L’humanité est une. Tant que le coronavirus circulera en un coin de notre planète, nul être humain ne sera à l’abri, qu’il soit vacciné ou non. C’est la leçon qu’on peut tirer de l’émergence du variant brésilien. Là-bas, le président d’extrême droite Jair Bolsonaro a décidé de laisser le sort de ses citoyens à la main libre du virus. Résultat : celui-ci s’est répandu comme la poudre et a muté, contaminant des gens censés être immunisés par une précédente infection. Le jour viendra, si le virus continue de trouver des hôtes en abondance, où celui-ci évoluera au point de rendre obsolètes les sérums existants. Pour les dirigeants des pays occidentaux où la campagne d’immunisation devrait s’achever avant la fin de l’année, penser s’en sortir à bon compte en vaccinant ici, mais en laissant le virus faire des ravages au sud, c’est s’exposer à un retour de boomerang.
La bataille de la production de vaccins doit être gagnée. Si on laisse une poignée de multinationales et start-up l’organiser, jamais la pénurie ne sera vaincue. L’Inde et l’Afrique du Sud proposent depuis l’an passé d’activer une disposition de l’Organisation mondiale du commerce qui permet à un État d’exiger une levée des brevets sur les vaccins en cas de « situation d’urgence nationale ». Qui peut nier qu’on soit dans une telle situation ? Pour l’heure, les riches pays du Nord, Union européenne en tête, font obstacle. Depuis novembre, une initiative citoyenne européenne « Pas de profits sur la pandémie », soutenue par des partis et personnalités de gauche, par les principaux syndicats et de nombreuses ONG, cherche à recueillir un million de signatures pour demander à la Commission européenne qu’elle lève la protection intellectuelle sur les sérums et médicaments nécessaires pour lutter contre le fléau. L’idée fait son chemin. 170 ex-chefs d’État et de gouvernement ou prix Nobel viennent d’inviter le président américain, Joe Biden, à lever les brevets. Nous ne serons protégés que lorsque l’ensemble de l’humanité, plus de 7,8 milliards d’hommes et femmes, le sera.
« Pas de profit sur la pandémie ». Des États du Sud, qui en font la demande à l’Organisation mondiale du commerce, aux citoyens du Nord, qui interpellent l’Union européenne, la demande d’une suspension des règles de propriété intellectuelle devient un impératif. Retour sur une bataille pour faire du vaccin un bien public mondial.
La vaccination peut faire des miracles. L’an dernier, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a pu déclarer l’Afrique libre de la poliomyélite sauvage, une maladie très invalidante. Cette éradication a été possible grâce à une vaste campagne de vaccination. Si elle avait été menée avec les critères actuels, elle aurait coûté les yeux de la tête.
On doit le sérum contre la polio à Jonas Salk, virologiste états-unien, qui a fait le choix de ne pas déposer de brevet. « Peut-on breveter le soleil ? » avait-il alors ironisé. Son vaccin fonctionnait avec un virus affaibli. Depuis, des centaines de millions d’enfants et adultes ont été protégés par sa découverte.
Soif de profits
Et si on faisait la même chose avec les vaccins contre le Covid-19 ? La question est plus que légitime. Quelques firmes vont engranger de juteux profits grâce à la pandémie. En février, Pfizer se prédisait une marge de 4 milliards de dollars (3,35 milliards d’euros) grâce à son vaccin. Pour les autres multinationales ou laboratoires, les chiffres sont similaires, bien qu’ils aient bénéficié d’immenses fonds publics pour financer leurs recherches.
Cette soif de profits pose souci. L’Europe, mais aussi les pays du Sud peinent à protéger leur population, car les détenteurs de brevets sont incapables de fournir des doses de vaccin en quantité suffisante, ne disposant pas des capacités de production nécessaires.
Pourtant, les usines de leurs concurrents, qui n’ont pas découvert le précieux sérum, ne tournent pas à plein et pourraient être utilisées à bon escient. Tout cela dépend, bien sûr, du bon vouloir des détenteurs de brevets, qui autorisent, ou non, leurs concurrents à produire le vaccin, moyennant rémunération. Le hic est que, bien que s’appuyant sur la recherche publique sur les ARN messager, ce sont des entreprises privées qui ont développé un vaccin. En France, l’Institut Pasteur a échoué.
Des sérums sans financement
D’autres équipes de chercheurs ont trouvé un vaccin, comme celle constituée par le virologue Kalle Saksela, en Finlande. Ils ont trouvé un sérum nasal, testé sur les animaux, qui était presque finalisé en mai. Mais, faute de financements, les tests sur les humains n’ont pas encore été lancés et ne le seront que prochainement. Seule l’Académie des sciences de Finlande a participé au tour de table. La découverte aurait pourtant un avantage : sa facilité d’administration.
Cet exemple est assez unique. Partout dans le monde, une autre option est avancée : la levée temporaire des brevets. Une proposition en ce sens est sur la table de l’Organisation mondiale du commerce, faite par l’Afrique du Sud et l’Inde, le 2 octobre 2020. Elle est « sponsorisée » par 57 États, et soutenue par une majorité de membres.
Obstruction des pays occidentaux
Les pays occidentaux, où se trouvent les sièges des multinationales du médicament, font de l’obstruction. Les pays du Sud ne sont pas les seuls à exiger une levée des brevets. Des centaines d’ONG, partis politiques et syndicats demandent, en Europe, une décision en ce sens, face à l’incapacité des multinationales et start-up à relever le défi de la bataille de la production.
Une initiative citoyenne européenne – « Pas de profit sur la pandémie » – est portée notamment par le groupe la Gauche (ex-GUE/NGL) au Parlement européen, des ONG, des syndicats et des partis. Elle vise à collecter un million de signatures pour exiger que la Commission européenne présente une législation faisant la transparence sur l’utilisation des fonds publics par les multinationales, mais surtout à permettre une dérogation temporaire aux brevets sur les vaccins afin d’accélérer leur production.
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