J'ai eu l'honneur d'écrire et de prononcer, ce dimanche 14 juillet, l'allocution de l'ANACR lors de la grande cérémonie du 75e anniversaire, organisée en hommage au maquis de Kernabat à Scaër, et des 18 jeunes hommes tombés ce jour de juillet 1944. Le voici :
"Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdames et Messieurs de la gendarmerie, sapeurs pompiers,
Mesdames et Messieurs les anciens résistants, descendants de résistants,
Mesdames et Messieurs les portes-drapeaux,
Chers amis fidèles de la résistance et du devoir de mémoire,
75 ans. 75 ans, c'est presque le temps d'une vie. C'est largement suffisant pour l'oubli. Heureusement, nous sommes encore nombreux à entretenir la mémoire de la résistance. Et c'est pourquoi il nous semblait important, en ce 14 juillet, ce jour où chacun dans nos villes et villages allons célébrer la Fête Nationale, de nous réunir d'abord ici, à Kernabat, puis à Quillien, pour nous rappeler ce moment de notre histoire. Pour se souvenir des 18 jeunes hommes tombés ici. Pour nous réunir en dignes héritiers de leur combat, de leur sacrifice. Ainsi, nous restons fidèles aux résistants, et aux déportés qui dans les camps de concentration et d'extermination se passaient ce message, relayé plus tard par Simone Veil : « Rentrez et racontez, pour que l'on sache, et que cela ne puisse plus se reproduire » .
80 ans. 80 ans n'ont pas suffit pour tirer toutes les leçons de l'Histoire, pour ne pas se laisser tenter par les mêmes processus qui ont conduit le monde vers la plus grande barbarie de son histoire moderne. L'Homme se laisse encore tenter par le repli sur soi, le rejet de l'autre, le nationalisme exacerbé, la violence, la guerre et le fascisme. Ce même cocktail explosif qui a conduit presque démocratiquement Hitler au pouvoir, qui a fait le lit du 3e Reich, et qui déclara la guerre à la France en septembre 1939. Le nouveau monde dont nous parle trop souvent a le goût rance et l'odeur de souffre. Il nous montre trop souvent l'impression d'un « Déjà vu ».
100 ans. Plus d'un siècle s'est écoulé depuis la mise en garde de Jean Jaurès lorsqu'il s'opposait à la première boucherie mondiale. Aujourd'hui, nombreux sont les signes inquiétants et nous devons répéter sans cesse les mots de Jaurès : « Toujours votre société violente et chaotique, même quand elle veut la paix, même quand elle est à l'état de l'apparent repos, porte en elle la guerre, comme la nuée dormante porte l'orage ».
1 an. Il y a un an, grâce au travail de tous les gardiens de la mémoire, avec le soutien des familles, les jeunes du Conseil Municipal de Scaër redonnaient un visage aux 18 héros tombés à Kernabat. « A chaque rue de Scaër, de Tourch, de Rosporden, de Coray… A chaque rue sa peine, à chaque croix son martyr », dit-on.
Mais derrière l'Histoire se cache toujours des hommes, des femmes, des fils et des filles, des histoires intimes, des convictions, des luttes, des tempéraments, des doutes, des peurs… Et pour tous, l'acceptation d'une mort possible, mais certainement l'envie de vivre libre chevillée au corps. Ils étaient « nous », ouvriers, paysans, artisans, commerçants..., « juste quelques hommes, quelques hommes Justes ».
75 ans. Et si peu de survivants. Si peu de vivants . Tant d'hommages à rendre, tant à mettre en terre. Le temps est un ennemi implacable. Imbattable. 75 ans pendant lesquelles les acteurs de la résistance, leurs héritiers, les citoyens de ce pays, vous et tant d'autres, ont raconté l'histoire…. Dans les livres, les écoles, au cours des cérémonies, dans des documents, pour que rien ne tombe dans l'oubli… Comment pourrions nous d'ailleurs oublier les paroles de Léonard Cohen dans sa chanson « Le Partisan » : « Les allemands était chez moi. Ils m'ont dit résigne toi, mais je n'ai pas peur. J'ai repris mon arme. J'ai changé 100 fois de noms, j'ai perdu femme et enfants, mais j'ai tant d'amis. J'ai la France entière ! Un vieil homme dans un grenier, pour la nuit nous a caché, les allemands l'ont pris. Il est mort sans surprise ! ».
75 ans pour tracer ici le chemin de la mémoire, y associer la population, les propriétaires, les élus, alors que dans les manuels scolaires, l'épisode de la résistance, comme ils disent, se réduit comme peau de chagrin… Comme un détail de notre histoire commune. Et encore tant de travail à effectuer : rendre toute leur place aux femmes dans la résistance, sans qui rien n'aurait été possible, associer les populations civiles qui elles aussi ont payé un lourd tribu, rendre une justice équitable à ceux qui ont été jugé à l'issue de la libération.
