Pendant que la droite intensifie son sale travail de démolition de la sécurité sociale, du droit du travail, des services publics, et notamment ceux de l'éducation et de la santé, on se prend à rêver de mettre au pouvoir en 2012 une gauche qui propose une véritable alternative à la régression sociale qui s'organise partout en Europe et qui prenne réellement en compte les problèmes quotidiens des français: emploi, précarité, logement, santé, transports.
Les jeunes ont été les premières victimes ces dernières années du chômage et du consentement à la précarisation des statuts professionnels, de la casse des droits sociaux communs, des baisses de moyens de l'aide sociale et des services publics. Cette proposition de loi présentée à l'Assemblée Nationale le 7 décembre 2011 à l'initiative de Marie-George Buffet fixe un cap extrêmement ambitieux pour prendre à bras le corps et de manière globale les problèmes d'insertion, d'existence, et d'autonomie que rencontre toute une partie de la jeunesse.
C'est avec beaucoup de satisfaction que nous constatons la capacité de notre parti et des parlementaires Front de Gauche d'être à l'offensive dans la proposition concrète de transformation sociale et dans la volonté de surmonter les difficultés d'existence immenses et l'incapacité à faire valoir une citoyenneté de plein droit rencontrées par beaucoup de jeunes. C'est pourquoi nous publions ici l'exposé des motifs de cette proposition de loi.
N° 4056
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2011.
Proposition de loi cadre visant à permettre aux jeunes de prendre en main leur avenir
Marie-George BUFFET, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,
député-e-s.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
Quand on demande aux jeunes ce à quoi ils aspirent pour leur avenir proche, ils sont unanimes : de bonnes conditions d’études ou de formation, un emploi intéressant, stable et bien payé, un logement décent avec un loyer pas trop élevé, la possibilité de quitter le foyer familial quand ils le souhaitent. Mais ils trouvent face à eux le chômage de masse, les bas salaires, la précarité de l’emploi, la crise du logement, la casse de l’enseignement supérieur, la casse des services publics. C’est là le cœur du problème.
Dans une société minée par la crise, on a souvent l’impression qu’il n’existe pour les jeunes que deux politiques possibles : la répression et l’assistanat. Pourtant, une chose est sûre : les jeunes veulent s’en sortir par leurs propres moyens. La seule politique valable pour les jeunes est donc celle qui consiste à leur donner les outils dont ils ont besoin pour construire eux-mêmes la vie à laquelle ils aspirent. Tel est l’objet de cette proposition de loi cadre élaborée avec des jeunes, des associations et des syndicats.
Comment les jeunes pensent-ils concrètement pouvoir prendre en main leur avenir ?
La première chose qu’ils mettent en avant, c’est la nécessité de rendre effectifs les droits existants, qui sont solennellement proclamés par la République mais qui peinent dans les faits à être réellement mis en œuvre. Le premier chapitre de ce texte se donne pour objectif de remédier à cette situation en proposant, entre autres, la construction de résidences universitaires publiques, la maîtrise du montant des loyers dans le privé, la formation au permis de conduire par l’Éducation nationale, l’augmentation des aides aux transports publics, la création de centres de santé délivrant gratuitement les soins de base sur les lieux d’études et dans les cités universitaires, l’adaptation des tarifs des services publics culturels aux revenus, la généralisation des conseils locaux de la jeunesse et l’extension de leurs pouvoirs ainsi que la démocratisation des institutions, des entreprises et des lieux d’études.
La deuxième volonté qu’ils expriment est celle d’être autonomes financièrement. Le chapitre 2 propose en ce sens d’instituer des mécanismes de lutte contre les bas salaires, et notamment une prise en compte des diplômes dans les conventions collectives. Il envisage également de mieux rémunérer les stages et l’apprentissage, mais aussi de créer une allocation d’études et une allocation de recherche d’emploi ou de formation ouverte aux jeunes qui n’ont pas encore cotisés. Ces allocations sont une condition essentielle pour que tous les jeunes soient égaux dans leurs choix de réaliser ou non des études, des formations ou des stages. Elles constituent aussi une condition indispensable pour qu’ils disposent de la possibilité réelle de se réorienter quand ils en sentent le besoin et de refuser des conditions de travail ou salariales indignes.
La troisième aspiration des jeunes est d’être mieux accompagnés vers l’emploi. Aussi, le chapitre 3 propose de rendre effectif le droit aux études et à la formation en obligeant les entreprises à recruter un nombre minimal d’apprenti-e-s et à former les maîtres d’apprentissage, mais aussi en renforçant l’encadrement des stages et en facilitant l’obtention des visas étudiants. Ce chapitre prévoit aussi de renforcer les moyens de Pôle Emploi, des missions locales et du service public de l’orientation pour qu’ils puissent mieux accompagner les jeunes vers l’emploi ou la formation, mais aussi de créer une formation initiale dans les entreprises pour favoriser l’accueil des jeunes en leur sein.
Enfin, les jeunes estiment qu’ils n’ont pas à subir des conditions de travail plus précaires et plus difficiles au simple motif de leur jeunesse. Aussi, le dernier chapitre de cette proposition de loi décline un certain nombre de mesures visant à lutter contre le recours à l’emploi précaire et contre les détournements de l’apprentissage et des stages de leur objet par des sanctions pénales et financières, mais aussi en renforçant le droit d’alerte des syndicats en la matière. Il rétablit le caractère plus protecteur du droit du travail pour les jeunes en supprimant les dérogations accumulées au fil des années et crée les conditions d’un meilleur respect des droits des jeunes au travail en renforçant les moyens de l’inspection du travail et l’information des salarié-e-s sur leurs droits.
Les mesures sont connues : il faut désormais passer aux actes !
Pour permettre aux jeunes de mettre en œuvre leur programme politique, notre Assemblée doit faire preuve de volonté politique. La principale chose qui manque aux jeunes aujourd’hui, c’est en effet le soutien du Parlement pour inscrire les mesures nécessaires dans notre droit. Si cette Assemblée a une réelle ambition pour la jeunesse, elle doit lui envoyer un signal fort en inscrivant cette proposition de loi à son ordre du jour.
Dans cette période de crise économique, où les finances publiques sont soumises à la pression des marchés financiers, deux attitudes sont possibles. Soit le Parlement baisse les bras et se soumet aux injonctions des puissances de l’argent, soit il fait le pari d’une profonde transformation économique, institutionnelle et sociale adossée à deux principes : la démocratie et la solidarité. Il n’est pas possible, en effet, de continuer à orienter l’argent vers la spéculation et vers les plus riches et, dans le même temps, de se dégager les moyens nécessaires au financement de cette proposition de loi. Mais en réorientant l’argent de la finance vers l’emploi, les salaires et les services publics, un horizon nouveau s’ouvre pour la jeunesse et pour le reste de la population. C’est de ce souffle nouveau dont notre pays a tant besoin que cette proposition se veut être porteuse.
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La proposition de loi en détails
Chapitre I – Garantir l’accès des jeunes à leurs droits en développant les services publics.
Titre 1 : rendre effectif le droit des jeunes à vivre dans un logement décent à un prix abordable.
– Article 1er – Accès des jeunes au logement public : construction de 200 000 logements sociaux par an, doublement du nombre de places dans les résidences universitaires publiques et dans les foyers pour jeunes travailleurs, intégration des résidences universitaires privées au patrimoine des CROUS, accès des étudiants au logement social.
– Article 2 – Rapport sur l’état de délabrement des résidences universitaires des CROUS.
– Article 3 – Suppression des cautions.
–Article 4 – Plafonnement public du montant des loyers dans les logements privés.
– Article 5 – Revalorisation du barème des APL et plafonnement des charges locatives.
Titre 2 : rendre effectif le droit des jeunes aux transports.
– Article 6 – Formation des jeunes au permis de conduire au lycée.
– Article 7 – Rapport sur l’adéquation entre l’offre de transports et les besoins des jeunes, demandant l’étude d’un remboursement à 75 % de l’abonnement annuel des étudiant-e-s et apprenti-e-s.
