps de travail de 10 %, on peut économiser « l’équivalent de 500 000 postes », écrit le candidat de la droite dans son programme. Mais alors, il faut choisir, François Fillon : soit il n’y a pas de lien avéré entre les 35 heures et l’existence de ces 500 000 emplois, et alors augmenter le temps de travail ne peut servir de prétexte à les supprimer. C’est en effet la doctrine officielle de la droite depuis que les 35 heures existent. Soit la droite, et François Fillon avec elle, nous racontent des bobards depuis vingt ans, et les 35 heures sont bien responsables de la création ou de la sauvegarde de centaines de milliers d’emplois dans le pays, que la remise en cause de la durée du travail va détruire irrémédiablement. CQFD. Merci de cette belle démonstration, François Fillon.
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