Journée de mobilisationce samedi, appel à la grève le 4 avril : du primaire au lycée, les profs rejettent les réformes Blanquer.
On dirait que le temps se gâte pour Jean-Michel Blanquer. Depuis son intronisation au ministère de l’Éducation nationale, il avançait ses pions et ses réformes sans coup férir, jouant de sa parfaite connaissance d’un système dont cet ancien recteur est le plus pur produit. Mais les meilleures choses ont une fin, et aussi les pires. Deux échéances devraient permettre d’en juger : dès demain, la journée nationale d’action à l’appel des cinq principales fédérations syndicales de l’enseignement (FSU, Unsa Éducation, CGT Educ’action, SGEN-CFDT et Snalc) ; puis une journée de grève « pour l’abandon du projet de loi Blanquer », jeudi 4 avril – appel également intersyndical (SNUipp-FSU, SNES-FSU, Snuep-FSU, Fnec-FO, CGT Educ’action et SUD éducation).
Le premier signal a été perçu le 19 mars dernier, lors de la journée interprofessionnelle de mobilisation des fonctionnaires. Pour la première fois depuis des mois, les enseignants étaient présents en force. Il faut dire qu’un mois avant, le 19 février, l’Assemblée avait adopté en première lecture le projet de loi sur « l’école de la confiance ». Un texte qui a suscité inquiétude et colère dans les salles des maîtres et des professeurs.
L’article 1 et l’article 6 de la loi sont particulièrement dans le viseur. Le premier laisse planer la menace d’un « devoir de réserve » imposé aux enseignants. Ceux-ci y voient la manifestation d’une volonté de censure, d’autant que certains d’entre eux ont eu droit à des menaces de sanctions de la part de leur hiérarchie quand ils critiquent un peu trop ouvertement la politique de leur cher ministre – ou s’organisent pour la combattre, comme ceux qui refusent de transmettre les résultats des évaluations de CP.
Quant à l’article 6, c’est celui qui met en place les « établissements des savoirs fondamentaux » (ESF) en regroupant les écoles élémentaires sous l’égide du collège de secteur et en supprimant les directeurs. Une mesure redoutée en milieu rural où l’éloignement physique laissera les professeurs des écoles seuls pour gérer aussi bien les (lourdes…) tâches administratives que les relations avec l’ensemble de leur environnement : collectivités locales, partenaires divers et familles, en premier lieu.
À cela s’ajoute le mécontentement de plus en plus fort sur la triple réforme des lycées : réforme du bac général et technologique, réforme du bac professionnel et profonde révision des programmes. Plus le voile de flou délibéré qui les entourait finit de se lever, plus se font jour de fortes inquiétudes, tant sur la forme – absence de concertation, autoritarisme, verticalité – que sur le fond : inégalités d’accès aux nouvelles « spécialités » du bac, lourdeur des programmes – ou, à l’inverse, pour le bac pro, appauvrissement dramatique. Fait notable : le ministre a été « lâché » le 27 mars par le seul syndicat qui soutenait encore sa réforme, le SE-Unsa, qui en demande à présent le report ou « de débloquer en urgence des dotations » en postes. Il faut dire que ce syndicat a fait réaliser un sondage auprès de 3 264 enseignants… dont seuls 4 % jugeaient la réforme positive !
Beaucoup de professeurs comprennent que les bouleversements envisagés masquent une volonté obstinée de faire des économies sur le dos de l’éducation. Ce que confirme l’annonce de la suppression, à la rentrée prochaine, de 2 650 postes dans les collèges et les lycées, alors que la démographie dans le secondaire va connaître une croissance continue dès cette année et jusqu’en 2023. Invité (une fois de plus…) jeudi matin sur France Inter, le ministre a tenté de faire croire que ces suppressions seraient compensées par des heures supplémentaires… qu’effectuent déjà la plupart des enseignants. Une réponse qui n’est surtout pas de nature à calmer les inquiétudes.
L'éditorial de Laurent Mouloud. Depuis sa prise de fonction, le ministre de l’Éducation nationale a revêtu l’uniforme de l’habile manoeuvrier.
La fin de l’arrogance pour Jean-Michel Blanquer ? Depuis sa prise de fonction, le ministre de l’Éducation nationale a revêtu l’uniforme de l’habile manoeuvrier. Usant d’un redoutable savoir-faire médiatique, ce proche du très libéral institut Montaigne a su imposer, au grand dam des représentants syndicaux, son train de réformes droitières et autoritaires, tout en conservant une relative mansuétude de l’opinion publique. Mais voilà. La belle mécanique, si appréciée du président Macron qui l’avait désigné comme son meilleur ministre, semble bel et bien s’enrayer face à la contestation qui surgit dans le monde de l’éducation.
Les signes alarmants se multiplient pour le locataire de la rue de Grenelle. Le 19 mars, les enseignants ont été exceptionnellement nombreux à se mettre en grève. 40 % des profs du primaire, soit le taux le plus haut depuis 2017. Ce samedi, rebelote, une large intersyndicale battera le pavé contre la réforme du lycée et la loi Blanquer, tandis que des organisations appellent déjà à une nouvelle journée de grève le 4 avril. Enchaînement spectaculaire. Auquel s’ajoute, ces dernières semaines, une multitude d’actions de « désobéissance » d’enseignants qui démissionnent de leur fonction de prof principal, mettent 20/20 à tous les élèves ou boycottent des conseils de classe... Même le SE Unsa, syndicat au départ favorable à la réforme du lycée, s’est désolidarisé du ministre !
Jean-Michel Blanquer, s’il est aussi pragmatique qu’il le dit, ne peut ignorer ce profond malaise. Et doit bien constater que la « confiance », qu’il appelle de ses vœux sur les plateaux télé, se délite un peu plus chaque jour auprès des personnels. Selon un récent sondage, seuls 4 % des profs estiment que la réforme du lycée, qu’ils sont pourtant chargés d’appliquer, va dans le bon sens. 4 %… Difficile de faire pire.
En vérité, cette contestation n’a rien d’une surprise. Elle couve depuis le départ. En matière de dialogue social, Jean-Michel Blanquer s’inscrit dans la droite ligne de son ami Laurent Bigorgne, patron de l’institut Montaigne, qui considère les syndicats enseignants comme « un milieu où les archéos pèsent beaucoup et ne veulent aucun vrai changement ». Le ministre n’avait donc que mépris et autoritarisme à offrir aux représentants syndicaux. Et finalement à l’ensemble des personnels qui, au lieu d’une construction commune, voient depuis des mois les réformes libérales – et les restrictions budgétaires qui les accompagnent – tomber sur eux avec la verticalité d’un parpaing. Un tel dédain ne peut que revenir en boomerang à son auteur. Un si bon élève du gouvernement ne devrait pas l’ignorer.
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