Titre 3 : rendre effectif le droit des jeunes à vivre en bonne santé.
– Article 8 – Renforcement des examens médicaux gratuits en milieu scolaire pour mieux détecter les problèmes dentaires, auditifs, de la vue et les troubles du comportement alimentaire.
– Article 9 – Création de centres médicaux dans les universités, CFA et cités universitaires délivrant gratuitement les soins de base et réalisant des campagnes d’information sur la contraception, les MST et le VIH/sida ainsi que sur les conduites à risque.
– Article 10 – Rapport sur l’incidence des tarifs dans l’accès des jeunes aux soins.
– Article 11 – Suppression des franchises médicales et de l’augmentation de la taxe sur les mutuelles.
Titre 4 : rendre effectif le droit des jeunes d’enrichir leur personnalité grâce aux activités physiques et sportives, à la culture et aux loisirs.
– Articles 12 et 13 – Création d’un mécanisme de réduction tarifaire en fonction des revenus pour favoriser l’accès à la culture, aux sports et aux loisirs des jeunes et des accompagnant-e-s.
– Article 14 – Rapport sur la démocratisation de la culture et sur la place des enseignements artistiques en milieu scolaire.
Titre 5 : rendre effectif le droit des jeunes à prendre les décisions qui les concernent.
– Article 15 – Généralisation de conseils locaux de la jeunesse et renforcement de leurs pouvoirs en rendant leur consultation obligatoire dans les domaines qui concernent les jeunes.
– Article 16 – Rapport sur la place des jeunes dans les institutions et la prise de décision publique.
– Article 17 – Démocratisation du CNOUS et des CROUS.
– Article 18 – Démocratisation des organes de direction des universités et des écoles.
– Article 19 – Démocratisation des centres de formation des apprenti-e-s.
Chapitre II – Garantir l’autonomie financière des jeunes dans la formation et dans l’emploi.
Titre 1 : garantir aux jeunes les moyens de mener à bout leur projet de formation dans de bonnes conditions.
– Article 20 – création d’une allocation d’études servie par les CROUS en contrepartie de la signature d’un contrat de projet personnel, dont le montant comporte une partie universelle et une partie variable en fonction des revenus des parents.
– Articles 21 et 22 – Rémunération minimale des stagiaires et des apprenti-e-s à 80 % du SMIC.
Titre 2 : garantir aux jeunes des salaires décents et rendre effectif leur droit de changer d’emploi.
– Article 23 – Rapport demandant le renforcement de la valeur des diplômes face aux logiques de personnalisation de leur contenu et leur meilleure prise en compte dans la négociation collective.
– Article 24 – Invitation à une nouvelle négociation de la convention d’assurance chômage dans la perspective de l’instauration d’une autonomisation des travailleurs vis-à-vis des employeurs.
Chapitre III – Accompagner les jeunes vers l’emploi et la formation.
Titre 1 : rendre effectif le droit à l’apprentissage et aux études.
– Article 25 – Renforcement des exigences de la négociation collective en matière d’apprentissage : fixation par branche d’un nombre minimal d’apprenti-e-s, formation pour les tuteurs et maîtres d’apprentissage, élaboration d’un programme national pour les apprenti-e-s.
– Article 26 – Suppression des exonérations de cotisations sociales et de l’aide forfaitaire pour les entreprises ne recrutant pas un nombre minimal d’apprenti-e-s.
– Article 27 – Encadrement des stages et renforcement des conseils des études et de la vie universitaire.
– Article 28 – Rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour améliorer l’accès aux stages.
– Article 29 – Rapport sur les moyens à mettre en œuvre pour approfondir la démocratisation de l’accès aux études supérieures.
– Article 30 – Plafonnement du montant des droits d’inscription exigibles par les universités.
– Article 31 et 32 – Facilitation des visas pour les étudiant-e-s étrangers (carte délivrée de plein droit pour la durée des études, sans condition de ressources ; interdiction des expulsions) et rapport sur les conditions de leur conditions de leur accueil en France.
Titre 2 : soutenir les jeunes dans leurs démarches de recherche d’emploi ou de formation.
– Article 33 – Augmentation des effectifs de Pôle Emploi pour garantir aux personnes inscrites un accompagnement réellement personnalisé, en limitant le nombre de personnes suivies par agent et en fixant une durée minimale d’entretiens.
– Article 34 – Rapport demandant un meilleur soutien financier des missions locales.
– Article 35 – Rapport revendiquant la création d’un véritable service public de l’orientation pour faciliter les démarches prises par les jeunes pour trouver un emploi ou une formation.
Titre 3 : faciliter l’entrée des jeunes dans le monde du travail.
– Article 36 – Instauration d’une formation initiale dans les entreprises à chaque nouvelle prise de poste, pour que le salarié puisse mieux connaître son environnement professionnel et syndical.
– Article 37 – Instauration d’une formation au droit du travail encadrée par les syndicats pour que le salarié puisse mieux connaître et exercer ses droits personnels et collectifs.
Chapitre IV – Sécuriser les conditions de formation et d’emploi.
Titre 1 : pénaliser les entreprises qui rendent l’emploi précaire.
– Article 38 – Application d’une pénalité financière aux entreprises qui ont fait de l’emploi précaire leur modèle économique.
– Articles 39 à 41 – Renforcement du droit d’alerte syndical contre le recours abusif aux CDD et création d’un tel droit dans les cas de l’intérim, du temps partiel, de l’apprentissage et des stages.
Titre 2 : garantir aux jeunes travailleurs, aux jeunes travailleuses, aux apprenti-e-s et aux stagiaires des conditions de travail plus protectrices.
– Article 42 – Renforcement de l’information et de la formation des salarié-e-s intérimaires par l’entreprise mettant le salarié à disposition et par celle qui l’accueille.
– Article 43 – Suppression des dérogations au droit plus protecteur des jeunes travailleurs.
– Articles 44 – Suppression des dérogations au droit plus protection des apprentis.
– Article 45 – Renforcement de la définition et de la sanction pénale des discriminations pour y intégrer les discriminations territoriales, fondées sur le lieu d’étude ou d’habitation.
Titre 3 : renforcer les moyens permettant de garantir le respect des droits des jeunes au travail.
– Article 46 – Augmentation du nombre d’inspecteurs du travail pour un contrôle effectif du respect des droits des salarié-e-s dans les entreprises.
– Article 47 – Prise en compte des détournements de stage et d’apprentissage comme travail dissimulé, portant leur sanction à 3 ans de prison et 45 000 € d’amende.
– Article 48 – Renforcement de la sanction pénale de la méconnaissance des règles relatives au travail temporaire.
Aucune loi cadre sur la jeunesse dans sa globalité n’a pour l’heure vu le jour. Les mesures sectorielles s’empilent avec un évident manque de cohérence. Mais les revendications portées par les jeunes ne peuvent être comprises comme des aspirations dispersées, sans rapport les unes aux autres. Au contraire, elles font sens uniquement si elles sont prises dans leur globalité. Logement, études, salaires, chômage, tous ces sujets sont intimement liés. Ils doivent être donc abordés conjointement pour être traités convenablement. Aussi, cette proposition de loi prend le parti de replacer les revendications formulées par les jeunes dans le cadre d’une analyse multidimensionnelle de leur situation.
Il faut donner aux jeunes les moyens de sortir par eux-mêmes du sas de précarité dans lequel ils ont été enfermés au nom des profits.
Dans leur ouvrage de référence intitulé Les jeunes et le travail : 1950-2000(1), les sociologues Chantal Nicole-Drancout et Laurence Roulleau-Berger parlent même de véritable « tradition française de la marginalisation des jeunes actifs au travail ». Elles notent que dans les années 1950 et 1960, les jeunes circulent entre « les sous-sols du salariat (emplois de service aux particuliers) », les « frontières du salariat (apprentis sans contrats ou aides familiaux non rémunérés » et l’inactivité. Avec la crise des années 1970, les jeunes occupent progressivement des « espaces d’emplois spécifiques » tandis que « l’heure de la débrouille a sonné ».
