Les 19 et 20 octobre, 8 anciens salariés de Goodyear vont passer devant la cour d'appel d'Amiens. en première instance, ils ont été condamnés à 9 mois de prison ferme pour une « séquestration » dénuée de violence, alors qu'ils se battaient contre la fermeture de leur usine. Un procès de portée historique.
L'annonce est tombée comme une bombe le 12 janvier dernier. Huit anciens salariés de Goodyear Am iens (Som me) sont condamnés par le tribunal correctionnel d'Amiens à 24 mois de prison dont 9 ferme, pour avoir retenu deux cadres dirigeants début 2014. En plein conflit social, alors que les 1 143 salariés de l'usine vivaient depuis un an dans l'angoisse d'une fermeture prochaine, le directeur de la production ainsi que son DRH avaient dû passer 30 heures dans les locaux. Mais il n'y a pas eu la moindre violence physique, comme le reconnaissait d'ailleurs à l'époque le directeur du site : « On ne peut pas dire que je sois traumatisé », déclarait Michel Dheilly au micro de RTL (8 janvier 2014) au sortir de son « épreuve ». Avant d'évoquer une « tension palpable » dans les échanges verbaux avec les syndicalistes, mais une absence de maltraitance.
La condamnation de janvier a déclenché un tollé politique à la gauche du Parti socialiste, mais un silence radio de la part du gouvernement, à l'exception notable de Pascale Boistard, ancienne députée de la Somme et secrétaire d'État aux Droits des femmes : « Devant une si lourde condamnation, je ne peux qu'exprimer mon émotion fraternelle », écrit-elle sur Twitter. La dimension politique de la décision de justice est d'autant plus évidente que la direction de la multinationale américaine avait retiré sa plainte, laissant au procureur (dép endant de la garde des Sceaux) le soin de poursuivre les salariés. Reynald Jurek, ouvrier de Goodyear condamné, résume en deux phrases toute la portée symbolique de cet acharnement : « Le gouvernement a voulu faire de nous un exemple, et dire aux gens : "Faites attention si vous vous battez pour votre boulot, regardez ce qui peut vous attendre !" »
DU JAMAIS-VU DEPUIS 1948
Le quinquennat de François Hollande s'est caractérisé par une criminalisation du mouvement syndical, depuis l'affaire de la chemise arrachée à Air France jusqu'à la répression des manifestants antiEl Khomri. Néanmoins, le procès Goodyear revêt un caractère exceptionnel, du fait de la lourdeur des condamnations. Rarement des salariés défendant leur outil de travail ont été à ce point matraqués. Pour trouver des peines aussi lourdes que celles prononcées à Amiens, il faut remonter à la grande grève des mineurs de 1948, selon l'historien spécialiste des mouvements sociaux Michel Pigenet. À l'époque, l'armée était intervenue pour casser la grève des « gueules noires », qui avaient été victimes d'une répression impitoyable. « Selon les recherches d'un de mes étudiants, les tribunaux de l'époque ont infligé 1073 condamnations dont 10 % à des peines de prison ferme dont la durée était en général inférieure à un an », explique Michel Pigenet (« HD » du 21 janvier 2016).
DÉSASTRE SOCIAL ET HUMAIN
Évidemment, la condamnation d'Amiens, tout comme l'affaire de la chemise arrachée à Air France, a été suivie d'une condamnation quasi unanime de la violence physique dont auraient fait preuve les ouvriers. En revanche, la brutalité sociale infiniment plus délétère, à laquelle ils n'ont fait que répondre, est passée sous silence. La fermeture de l'usine d'Amiens a laissé 1 143 salariés sur le carreau. Sur les 1 143 licenciés, à peine 250 auraient réussi à retrouver un emploi, selon les derniers chiffres donnés par la direction de la multinationale. Comme souvent, ce désastre social a entraîné des drames humains. « Il y a eu beaucoup de séparations, racontait Évelyne Becker, déléguée CGT, au lendemain de la condamnation de janvier. Et puis, surtout, nous avons eu 12 décès depuis la fermeture, dont 9 pour maladies... Et 3 suicides. » Cette « violence-là, qui en parle ?
LA CGT veut faire du procès en appel des goodyear « un temps fort de sa campagne pour les libertés syndicales ». dans un communiqué commun, la confédération, l'union départementale de la somme, la CgT chimie et la CgT goodyear appellent à la « mobilisation » et la « grève » les 19 et 20 octobre. elles pointent la « forte responsabilité » du gouvernement « dans la criminalisation de l'action syndicale » et insistent sur la nécessité « d'être le plus nombreux possible devant le tribunal d'amiens », pour dénoncer des « procédures judiciaires scandaleuses et indignes d'une démocratie ».
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