Tant d'années passées, tant de rassemblements ici à Kernabat et Quillien, avec en tête la phrase de Lucie Aubrac : « Le verbe « résister » doit toujours se conjuguer au présent ». Alors notre message va vers la jeunesse qui reprend le flambeau. Celle vers laquelle Simone Veil confiait sa confiance , je cite : « « Les jeunes générations nous surprennent parfois en ce qu'elles diffèrent de nous. Nous les avons nous-même élevées de façon différente de celle dont nous l'avons été. Mais cette jeunesse est courageuse, capable d'enthousiasme et de sacrifices comme les autres. Sachons lui faire confiance pour conserver à la vie sa valeur suprême » .
Et dans sa merveilleuse chanson « Jeunesse, Lève toi ! », Damien Saez vous exhorte, je cite encore :
Puisqu'ici il n'y a qu'au combat qu'on est libre
De ton triste coma, je t'en prie libère-toi !
Puisqu'ici il faut faire des bilans et du chiffre
Sont nos amours toujours au bord du précipice,
N'entends-tu pas ce soir chanter le chant des morts
A la mémoire de ceux qui sont tombés pour toi
Jeunesse lève toi !
Nous associons à ces paroles, Pierre Hugues, des Freedom Angels, association qui participe aux reconstitutions que nous avons organisé au Grand Champ à Scaër. Vous avez pu assister hier au parachutage sur Kernabat, et nous vous invitons à venir découvrir aujourd'hui le camp allié, la vie des résistants, le matériel, sur le même site. Et nous les remercions évidemment de faire de ce 75e anniversaire un événement si particulier à Scaër.
Aussi, il nous faut rappeler en quelques lignes les faits qui se sont déroulés ici, il y a 75 ans précisément.
Ici, Radio Londres : « Les Français parlent aux Français ! Message personnel : Le Vent souffle dans les blés ». Ce message est capté le 14 juillet 1944, vers 11 h 00, au PC installé à Guerveur. Il annonce un second parachutage de vivres et matériels pour le soir même sur le terrain « Pêche » à Miné Kervir. Le vent souffle dans les blés pour les maquisards de Scaër, Tourc'h, Coray, Rosporden et communes alentours portant en lui les premières effluves des combats de la libération ! Car ce 14 juillet 1944, les échos du débarquements, des premières villes libérées, enthousiasment la France et les forces combattantes de l'Intérieur. Le maquis du Vercors proclame le rétablissement de la République, et l'abrogation des lois du régime de Vichy ! Dans de nombreuses villes et villages, on s'apprête à défier l'ennemi.
Tout cela s'organise dans le cadre de l'Opération Jedburgh. Dans le nuit du 9 au 10 juillet, un commando et 16 tonnes de matériels, carabines, explosifs, et une radio sont larguées du ciel. La réception se passe bien, mais des échanges de coups de feu ont lieu avec une troupe de la Wermacht, probablement en route vers une permission… Le maquis est repéré. Les guetteurs allemands sont aux aguets !
Démasqués par l'occupant allemand, ils sont plus de 200 personnes mobilisés pour l'opération. Le balisage du terrain est en place et au début de la nuit du 15 juillet, vers 0 h 30, plus de 16 tonnes sont larguées à l'endroit indiqué puis acheminées vers le lieu de stockage à Kernabat. La mission est accomplie mais un millier de soldats allemands, dès l'aurore, ratissent les environ de Coadry. La bataille de Kernabat-Quillien est lancée avec un rapport de force que même le courage le plus absolu ne peut inverser. 18 jeunes hommes, âgés de 19 à 32 ans, dont nous égrainons les noms dans l'appel aux morts, sur lesquels nous mettons un visage, dans les pas desquels nous marchons sur le chemin de la mémoire, seront tués, parfois dans d'atroces circonstances. La violence des nazis, tels des chiens acculés au mur et sentant la débâcle, est sans limite.
Non, leur sacrifice ne fut pas vain. La bataille qui mena à leur perte est la conséquence d'actes courageux et désintéressés réprimés dans le sang. Il s'inscrit dans un ensemble qui ne laissa aucun répit à l'occupant et qui fini par le faire reculer.
Non, célébrer leur sacrifice chaque année n'est pas vain. C'est sain. C'est vital. Et le détail des faits que nous venons de rapporter doit être raconté pour que notre passé, aussi douloureux soit-il, nous permette de bâtir un meilleur avenir, pour qu'aucun sacrifice ne soit plus jamais nécessaire. C'est pourquoi nous devons nous rassembler toujours plus nombreux, ici, chaque année.
C'est pourquoi, ce que nous faisons, est chaque fois plus indispensable que l'année précédente.
Que la mémoire des résistants et de la résistance nous enseigne la vigilance, la détermination, la volonté de paix et de fraternité pour continuer à avancer vers les idéaux de liberté et de démocratie de nos glorieux aînés. C'est le sens de notre message.
Je vous remercie pour votre attention et votre présence nombreuse à cette commémoration."
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