Les jeunes sont les plus touchés par le chômage et les contrats précaires.
Avant que ne débute la très grave crise que nous traversons, le chômage des jeunes était déjà très élevé, notamment dans les quartiers populaires. Il touche aujourd’hui un jeune sur quatre. Dans les ZUS, le taux de chômage est nettement supérieur à la moyenne nationale, approchant les 20 % et dépassant même les 40 % pour les jeunes(2). La crise a considérablement aggravé cette situation. Comme le constate le Céreq(3), les plus touchés sont les jeunes peu diplômés. La situation des jeunes diplômés s’est toutefois également dégradée, qu’ils soient titulaires d’un CAP ou BEP, d’un baccalauréat général ou de certains diplômes universitaires. Le Céreq constate aussi que « les jeunes d’origine populaire sont davantage pénalisés dans l’accès à l’emploi que les jeunes de milieux aisés » et que « l’importance du chômage chez les descendants de l’immigration nord-africaine est aujourd’hui un fait statistique établi »(3).
De plus, la crise a amplifié la précarité des jeunes au travail – qui n’est pas pour autant nouvelle. L’INSEE(4) le souligne sans ambiguïté : « parmi les personnes en emploi, sorties du système scolaire depuis un à quatre ans, la part de celles en emploi temporaire s’élève à 30 % en moyenne sur la période ». Malgré l’échec des contrats première embauche (CPE), qui visaient à institutionnaliser la précarité, les jeunes de moins de trente ans sont ceux qui sont le moins souvent en CDI, notamment lorsqu’ils ne sont pas diplômés. Les contrats des jeunes sont principalement le CDD (19,4 % contre 9 % pour l’ensemble des salariés), l’apprentissage (6,7 % contre 1,5 %) et l’intérim (5,3 % contre 2,4 %). Ces deux dernières formes d’emploi ont d’ailleurs connu un fort développement, pour atteindre 12 % de l’emploi salarié en 2008, de même que le recours au temps partiel, en particulier pour les femmes.
Les jeunes comptent parmi les salarié-e-s dont les salaires sont les plus bas et les conditions de travail les plus dures.
Concernant les salaires, un constat équivalent peut être fait. « Rapporté au nombre de jours rémunérés, le revenu salarial moyen des moins de 25 ans est inférieur de 60 % à celui des 40 ans ou plus » relève l’INSEE(5). Alors qu’un jeune cadre à temps plein perçoit 24 040 € annuels, un jeune employé-e ou un jeune ouvrier/ère perçoit 15 330 €, soit 36 % de moins, et un jeune exerçant une profession intermédiaire 18 660 €. Non seulement les jeunes sont plus nombreux parmi les employé-e-s et les ouvrier-e-s, mais encore ils travaillent rarement à temps plein : 22,9 % des jeunes occupent un emploi à temps partiel et 48 % d’entre eux travaillent même moins de 22 heures par semaine. En conséquence, non seulement leur salaire journalier, s’élevant à 35 €, est inférieur de 38 % par rapport à l’ensemble des salarié-e-s, mais aussi, parce qu’ils travaillent un moins grand nombre de jours en raison de la précarité de leurs contrats, les jeunes percevaient en moyenne en 2008 un revenu annuel de 7 160 € et un revenu mensuel de 597 € – ce qui est inférieur au seuil de pauvreté. Cette situation est plus grave encore pour les femmes, qui gagnent en moyenne 27 % de moins que les hommes.
À cela s’ajoutent des conditions de travail dégradées. Nombreux sont les jeunes qui doivent effectuer sans rémunération complémentaire ni repos compensateur des heures supplémentaires pour « faire leurs preuves » et ne pas être licenciés. Nombreux aussi sont ceux qui doivent enchaîner les stages pour se faire une expérience qui n’est jamais jugée suffisante, tandis que de nombreuses entreprises considèrent les apprenti-e-s et les stagiaires comme une simple main d’œuvre d’appoint bon marché, que le chômage de masse rend malléable à souhait. Les promesses d’embauche se succèdent pour les faire travailler plus dur mais, à la fin du contrat, un nouveau stagiaire ou un nouvel apprentis remplace le précédent, pour lequel l’entreprise bénéficie d’ailleurs de nouvelles – et abondantes – aides publiques et exonérations de cotisations patronales qu’elle perdrait en d’autres cas. De plus, « les salariés de moins de 20 ans ont trois fois plus d’accidents du travail que ceux de 50 à 59 ans, et ceux de 20 ans à 29 ans, deux fois plus. Les jeunes sont vraisemblablement plus vulnérables de par leur manque d’expérience ou leur affectation aux postes les plus risqués » relève l’INSEE(6).
Les jeunes qui font des études sont confrontés à l’insuffisance des bourses et à la nécessité de recourir à des « petits boulots ».
En théorie, les étudiant-e-s ne devraient pas connaître la précarité laborieuse décrite ci-dessus, que subissent les jeunes travailleurs/ses. Afin qu’ils puissent mener à terme avec succès leurs études quelques soient les revenus de leurs parents, les étudiant-e-s bénéficient en effet de bourses. Toutefois, force est de constater que le montant de celles-ci est très bas. Une bourse échelon 1 s’élève à 1 606 € par an, soit 160 € par mois pendant 10 mois – et rien l’été(7). Le montant de la bourse à l’échelon 6 s’élève à 4 600 € par an, soit 460 € sur dix mois. Concrètement, pour obtenir une bourse échelon 1, les parents de l’étudiant-e doivent percevoir entre 22 500 € par an à zéro point de charges et 65 000 € à 17 points de charges. À titre indicatif, si ses parents perçoivent 22 500 € par an, soit 1 875 € par mois, un étudiant ou une étudiante doit avoir 5 frères et sœurs boursiers dans le supérieur pour avoir 17 points de charges s’il ou elle réside à moins de 30 kms de son lieu d’études, ou « seulement » 4 s’il ou elle réside à plus de 250 kms de son lieu d’études ! Autrement dit, sa famille doit être pauvre s’il ou elle veut prétendre à 460 € par mois, qui ne lui permettront même pas de payer son loyer. Il en va de même pour l’allocation pour la diversité dans la fonction publique, censée garantir l’égalité des étudiant-e-s préparant les concours administratifs : un étudiant ou une étudiante dont les parents gagnent moins de 33 000 € par an peut bénéficier, sous réserve que sa lettre de motivation ait convaincu les services préfectoraux – le nombre de bourses étant contingenté par région –, d’une allocation annuelle de 2 000 € versée en 3 fois à compter de décembre... Aussi, assurément, les étudiant-e-s boursiers se trouvent très souvent dans une situation de réelle pauvreté. De nombreuses associations, à l’instar des Restos du cœur, constatent d’ailleurs chaque année une augmentation de celle-ci.
Pour faire face à l’extrême pauvreté, ou au moins pour pouvoir poursuivre tant bien que mal leurs études, les étudiant-e-s des milieux populaires, mais aussi désormais ceux des classes moyennes, sont contraints de travailler. Confrontés à l’augmentation concomitante du coût des études sous l’effet de la loi LRU et du coût de la vie, de plus en plus d’étudiants connaissent également la précarité laborieuse des jeunes travailleurs. L’observatoire de la vie étudiante constate que les trois quarts des étudiant-e-s aujourd’hui sont ainsi contraints d’exercer une activité rémunérée, à temps plein pour 28 % d’entre eux et en rapport avec leurs études dans seulement 16 % des cas. Dans un contexte de chômage de masse, compte tenu de leurs contraintes horaires, ils ne trouvent que des « petits boulots » peu intéressants, fatigants et mal payés. Ces emplois les empêchent d’effectuer dans de bonnes conditions le travail de recherche personnelle et les exercices pratiques nécessaires au succès de leurs études, voire les épuisent au point qu’ils ne puissent plus suivre leurs cours correctement. Ces emplois constituent de plus autant de freins à la réalisation de stages plus épanouissants et plus formateurs, mieux considérés dans leur curriculum vitae et potentiellement mieux intégrés dans le cursus pédagogique – mais toutefois le plus souvent peu ou pas rémunérés. Aussi, force est de constater que le travail étudiant est un puissant facteur de discrimination sociale, qui n’est probablement pas sans lien avec l’important nombre d’échecs au niveau de la licence. Les bourses, censées rétablir l’égalité républicaine, ne jouent plus leur rôle en raison de leur faible montant. Elles ne permettent pas non plus aux jeunes de s’émanciper du foyer familial, de devenir réellement autonomes comme il le faudrait à cette période de la vie.
