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25 septembre 2019 3 25 /09 /septembre /2019 06:02
Tribut à Tristan - 4. Le poète contumace

Tristan Corbière est un immense poète, d'une grande modernité, qui a su nourrir la poésie d'un refus du beau style et du formalisme éthéré, d'un réalisme cru et d'un souci d'expression intime et sociale, un poète d'une grande inventivité verbale mêlant une culture littéraire certaine nourrie à la mamelle de Villon, Baudelaire et consorts, un sens de l'irrévérence et le souci de faire rentrer la langue de la rue dans le poème. Un homme de la bohème d'une sensibilité maladive, mélancolique, goguenarde, et cynique, portée sur l'auto-dérision et le sens du paradoxe, le refus de l'esprit de sérieux, manifestant aussi de vrais sentiments, un intérêt pour la vie populaire, les marginaux, les chansons et coutumes du peuple, notamment de Basse-Bretagne.  Son unique recueil, "Les Amours Jaunes" n'est paru, de manière très confidentielle, qu'en 1873, deux ans avant sa mort. C'est Verlaine qui l'a fait connaître après sa mort en lui consacrant notamment une de ses études sur "Les Poètes maudits" en 1884.   Il sera ensuite un des poètes favoris du mouvement Dada (Tristan Tzara préfacera une édition des "Amours Jaunes" en 1947) et surréaliste.

Tristan est né à Morlaix, au manoir de Coat Congar, en Ploujean, le long de l'avenue de Launay. 

Il est né Édouard (Édouard-Joachim), comme son père, homme d'affaires self-made-man, ancien mousse, patron d'une compagnie de navigation transportant marchandise et voyageurs entre Morlaix et Le Havre, et grand écrivain maritime à succès, auteur du "Négrier", roman édité quatre fois de son vivant. Sa mère Marie-Angélique était une Puyo, d'une famille de notable morlaisiens.

Le nom de plume de notre poète, Triste-en-Corps-Bière, Tristan Corbière, dit sa conscience de la mort qui progresse en lui, son humour noir, et son goût du macabre et du spectacle, son rire jaune de dandy malheureux et maladif.

Tristan est mort à Morlaix et est enterré au cimetière Saint-Martin. Il a vécu à Morlaix de 1845 à 1859, date où il rejoint le Lycée Impérial de Saint-Brieuc. Il sera très malheureux, puis poursuivra le lycée à Nantes, avant de revenir en Bretagne, sans pouvoir passer son bac, tentant de se soigner de ses terribles rhumatismes et sa tuberculose à Roscoff, dans la maison de vacances de ses parents.

Il a vécu plusieurs années à Roscoff, multipliant les canulars et les scandales, comme entre 1864 et 1868, puis à Morlaix à nouveau en 1869 après un voyage à Italie. Il s'est installé à Montmartre après la Commune, en 1872, avant de mourir dans sa trentième année à Morlaix en 1875. Tristan Corbière est enterré au cimetière Saint-Martin, non loin de la gare de Morlaix.

Nous avons voulu dans le Chiffon Rouge rendre hommage à ce génie précoce trop peu connu du grand public, poète universel et plus grand des Morlaisiens dans le domaine de l'art sans doute.

De la sorte, nous publierons régulièrement pendant un mois des poèmes de Tristan pour le partager avec les lecteurs du "Chiffon Rouge" la modernité, la beauté mendiante et l'émotion, de cette poésie.

Le Poète Contumace, Les Amours Jaunes (1873) -

Extraits:
"Sur la côte d'ARMOR. – Un ancien vieux couvent,
Les vents se croyaient là dans un moulin-à-vent,
Et les ânes de la contrée,
Au lierre râpé, venaient râper leurs dents
Contre un mur si troué que, pour entrer dedans,
On n'aurait pu trouver l'entrée.

– Seul – mais toujours debout avec un rare aplomb,
Crénelé comme la mâchoire d'une vieille,
Son toit à coups-de-poing sur le coin de l'oreille,
Aux corneilles bayant, se tenait le donjon,

Fier toujours d'avoir eu, dans le temps, sa légende...
Ce n'était plus qu'un nid à gens de contrebande,
Vagabonds de nuit, amoureux buissonniers,
Chiens errants, vieux rats, fraudeurs et douaniers.

– Aujourd'hui l'hôte était de la borgne tourelle,
Un Poète sauvage, avec un plomb dans l'aile,
Et tombé là parmi les antiques hiboux
Qui l'estimaient d'en haut. – Il respectait leurs trous, –
Lui, seul hibou payant, comme son bail le porte :
Pour vingt-cinq écus l'an, dont : remettre une porte. –

Pour les gens du pays, il ne les voyait pas :
Seulement, en passant, eux regardaient d'en bas,
Se montrant du nez sa fenêtre ;
Le curé se doutait que c'était un lépreux ;
Et le maire disait : – Moi, qu'est-ce que j'y peux,
C'est plutôt un Anglais... un Être.

Les femmes avaient su – sans doute par les buses –
Qu'il vivait en concubinage avec des Muses !...
Un hérétique enfin... Quelque Parisien
De Paris ou d'ailleurs. – Hélas ! on n'en sait rien. –
Il était invisible ; et, comme ses Donzelles
Ne s'affichaient pas trop, on ne parla plus d'elles.

– Lui, c'était simplement un long flâneur, sec, pâle ;
Un ermite-amateur, chassé par la rafale...
Il avait trop aimé les beaux pays malsains.
Condamné des huissiers, comme des médecins,
Il avait posé là, soûl et cherchant sa place
Pour mourir seul ou pour vivre par contumace...

Faisant, d'un à-peu-près d'artiste,
Un philosophe d'à peu près,
Râleur de soleil ou de frais,
En dehors de l'humaine piste.

Il lui restait encore un hamac, une vielle,
Un barbet qui dormait sous le nom de Fidèle ;
Non moins fidèle était, triste et doux comme lui,
Un autre compagnon qui s'appelait l'Ennui.

Se mourant en sommeil, il se vivait en rêve.
Son rêve était le flot qui montait sur la grève,
Le flot qui descendait ;
Quelquefois, vaguement, il se prenait attendre...
Attendre quoi... le flot monter – le flot descendre –
Ou l'Absente... Qui sait ?

Le sait-il bien lui-même ?... Au vent de sa guérite,
A-t-il donc oublié comme les morts vont vite,
Lui, ce viveur vécu, revenant égaré,
Cherche-t-il son follet, à lui, mal enterré ?

(...)
– Est-ce qu'il pouvait, Lui !... n'était-il pas poète...
Immortel comme un autre ?... Et dans sa pauvre tête
Déménagée, encor il sentait que les vers
Hexamètres faisaient les cent pas de travers.
– Manque de savoir-vivre extrême – il survivait –
Et – manque de savoir-mourir – il écrivait :

(...)

Penmarc'h – jour de Noël.

Tristan Corbière (1845-1875)

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