Art. La biographie de Catherine Grenier fait revivre la figure de ce sculpteur acharné, pétri de doutes, aussi sociable que séducteur malgré lui.
Alberto Giacometti
de Catherine Grenier
Flammarion, 350 p., 25 €
Sur Alberto Giacometti. Ses amis, Jean Genet, Isaku Yanaihara ou Michel Leiris ont laissé de précieux témoignages, puis le poète Yves Bonnefoy une magistrale monographie, après celle – plus controversée – de James Lord.
Cette nouvelle biographie, signée par la directrice de la Fondation Giacometti à Paris depuis 2014, apporte toutefois un témoignage plus précis sur l’homme et sa vie. L’auteure s’est en effet plongée dans les archives, et dans sa correspondance avec ses proches, dont ses parents restés à Stampa, en Suisse.
Au fil des pages s’esquisse ainsi le portrait d’un artiste précoce, encouragé par son père peintre, mais rapidement en butte à la difficulté de saisir le réel dans son entier mystère. « Il ne faut pas (…) avoir peur de détruire pour refaire, mais de la même façon qu’on ne peut pas rejoindre le sommet d’une montagne d’un seul jet, (…) on ne peut pas atteindre dans une seule œuvre la perfection (…) », lui écrit alors son père, en bon montagnard.
Ce conseil-là, Alberto Giacometti le suivra toute sa vie, dans ses portraits cernés de traits infinis comme dans des sculptures épurées jusqu’à l’os.
« Je travaille tout le temps. Ce n’est pas par volonté, c’est parce que je n’arrive pas à décrocher. (…) Alors ça fait une vie de forçat », confiait ainsi le sculpteur filmé en 1963, trois ans avant sa mort, dans son atelier misérable de la rue Hippolyte-Maindron à Paris, qu’il n’avait pas quitté malgré la fortune venue.
Pourtant, au-delà de cette image d’un solitaire entièrement dévoué à son art, assisté par son frère Diego, Catherine Grenier montre combien Alberto, causeur ironique et paradoxal, vivait en réalité entouré à Montparnasse d’un important réseau d’amis. Sympathisant communiste, il s’était lié d’abord aux deux bandes surréalistes rivales, celle de Breton et celle de Bataille, avant d’être exclu de la première pour délit de retour à la figuration.
Après des collaborations avec le décorateur Jean-Michel Frank, il avait noué aussi des amitiés avec le couple Sartre-Beauvoir, Samuel Beckett et des artistes comme Laurens, Braque, Picasso, Balthus, Derain… Intransigeant et très attaché à sa liberté, Giacometti rompit quelques fois ses liens, notamment avec ses galeristes.
Le livre évoque aussi ses liaisons amoureuses, donnant chair à plusieurs de ses modèles, dont son épouse Annette, rencontrée en Suisse pendant la guerre.
Le sculpteur hésitera toute sa vie à quitter son atelier et ce cercle chaleureux, hormis pour des visites à Stampa. Malgré de grandes expositions dès les années 1950 dans les musées américains, il attendra la toute fin de sa vie pour traverser l’Atlantique.
« L’aventure, disait-il, la grande aventure, c’est de voir surgir quelque chose d’inconnu chaque jour, dans le même visage. Ça vaut tous les voyages autour du monde. »
Giacometti et Rol Tanguy
Au moment de la Libération, l’artiste crée, à l’initiative de Louis Aragon, une série de portraits d’Henri Tanguy (1908-2002), dit Colonel Rol-Tanguy, militant communiste et héros de la Résistance durant la Seconde Guerre mondiale : chef des Forces Françaises de l’Intérieur de la région Île-de-France en 1943, il mène la Libération de Paris avant l'arrivée des blindés du général Leclerc.
Sa sensibilité de gauche antifasciste, ses liens avec les différentes mouvances du surréalisme et avec l’Association des Écrivains et Artistes Révolutionnaires seront ainsi rappelés par la série de six dessins politiques exécutés vers 1932 par le sculpteur, qui déclare alors dans une lettre à Breton : « Je ne conçois pas la poésie et l’art sans sujet. J’ai fait pour ma part des dessins pour La Lutte, dessins à sujet immédiat et je pense continuer, je ferai dans ce sens tout ce que je peux qui puisse servir dans la lutte de classes ».
D’après Alberto Giacometti lui-même, les séances de pose avec Rol-Tanguy furent un moment fort dans les rencontres faites après son retour à Paris après la guerre : « Il n’a rien à faire avec le type du militaire, l’allure des jeunes généraux de Napoléon, il est très vif et intelligent, nous parlons de livres de guerre, etc. »
(Fondation Giacometti)
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