Face à ces constats, il apparaît urgent de renforcer le droit du travail pour permettre aux jeunes et aux autres salarié-e-s de résister aux abus de leurs employeur-e-s et d’obtenir des augmentations de salaires.
Le droit du travail avait prévu pour les jeunes travailleurs et les apprenti-e-s un certain nombre de protections renforcées : un jeune, du fait de son âge et de son manque d’expérience, est en effet plus fragile et plus vulnérable aux pressions. Toutefois, si les principes sont fermes, les dérogations sont nombreuses et les protections réelles, en fin de compte, très limitées. Il faut mettre un terme à ces dérogations, qui concernent tant le temps de travail hebdomadaire que quotidien, les temps de pause et le droit aux congés que les jours et horaires auxquels il est possible de travailler (articles 43 et 44). Au-delà de ces interdictions dont il est indispensable de réaffirmer le principe, il est important que le jeune soit introduit dans ses nouvelles missions dans de bonnes conditions : ce texte propose d’instituer une formation initiale obligatoire à chaque prise de poste, permettant au salarié-e, le cas échéant, de découvrir l’entreprise, ses missions et les organisations syndicales qui y sont actives (article 36).
Cette proposition de loi renforce également les droits de l’ensemble des salarié-e-s pour lutter contre la précarité et le mauvais usage des stages et de l’apprentissage. Elle enrichit la définition des discriminations dans le code pénal pour lui ajouter dimension territoriale (article 45) : de nombreuses personnes sont en effet discriminées à l’embauche ou dans leur carrière du fait de leur lieu de résidence. Afin de lutter contre l’emploi précaire, elle renforce le droit d’alerte des syndicats pour lutter contre l’abus de recours aux CDD et elle en institue un pour l’intérim, les stages et le temps partiel (articles 49 à 41). Elle prévoit également, dans cet état d’esprit, des sanctions financières contre les entreprises qui recourent massivement aux emplois précaires (article 38) ainsi que des sanctions pénales contre celles qui détournent les stages et contrats d’apprentissages de leur objet pédagogique (article 49). Elle renforce les sanctions en cas de méconnaissance des règles liées au travail temporaire (article 47). Elle institue une formation au droit du travail (article 37) et elle renforce l’information des salariés, notamment lorsqu’ils sont embauchés en intérim (article 42). Elle propose de même de renforcer les effectifs de l’inspection du travail pour garantir l’effectivité de l’application des droits (article 46).
Cette proposition de loi, enfin, renforce les droits des jeunes et de l’ensemble des salarié-e-s pour instaurer un cercle vertueux en matière salariale et permettre à tous et toutes de sortir de la pauvreté au travail. Les stages et l’apprentissage, parce qu’ils constituent un travail effectif en même temps qu’un moment de formation, doivent être rémunérés à hauteur de 80 % du SMIC au minimum (articles 21 et 22). De même, il faut mieux reconnaître les diplômes dans les conventions collectives pour qu’il ne soit plus possible de payer des personnes à un niveau manifestement inférieur à leurs compétences, comme cela est devenu la règle, et en parallèle faire en sorte que ces diplômes reflètent un niveau de compétences réellement égal, et donc soient l’aboutissement de formations encadrées au niveau national au contraire des logiques modulaires de la loi LRU (article 23). Pour donner toute leur portée à ces mesures, il faut inverser le rapport de force entre les employeurs et les salarié-e-s en supprimant les exonérations de cotisations sociales lorsque l’employeur bloque un accord salarial. La question des salaires est une question décisive au plan économique pour sortir de la crise : il faut réorienter au plus vite l’argent de la spéculation vers l’emploi, la formation et les salaires pour relancer la croissance.
Pour garantir l’autonomie des jeunes et renforcer efficacement et durablement leurs droits au travail et dans l’emploi, il faut mettre en place une allocation d’études et une allocation de recherche d’emploi ou de formation.
Les relations entre employeurs et employé-e-s sont d’autant plus inégalitaires que, du fait du chômage de masse, les salarié-e-s sont tenus d’accepter des conditions de travail ou de rémunération inacceptables de la part de l’employeur pour ne pas être licenciés. Lorsqu’ils le sont néanmoins, souvent pour satisfaire l’appétit de profits des actionnaires, ils sont soumis aux menaces incessantes de radiation de Pôle Emploi et à la pauvreté qu’implique le faible montant de l’indemnisation chômage pour accepter n’importe quel emploi. Le manque d’encadrement et de soutien de la part de Pôle Emploi, dont les agents souffrent d’un sous-effectif majeur, et une conception de la formation professionnelle trop largement centrée sur la promotion interne empêchent la période de chômage d’être un temps de formation pour une reconversion réussie, d’être un tremplin pour la promotion sociale, porteur d’un droit à la mobilité professionnelle qui reste à conquérir. Dans le même temps, le faible niveau des bourses et allocations d’études contraint les étudiant-e-s à effectuer des « petits boulots », précaires et mal rémunérés, au lieu d’étudier.
Cette proposition de loi envisage donc un mécanisme double. Pour éviter que les étudiant-e-s n’aient à subir la précarité salariale et pour qu’ils puissent être autonomes, elle met en place une allocation d’études et d’autonomie (article 20). Servie par les CROUS, elle serait conditionnée, comme le préconise le rapport de Dominique Charvet, Jeunesse, le devoir d’avenir(8), à la signature d’un contrat de projet personnel. Celui-ci consacrerait les obligations d’assiduité de l’étudiant-e et celles d’accompagnement et de soutien de l’établissement dans lequel il ou elle étudie. L’allocation comporterait une partie socle universelle pour tous les étudiant-e-s, et une partie variable, croissante à mesure que les revenus des parents sont bas. Pour les jeunes sortis des études ou ne désirant pas aller à l’université, ce texte propose d’inscrire dans le droit les conditions nécessaires à l’instauration d’une véritable allocation de recherche d’emploi ou de formation. En effet, pour sortir durablement des logiques décrites ci-dessus et garantir l’autonomie des individus dès la jeunesse et tout au long de la vie, il faut se diriger vers une véritable « sécurité d’emploi ou de formation », comme le démontre l’économiste Paul Boccara(9). Ainsi que le souligne Maryse Dumas au sujet du projet de sécurité sociale professionnelle de la CGT, un telle démarche permettrait « de passer d’une vision réparatrice de l’indemnisation du chômage et du droit sur les licenciements à un droit de l’individu tout au long de sa vie qui le libère de sa dépendance au devenir et à la gestion de l’entreprise. […] Ainsi, le principe même du licenciement disparaît. »(10)
Comme l’assurance chômage relève de la négociation entre les syndicats et les organisations patronales, cette loi ne peut mettre en place directement une allocation de recherche d’emploi ou de formation. Toutefois, aux termes de l’article 34 de la Constitution, « la loi détermine les principes fondamentaux du droit du travail, du droit syndical et de la sécurité sociale. » Aussi, ce texte se propose de fixer les principes fondamentaux devant régir la prochaine convention d’assurance chômage (article 24), permettant une réécriture complète au code du travail. Cela s’avère d’autant plus nécessaire que ces principes sont eux-mêmes la traduction de ceux inscrits dans le préambule de la Constitution de 1946 et devraient en conséquence déjà avoir trouvé une application concrète en la matière (voir infra). Pour que l’assurance chômage puisse remplir son rôle, il est proposé qu’elle soit ouverte aux personnes qui n’ont pas encore cotisé ou pas assez cotisé, à savoir principalement les jeunes, mais qui seront amenés à le faire rapidement grâce à un suivi individualisé par Pôle Emploi et une réorientation des richesses vers les salaires, l’emploi et les investissements productifs. Il s’agit donc d’un bénéfice anticipé de l’assurance chômage. Dans le même sens, elle ne doit pas non plus servir de moyen de pression pour contraindre ses bénéficiaires à accepter n’importe quel emploi : ce texte propose d’interdire toute mesure obligeant un demandeur d’emploi à accepter un certain nombre d’offres dites « raisonnables d’emploi », comme c’est le cas actuellement, et propose à l’inverse que l’allocation soit versée jusqu’à ce que la personne ait trouvé un emploi qui lui convienne. Pour que l’assurance chômage soit réellement placée au service de la recherche d’emploi ou de formation, son montant ne doit pas pouvoir être inférieur au SMIC, qui doit lui-même être porté à 1 700 €. De même, elle doit être associée au renforcement de Pôle Emploi (article 33) pour que l’institution soit capable d’un suivi et d’un soutien effectifs et personnalisés, mais aussi à un renforcement des moyens des missions locales pour les jeunes les plus en difficulté (article 34). Elle doit aussi être associée à une redéfinition de la formation professionnelle, pour en faire un véritable outil au service de la reconversion des salarié-e-s en fonction de leurs besoins et de leurs aspirations, et non un simple outil de promotion interne.
Il faut réorienter l’argent vers les services publics, l’emploi et les salaires pour que les jeunes puissent exercer leurs droits de manière effective.
Pour armer les jeunes face à l’avenir, il faut non seulement transformer les relations de travail, mais aussi, si l’on souhaite que leur autonomie soit réelle, renforcer les services publics. C’est là une condition indispensable, en effet, pour que chacun puisse accéder à ses droits. Les hommes et les femmes de notre pays bénéficient en théorie d’un grand nombre de droits politiques et sociaux. Il s’agit bien sûr des droits économiques, sociaux et politiques garantis par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, par le préambule de la constitution de 1946, par les principes fondamentaux auxquels renvoie le préambule de la constitution de 1958 et ceux contenus dans sa lettre même. Il s’agit aussi des droits consacrés dans des accords internationaux ratifiés par la France dans le cadre européen ou, surtout, onusien, avec les deux pactes de 1976 portant l’un sur les droits économiques, sociaux et culturels et l’autre sur les droits civils et politiques. Droits au travail, à l’assistance, droits syndicaux, droit au logement, à des conditions de vie décentes, participation à la gestion des entreprises et à la vie démocratique du pays, droit à la mobilité, droit à une vie familiale normale : tous ces droits sont inscrits dans notre corpus juridique. Mais on le voit hélas tous les jours, ils ne sont pas appliqués. Les jeunes comptent parmi les premières victimes de ce défaut d’application, qui frappe la grande majorité de nos concitoyens.
Le développement des services publics du logement, des transports et de la santé est une condition nécessaire à l’accès des jeunes à l’ensemble de leurs droits.
Le droit par lequel tout commence, pour mener une vie stable et accéder aux autres droits, c’est le droit au logement. Dans sa récente étude intitulée Jeunes, une génération précaire, le Secours Catholique décrit avec une grande clarté la situation : les jeunes « sont nettement plus souvent en substitut de logement […] Le parc social leur étant largement inaccessible, c’est dans le parc privé ou dans des structures collectives qu’une partie des jeunes parvient à se loger. Mais les exigences de garanties des bailleurs privés sont telles que cela reste difficile, même avec les garanties Loca-Pass ». Nombre de jeunes, qu’ils soient étudiant-e-s, apprenti-e-s ou travailleurs/ses, sont ainsi contraints de quitter le foyer familial très tardivement, ralentissant d’autant leur émancipation sociale et personnelle, les handicapant même dans certains cas dans leurs recherches d’emplois. En l’absence de caution parentale suffisante, surtout dans les zones tendues, ils sont contraints de louer des logements trop petits, parfois insalubres, pour des loyers d’autant plus élevés qu’ils sont en partie solvabilisés par les APL. Cette spéculation, nourrie à la fois par de l’argent public et par la précarité des jeunes, est largement entretenue par le manque criant de places dans les logements collectifs, notamment dans les foyers de jeunes travailleurs/ses et dans les résidences universitaires publiques, nombre de ces dernières étant en outre dans un état de vétusté totalement inacceptable du fait du désengagement financier de l’État.
Face à ce constat, appuyé sur les revendications des associations caritatives et de défense du droit au logement(11), ce texte envisage dans son article 1 la construction de 200 000 logements réellement sociaux par an pendant 5 ans, ce qui devrait en favoriser l’accès aux jeunes travailleurs/ses. Il propose aussi dans le même article d’intégrer les résidences étudiantes privées au patrimoine public et d’engager la construction de nouvelles résidences universitaires sous l’égide du CROUS. Ce type de logements publics est en effet très adapté à la condition étudiante en termes de sociabilité et de promotion d’activités dont les jeunes ont besoin pour réussir leurs études et se construire en tant qu’adultes et citoyens. Ces résidences ont toutefois connu un important délabrement, au sujet duquel ce texte demande une enquête approfondie et exige que les travaux requis soient réalisés (article 2). Pour ceux qui, malgré tout, devront ou souhaiteront se loger dans le parc privé, trois mesures apparaissent nécessaires. La première est de bloquer les loyers dans le parc privé par un mécanisme de contrôle public des prix (article 4). La seconde est de supprimer les dérogations qui, dans la loi, discriminent les étudiant-e-s et apprenti-e-s dans l’obligation d’avoir une caution (article 3). La troisième, en fonction des conditions de mise en place de ce blocage des prix et du montant des allocations d’autonomie et de recherche d’emploi ou de formation, de revaloriser le montant des APL de sorte que les charges locatives ne dépassent pas 20 % des ressources d’un foyer (article 5). Ces éléments de réponse aux problématiques rencontrées par les jeunes s’inscrivent donc dans le cadre de la mise en place d’un véritable service public du logement, seul à même de garantir l’accès de tous et toutes au logement dans de bonnes conditions.
Une fois logé, une jeune doit pouvoir se rendre sur son lieu d’étude, de travail ou de loisir. Aussi, le droit au transport est également structurant pour l’accès aux autres droits. À cet égard, le rapport Faciliter l’accès des jeunes au permis de conduire est formel : l’exigence de mobilité, « c’est souvent, nous le verrons, le premier élément qui motive un jeune à passer son permis de conduire. Cette mobilité est non seulement utile socialement, en terme d’insertion à des groupes sociaux par le biais des loisirs par exemple, mais elle permet aussi et surtout l’insertion professionnelle. Or, cette problématique de l’insertion professionnelle concerne tous les jeunes, au-delà de leur parcours et de leur trajectoire sociale. »(12) Le coût du permis de conduire est pourtant très élevé, dépassant le plus souvent les 1 000 €, pouvant même dépasser les 2 000 € pour les jeunes les plus en difficulté. La plupart des jeunes ne peuvent réunir les sommes nécessaires que tardivement ou au prix de grands sacrifices. Des aides existent, le plus souvent soit très ciblées sur certains groupes sociaux, soit variables en fonction de la région dans laquelle réside le jeune. Quant au « permis à un euro par jour », parce qu’il s’agit d’un permis à 30 euros par mois tout de même, il n’est pas accessible aux plus précaires dont les dossiers sont refusés. Les jeunes ne sont donc pas égaux face au permis de conduire. Afin que tous les jeunes puissent effectivement accéder au permis de conduire, cette proposition de loi envisage que la formation à celui-ci soit intégrée au cursus scolaire au lycée (article 6).
Le droit au transport passe aussi par le déploiement des transports publics et des conditions d’accès à ceux-ci. Du fait du désengagement de l’État, les infrastructures n’ont pas été correctement entretenues et développées. Aussi, alors même que la qualité des réseaux ne répond pas toujours aux besoins, le prix des transports a augmenté ces dernières années dans de nombreuses régions. Cette proposition de loi demande un rapport du gouvernement sur les conséquences de cette politique pour l’exercice effectif des jeunes au droit au transport, droit qui est en théorie garanti par la loi (article 7). Dans ce contexte, afin de faciliter l’accès des étudiant-e-s aux transports, les régions ont mis en place des aides financières pour les étudiants. L’observatoire de la vie étudiante constate néanmoins que les étudiants consacrent entre 50 € et 90 € par mois pour les transports, le coût étant le plus élevé dans les unités urbaines de moins de 100 000 habitants. En Île-de-France les étudiant-e-s bénéficient d’une aide faisant diminuer de 50 % le prix de leur abonnement annuel : le montant de celui-ci s’élève ainsi à 298 € au lieu de 633 € pour les zones 1 et 2 et à 655 € au lieu de 1 112 € pour les zones 1 à 5. Constatant l’insuffisance relative de ces aides, le département du Val-de-Marne rembourse 50 % de cet abonnement et accorde une aide supplémentaire aux élèves et étudiant-e-s boursiers. Ces mesures vont dans le bon sens, mais elles demeurent exceptionnelles. Afin de garantir l’égalité des jeunes sur tout le territoire dans l’accès aux transports publics, il apparaît nécessaire que l’État non seulement rétablisse les logiques de service public dans les entreprises publiques, mais aussi généralise un niveau d’aide maximal pour les jeunes en complément des différentes allocations prévues dans ce texte : tous les jeunes de France, comme dans le Val-de-Marne, doivent pouvoir bénéficier d’un remboursement de 75 % de leur abonnement annuel de transports.
Les jeunes sont statistiquement en moyenne en meilleure santé que le reste de la population, mais ils sont souvent contraints de renoncer aux soins quand ils en ont besoin, faute d’argent et, le cas échéant, de couverture mutuelle. Ainsi, 24 % des personnes disposant de moins de 870 € par mois sont contraintes de renoncer à consulter un médecin pour des raisons financières, l’expérience de la précarité jouant un rôle important en la matière(13). Sur le terrain d’ailleurs, Médecin du Monde constate que « le profil socio-économique des patients est toujours aussi marqué par la précarité et des conditions de vie difficiles »(14). La multiplication des franchises et autres tickets modérateurs, le trop faible niveau des remboursements par la Sécurité sociale contribuent à cette situation, qu’il s’agisse de l’accès à un médecin généraliste ou à un spécialiste, ou de l’accès aux soins subséquents. À titre d’exemple, les montures de lunettes ne sont remboursées qu’à hauteur de 65 % sur la base d’un prix forfaitaire de 30 €, ce prix forfaitaire oscillant entre 2 € et 24 € pour les verres. Autant dire qu’elles sont à la charge quasi-exclusive des patients, alors qu’il ne s’agit assurément pas d’un luxe. Aussi, l’Observatoire de la vie étudiante relève chaque année qu’environ un quart des étudiant-e-s n’a pas consulté de médecin généraliste dans les six mois précédents son enquête et que 36 % d’entre eux n’ont pas consulté de dentiste, sans parler de ceux qui ne renouvellent pas leurs lunettes alors que cela serait nécessaire à la bonne conduite de leurs études. La situation des apprenti-e-s et des jeunes travailleurs/ses n’est pas plus favorable.
Renoncer aux soins pour des raisons financières n’est acceptable ni pour les jeunes, ni pour quelque composante de la population. La santé est un droit fondamental de la personne. De mauvaises conditions de santé sont une source de souffrance immédiate et future, pour soi comme, potentiellement, pour le reste de la société. Aussi, cette proposition de loi demande un état des lieux précis sur l’accès des jeunes aux soins (article 10) et envisage d’ores et déjà de mettre un terme aux logiques de déremboursements et de renchérissement des mutuelles en supprimant pour les étudiants et apprentis les franchises médicales instaurées par la loi de 2007 de financement de la sécurité sociale et la taxe sur les mutuelles récemment adoptée dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative pour 2011 (article 11). Elle envisage aussi la mise en place dans chaque université, dans chaque CFA et dans chaque résidence universitaire gérée par le CROUS de centres de santé où l’accès aux consultations médicales de base, y compris gynécologiques, serait ouvert aux jeunes de moins de 26 ans, aux étudiant-e-s et aux apprenti-e-s sans donner lieu à une contribution pécuniaire de leur part (article 9). L’ouverture de tels centres est autorisée par décret, mais ils n’existent pas partout et n’ont pas toujours l’ampleur suffisante, faute de moyens. L’égalité entre les étudiant-e-s serait ainsi accrue dans l’accès à la santé.
Le rapport des jeunes à la santé n’est toutefois pas limité à leurs propres difficultés financières : « les comportements vis-à-vis de la santé résultent [...] largement [...] du milieu d’origine. »(15) Afin de donner aux jeunes les moyens de se construire sur de bonnes bases, cette proposition de loi envisage la nécessaire prise en charge de certains soins dès le plus jeune âge, en matière dentaire, ophtalmologique, auditive, de dyslexie, ou encore d’obésité – trouble très marqué socialement et dont les conséquences sont majeures sur les rapports à soi et aux autres (article 8). Le rapport des jeunes à la santé est aussi lié à ce qu’implique la jeunesse en termes de modes de vie. C’est à titre d’exemple une période de découverte de la sexualité : il est donc nécessaire non seulement d’accompagner les jeunes filles dans la maîtrise de leur corps, mais aussi de sensibiliser l’ensemble des jeunes aux enjeux de la contraception et aux risques liés aux MST et au VIH/Sida. La jeunesse est aussi une période d’exposition à certaines pratiques dangereuses, notamment en termes de consommation d’alcool et de drogues. Aussi, cette proposition de loi envisage de conférer un rôle central aux centres de santé qu’elle met en place en matière de prévention de l’alcoolisme et de la toxicomanie, d’information sur les MST et la contraception, mais aussi d’accès à la contraception et aux consultations gynécologiques (article 9).
Le développement des services publics de l’éducation, de la formation et de l’orientation ainsi que de celui du temps libre sont indispensables à la construction des jeunes quelques soient les ressources de leurs parents.
Les jeunes sont plus nombreux aujourd’hui à faire des études que dans les années 1950 et la durée de celles-ci s’est allongée. Cela est en grande partie dû au mouvement de massification de l’université engagé après mai 1968. Dans une société marquée par la révolution informationnelle et un progrès technique rendant sans cesse plus nécessaire l’accroissement du niveau de qualification de chacun, cela constitue évidemment un mouvement positif. Aussi, il faudrait allonger la scolarité obligatoire jusqu’à 18 ans dans un cadre scolaire repensé pour favoriser la réussite des élèves, associant mieux les membres de la communauté éducative, et faire en sorte de la pousser le plus loin possible. Toutefois, d’une part ce mouvement de massification ne s’est pas accompagné d’une démocratisation suffisante et, d’autre part, il est aujourd’hui remis en cause. La loi LRU non seulement génère des inégalités territoriales en créant un système universitaire à plusieurs vitesses, mais l’augmentation des frais d’inscriptions qu’elle implique contribue à une éviction accrue des jeunes des milieux populaires par l’argent, d’autant que le niveau des bourses est dérisoire (voir supra). En outre, beaucoup de choses se jouent dès le plus jeune âge : « Les inégalités dans la réussite des élèves sont très nettement corrélées aux inégalités sociales et culturelles de leurs familles. Or l’école n’arrive plus à diminuer ces inégalités de départ : ces dernières ont même tendance aujourd’hui à augmenter tout au long de la scolarité. […] Des clivages territoriaux viennent aggraver ces inégalités »(16). Cela est lié aux difficultés rencontrées par notre système scolaire, qu’il s’agisse des suppressions d’effectifs enseignants dans le cadre de la RGPP ou de la façon d’enseigner et de former les professeurs. Cela est aussi lié à l’environnement dans lequel évoluent les enfants : logements trop petits et mal insonorisés dont on peut être expulsé sans sommation, pauvreté des parents, perspectives de chômage. Dans ce contexte, beaucoup de jeunes finissent par considérer que l’école et les études ne sont pas faites pour eux. Cette idée se trouve renforcée par le fait que ceux qui étudient sont souvent contraints d’abandonner précocement pour des raisons financières et, lorsque cela n’est pas le cas, connaissent malgré tout le chômage ou trouvent un emploi précaire et mal payé. Aussi, ils sont nombreux à renoncer aux études universitaires, voire à l’idée d’obtenir un quelconque diplôme. Les inégalités scolaires alimentent ainsi les inégalités sociales. De plus, le choix des filières est très marqué socialement : l’observatoire de la vie étudiante constate par exemple que la plupart des étudiant-e-s dont les parents sont ouvriers sont majoritaires dans les sections de techniciens supérieurs (30 % des effectifs), tandis que ceux dont les parents sont cadres sont majoritaires dans le management (51,6 %) et les classes préparatoires (48,4 %). Cette proposition de loi envisage de réaliser un état des lieux sur la question (article 29) et met en place un mécanisme de fixation du montant des droits d’inscription par l’État sous contrôle des organisations étudiantes (article 30), en complément de la mise en place d’une allocation d’études. Elle envisage, enfin, d’améliorer l’accueil des étudiant-e-s étrangers et leur accès aux droits en assouplissant la politique des visas (articles 31 et 32).
Le droit à l’éducation et à la formation n’est pas non plus garanti de manière satisfaisante en matière professionnelle. Les lycées professionnels sont souvent, à tort, considérés comme des « voies de garage » et ils ne disposent pas des moyens suffisants pour répondre aux besoins de formation des jeunes. Quand les jeunes sont formés en alternance, ils connaissent de grandes difficultés pour trouver une entreprise désireuse de les accueillir. Lorsqu’ils parviennent après maintes péripéties à en trouver une, ils sont souvent confrontés à un défaut d’accompagnement : les tuteurs sont peu formés et ne les encadrent pas vraiment car, trop souvent, les entreprises considèrent ces jeunes non pas comme de futurs employé-e-s dont il faut préparer le recrutement, mais comme une main d’œuvre bon marché qui ouvre droit à d’abondantes exonérations de cotisations patronales. Cette proposition de loi envisage donc non seulement de mieux protéger les apprenti-e-s et les stagiaires contre les pratiques de telles entreprises (voir supra), mais elle envisage aussi de revaloriser les conditions d’apprentissage : il est proposé d’une part que soit fixé par branche un nombre minimal d’apprentis par entreprise (article 25
Les jeunes sont aussi confrontés à de profondes inégalités dans leurs possibilités de construction personnelle par le biais d’inégalités dans l’accès à la culture et aux loisirs. Selon leurs loisirs, les enfants acquièrent un certain nombre de connaissances extra scolaires et de codes sociaux. L’impossibilité d’accès à certains d’entre eux pour certains jeunes contribue ainsi à aggraver les discriminations scolaires et à réduire leurs possibilités d’accéder à un grand nombre d’emplois ou à réussir aux concours administratifs. Voyager, prendre des cours d’anglais ou de musique, fréquenter les musées, faire du sport : tout cela contribue à la construction de l’individu et à l’élargissement de ses possibilités d’épanouissement personnelles. Aussi, comme le rappelait la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC) dans une enquête de 2009, l’accès aux loisirs, à la culture et aux activités physiques et sportives n’est « pas un besoin facultatif, mais bien un droit »(17) de premier plan. Or, les discriminations sociales sont en la matière particulièrement fortes, et ce d’autant plus que la puissance publique se désengage chaque année d’avantage. 95 % des enfants de cadres partent en vacances au moins une fois dans l’année, tandis qu’un tiers des enfants d’ouvriers n’en n’a pas la possibilité(18). Selon l’Observatoire des vacances et des loisirs, « tous les indicateurs convergent pour appuyer l’hypothèse d’une baisse du taux de départs en vacances des enfants et des jeunes. De plus si l’on examine les écarts entre les taux de départs selon les niveaux de revenu [..], on constate un nouvel accroissement des inégalités qui touche particulièrement les enfants de familles à revenu moyen. »(19) Aussi, cette proposition de loi prévoit d’élargir l’aide au départ en vacances sur la base de critères sociaux (article 12)
En matière de pratiques culturelles, l’Observatoire des inégalités constate que « en 2008, 60 % des cadres supérieurs ont visité un musée au moins une fois dans l’année contre 24 % des ouvriers. 41 % des premiers sont allés au théâtre contre 9 % des seconds. »(20) L’enquête de la JOC précitée et l’enquête annuelle de l’Observatoire de la vie étudiante confirment ces chiffres : les jeunes fréquentent peu les musées, les théâtres et les opéras, en particuliers les apprentis et les ouvriers. Cela est grandement lié à la place des enseignements artistiques dans notre système éducatif, qui ne contribue pas assez à la démocratisation de la culture et à son accessibilité dans les milieux populaires. Aussi, ce texte demande état des lieux sur la place des enseignements éducatifs dans le système scolaire et sur les propositions à mettre en place pour démocratiser l’accès à la culture dès le plus jeune âge (article 14). Pour éliminer les obstacles financiers liés au coût de certains loisirs et au prix de certaines licences sportives, elle crée également un mécanisme pour que les moyens financiers ne constituent plus un obstacle à l’accès à la culture et aux activités physiques et sportives : en fonction de ses ressources financières, toute personne pourra bénéficier d’une réduction tarifaire dans les établissements et organisations culturels et sportifs qui auront signé avec l’État une convention, à l’instar des musées publics, des théâtres et opéras publics, des fédérations sportives ou des associations d’éducation populaire (articles 12 et 13).
L’accès plein et entier des jeunes à leurs droits rend indispensable le développement de la démocratie dans les entreprises et dans les institutions politiques à tous les échelons.
Chômage, précarité, bas salaires : les jeunes comptent parmi les personnes dont le droit au travail est le plus malmené. Or, la question du droit au travail est indissociable de celle de l’organisation du système économique. Permettre aux jeunes d’exercer ce droit fondamental nécessite en conséquence de très profondes transformations économiques. Tandis que le capitalisme tend de plus en plus à se financiariser, les grands actionnaires imposent à l’ensemble du monde économique des critères de gestion visant à maximiser leurs dividendes contre l’emploi et les salaires. C’est ainsi que des entreprises prospères sont progressivement dépecées, par rachats successifs, pour maximiser les recettes de court termes : une fois le matériel et les locaux vendus, une grande partie du personnel licencié, les salaires diminués au maximum, les investissements d’avenir sacrifiés, l’entreprise jadis prospère se trouve en difficulté et ferme pour raisons économiques. Aussi, face à cette tyrannie de la rentabilité, porteuse de chômage et de pauvreté, de la perte de nombreux savoirs-faires qui fondent la force économique de notre pays, il faut imposer de nouveaux critères de gestion des entreprises. Cela passe notamment par la démocratisation de la prise de décision en leur sein : les salarié-e-s doivent pouvoir s’opposer aux décisions qu’ils jugent mauvaises pour la pérennité de l’entreprise, mais aussi pouvoir porter des projets favorables son développement. Ils sont souvent les meilleurs experts de leur domaine d’activité et sont, dans tous les cas, toujours mieux avisés que les actionnaires, dont les décisions ne sont pas fondées sur l’économie réelle, mais sur les marchés financiers connus pour être de plus en plus distants vis-à-vis de celle-ci. Il est en conséquence indispensable de démocratiser les conseils d’administration ou de surveillance des entreprises, mais aussi de renforcer les pouvoirs de négociation des syndicats.
Dans une démocratie, c’est au peuple de décider par lui-même et pour lui-même. Les jeunes sont pour l’heure dans les faits la plupart du temps exclus de la prise de décision, même si aucune loi ne leur interdit explicitement d’y prendre part. Ils comptent parmi les plus nombreux à s’abstenir aux élections et près de la moitié d’entre eux ne connaît même pas, selon l’ANACEJ(21), la procédure d’inscription sur les listes électorales. Ils constituent aussi la classe d’âge la moins représentée dans les différentes chambres du Parlement et dans les conseils locaux. Ce défaut de représentativité a des causes complexes et nombreuses. De nombreux jeunes ne voient pas l’intérêt de la politique et, comme de nombreuses personnes, pensent que celle-ci n’est pas faite pour eux. Ce sentiment est plus fort parmi les jeunes des milieux populaires. D’autres sont très critiques vis-à-vis du fonctionnement des partis et du système de partis et voudraient s’engager en politique, mais pour en faire autrement. Ces sentiments ne sont pas sans lien avec le fonctionnement des institutions, bien au contraire. Ainsi, le mode de scrutin majoritaire d’une part favorise le bipartisme au détriment du pluralisme politique et, d’autre part, se révèle très discriminant vis-à-vis de tous ceux qui ne sont pas encore au pouvoir, notamment les jeunes, les femmes et les milieux populaires. L’instauration de la proportionnelle à toutes les élections et la création d’un véritable statut de l’élu-e permettraient d’enrayer ces logiques et d’ouvrir de nouveaux espaces politiques dans lesquels les jeunes pourraient trouver leur place (article 16). Mais cela ne serait probablement pas suffisant : une véritable révolution démocratique est nécessaire, rendant son pouvoir au Parlement, permettant une participation de la population à tous les échelons institutionnels et dans tous les services publics. En ce sens, cette proposition de loi d’une part envisage la généralisation et l’extension des pouvoirs des conseils locaux de la jeunesse (article 15), mais aussi d’autre part la participation des jeunes à la gestion des services publics dont ils sont les premiers usagers, à savoir les CROUS (article 17), les universités, les écoles (article 18) et les centres de formation des apprenti-e-s (article 19). En ce sens, cette proposition de loi s’inscrit dans une dynamique d’appropriation par les jeunes des connaissances et des institutions.
Le développement du service public et la mise en œuvre du droit au travail rendent nécessaire une profonde modification de la répartition de l’argent de notre pays dans les entreprises et entre les particuliers.
Les richesses produites dans notre pays sont mal réparties. D’après les comptes nationaux de l’INSEE, la part des salaires dans la valeur ajoutée est passée de plus de 75 % en 1982 à 67 % en 2007. Mais tandis que la part des profits a symétriquement augmenté, celle de l’investissement est restée stable sur la période, autour de 20 %. Aussi, l’argent qui n’a pas été attribué aux salarié-e-s n’a pas servi à créer des emplois mais à alimenter la spéculation financière. « La tendance récente est donc à l’augmentation continue et dynamique des “inégalités par le haut” depuis 1998 », constate le Conseil des prélèvements obligatoires dans son rapport de 2011 (p. 21). Selon lui, cette augmentation des hauts revenus résulte de la progression des revenus du capital (actions, biens immobiliers), qui bénéficient essentiellement aux plus riches. Il constate dans le même temps que les minima sociaux et les prestations sociales sont en baisse (p. 128 et 132) : le RMI était en 1990 supérieur de 24 % à son niveau de 2009, l’API de 30 %, l’AAH de 25 %, le minimum vieillesse de 20 % et les allocations familiales de 29 %. Quant au patrimoine, le rapport du Conseil de 2009 note que sa répartition est non seulement très concentrée, mais aussi plus inégalitaire que pour les revenus (p. 42), puisque les 10 % les plus riches possédaient en moyenne 380 000 €, soit 400 fois plus que les 10 % les plus pauvres.
À ces inégalités s’en ajoutent d’autres créées par le système de prélèvements obligatoires. La structure de l’impôt sur les sociétés favorise les grandes entreprises au détriment des PME. Des exonérations de cotisations sociales compensées par l’État ont été mises en place prétendument pour créer des emplois : leur coût a été multiplié par 30 depuis 1990 pour atteindre 30 milliards selon le rapport 2011 du Conseil des prélèvements obligatoires (p. 94). Tandis que la Cour des comptes constate qu’elles n’ont eu que peu d’effets sur l’emploi, un consensus existe sur le fait qu’elles ont contribué à un tassement des grilles salariales autour du SMIC, générant de véritables trappes à pauvreté. Or ces exonérations, selon le Conseil, ont bénéficié aux ménages « qui sont propriétaires des entreprises dans le cas où celles-ci ont augmenté leurs marges et leurs bénéfices », notamment des ménages les plus riches « qui bénéficient d’autant plus des exonérations qu’une fraction de celles-ci est affectée aux actionnaires » (p. 97). Depuis 1990, l’effort fiscal moyen des ménages a progressé de 4,3 points à cause de la CSG. Toutefois, la part de l’impôt sur le revenu a diminué de 7 points et, « s’agissant du seul impôt progressif [...] cette évolution a eu des conséquences notables sur le caractère progressif des prélèvements obligatoires pris dans leur ensemble. » (p. 88) En outre, les modifications du barème effectuées par la droite ont surtout bénéficié aux plus riches : « l’impact des réductions et crédits d’impôts s’accroît très sensiblement avec le revenu », si bien que « l’IR n’est plus progressif au sommet de la distribution ». (p. 267-268). De même, le rapport constate que la fiscalité indirecte pèse moins sur les 20 % les plus riches que sur le reste de la population, leur consommation étant « sensiblement moins taxée au titre de la TVA » (p. 123), celle des plus pauvres comportant proportionnellement plus d’accises. Enfin, en ce qui concerne la fiscalité du patrimoine, les 1 000 contribuables les mieux dotés ont reçu 63 % des sommes restituées au titre du bouclier fiscal. Les 10 % les mieux dotés ont reçu, en 2009, 558 millions d’euros alors même que l’assiette de l’ISF est, aux dires du Conseil, trop étroite puisqu’elle comporte un grand nombre de niches.
Les richesses qui sont accaparées par les plus riches ne le sont pas pour augmenter les salaires ni pour financer les services publics. Aussi, et cela est d’autant plus nécessaire dans le contexte de crise que nous connaissons, il faut récupérer cet argent dans les meilleurs délais. Une première voie réside dans la démocratisation des entreprises, qu’il s’agisse de la place des syndicats dans les conseils d’administration ou du renforcement de leur pouvoir de négociation. La mise en place de nouveaux critères de gestion, ayant d’autres fins que la rentabilité, rendrait en effet possible une hausse des salaires et de l’emploi, qui aurait elle-même pour conséquence directe une baisse du nombre de bénéficiaires de l’assurance chômage, une hausse des recettes de la protection sociale solidaire et une hausse des recettes fiscales de l’État. La hausse de la consommation qui en résulterait permettrait en outre la création de nouveaux emplois, permettant à notre pays de renouer avec une croissance économique pérenne. Ce mouvement pourrait être soutenu de deux manières : une modulation des prélèvements obligatoires sur les entreprises en faveur de l’emploi, des salaires et de la formation, et la création d’un pôle public bancaire qui, avec l’argent des aides économiques existantes et des exonérations de cotisations sociales qu’il faut supprimer, pourra alléger les charges financières des entreprises créatrices d’emplois bien rémunérés et respectueuses de l’environnement. La seconde voie passe par une révolution de la fiscalité à la personne, sous le contrôle de la population dans le cadre d’institutions démocratisées, avec notamment un renforcement de la fiscalité sur les gros patrimoines et une réforme du barème de l’impôt sur le revenu pour le rendre plus progressif et en renforcer la part dans l’ensemble des prélèvements oblig
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