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7 mai 2025 3 07 /05 /mai /2025 05:22

Les manifestations d’interne et de médecins libéraux focalisent ces derniers jours une partie de l’attention des médias sur la loi transpartisane portée par le député socialiste Garot sur la régulation de l’installation de ces derniers. 

Les Français vivent sur tout le territoire de fortes difficultés à trouver des médecins généralistes ou spécialistes de même que d’autres personnels de santé. Mais d’où vient cette pénurie ? 

Est-ce à cause d’une inégale répartition entre territoires associée à l’opportunisme médical ou à d’autres raisons liées aux politiques gouvernementales. 

Pour bien comprendre la situation actuelle et ce que peut être l’avenir, il faut prendre en compte le nombre total de médecins formés depuis la fin des années 1970, quand a commencé la formation de ceux qui partent actuellement en retraite. Il faut également considérer deux faits :

  • Depuis l’instauration du numérus clausus en 1971 et jusqu’à aujourd’hui, malgré la suppression déclarée de celui-ci, le nombre total de médecins formés et dans chaque spécialité dépend strictement des décisions du gouvernement central.

  • La formation d’un médecin nécessite actuellement de 9 ans pour un généraliste à 12 ans pour les spécialités les plus longues (neurochirurgie par exemple). Ceci aboutit à ce que toute décision d’augmentation du nombre de médecins formés n’impactera l’offre médicale que plus de 10 ans après.

Regardons l’évolution du nombre d’étudiants en 2ème année de médecine (après le concours de fin de 1ère année) en regard de la population français de 1976 (5 ans après l’instauration du numerus clausus) à 2020, date de la suppression du numérus clausus. 

Alors que la population française a augmenté de façon régulière de près de 53 millions à plus 65 millions durant cette période, le nombre de médecins formé a d’abord baissé de 8700 en 1976 à un nombre minimal de 3500 en 1993.

Cette diminution drastique résulte d’une convergence entre les milieux professionnels et les politiques de l’ensemble des gouvernements de l’époque. 

Les gouvernements de droite et socialistes, qui constataient que les dépenses de santé affichaient une croissance supérieure à celle du PIB en raison des progrès techniques et sociaux, ont décidé, en s’appuyant sur les analyses des experts dirigeant la sécurité sociale de raréfier l’offre médicale globale. L’objectif général était de maintenir à un niveau aussi bas que possible les prélèvements sociaux pour la santé et le coût global du travail.

Pour la plupart des syndicats médicaux, le conseil de l’ordre national et les milieux hospitalo-universitaires, il s’agissait de préserver la part du gâteau qui dans l’optique de la médecine libérale doit être partagé entre les professionnels qui vendent des actes de santé. Ces milieux n’hésitaient pas alors à agiter le spectre de l’apparition de médecins chômeurs en référence à la forte croissance du nombre de chômeurs à la charnière des années 70 et 80 du siècle dernier.

Sources :

https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mographie_de_la_France

https://fr.wikipedia.org/wiki/Numerus_clausus_dans_l’admission_aux_études_de_santé_françaises

A la fin de ce siècle, les mêmes milieux corporatistes ont réalisé que leurs pressions avaient dépassé l’objectif et que la raréfaction du nombre d’étudiants pouvait menacer l’existence de CHU et de facultés comme celle de Brest, plus petite faculté de Médecine de France. Elle gênait également le remplacement des médecins libéraux, la vente des patientèles et donc une partie des fonds leur permettant de partir en retraite. Ces milieux qui conservaient au tournant des deux siècles leur fonction de relai social avec les gouvernements ont poussé ces derniers à une augmentation progressive du nombre de médecins en formation mais le chiffre de 1976 n’a été dépassé qu’en 2019 alors que la population française avait crû entre temps de 6 millions de patients potentiels et que la proportion des personnes âgées de plus de 60 ans et donc plus à risque d’être affectée par une ou des pathologie(s) avait augmenté de 17 à 22%.

Le début du 21ème siècle a vu également se développer la communication gouvernementale en réponse aux difficultés croissantes des citoyens à accéder aux soins. 

Nicolas Sarkozy en 2010 présente la fusion, dans une première année commune des études de santé (PACES) des concours de pharmacie et de sage-femme (et de kinésithérapeute dans certaines régions où les écoles du secteur sont publiques) avec ceux de médecine et d’odontologie (fusionné depuis 1971) comme un moyen d’augmenter le nombre de professionnel formés. Autrement dit, il a voulu faire croire qu’une addition allait se transformer en multiplication. 

Au-delà du contresens mathématique, c’était surtout un mensonge politique éhonté alors que le même président et sa ministre, Mme Bachelot, instauraient des changements structuraux délétères pour les hôpitaux publics.

Emmanuel Macron s’est montré un bien meilleur communicant en annonçant la suppression du numérus clausus. Il a alors réussi à faire croire à de nombreux français que toute limitation du nombre de médecins formés était désormais supprimée et que ce nombre allait connaître une croissance fulgurante. 

Hélas la réalité était toute autre. 

La loi votée par le parlement supprimait en fait l’inscription d’un nombre national de médecins formés au journal officiel de la république française au profit d’une fixation de ce nombre à partir du dialogue forcément fructueux entre le doyen de la Faculté concernée (par exemple Brest ou Rennes) et le directeur de l’Agence Régionale de Santé (par exemple Bretagne). 

Comme le directeur de l’ARS est nommé directement par le premier ministre sur la base de la loi HPST Sarkozy-Bachelot et que si le doyen concerné s’entêterait éventuellement à augmenter de façon inconsidérée son nombre d’étudiant, il ne recevrait aucun fond supplémentaire, il est clair que la férule de l’état central est toujours présente et qu’on a tout changé pour que pas grand-chose ne change. 

Le premier changement essentiel est qu’il n’y a plus de publication de chiffre national et qu’on peut rendre éventuellement responsable les doyens des Facultés de Médecine de la pénurie de médecins. 

L’autre changement significatif a été la suppression du droit au redoublement des étudiants au concours de médecine, au détour d’une réforme de la première année études que le corporatisme des facultés de santé et l’autoritarisme gouvernemental a rendu brouillonne dans de nombreuses universités. Mais ce point mériterait à lui seul d’être développé par ailleurs.

Où en est-on actuellement ? 

L’objectif d’arriver progressivement à 12000 médecins formés par ans a été avancé par le gouvernement Attal et par les milieux hospitalo-universitaires. Mais pour arriver à cet objectif, il faut arriver à maintenir le nombre d’enseignants hospitalo-universitaire et les possibilités de formation hospitalière qui sont indispensables au moins dans les premières années de formation d’un médecin. 

Or les jeunes médecins spécialistes ont actuellement tendance à fuir les carrières d’enseignants chercheurs en raison du manque de perspective au sein des CHU et à s’orienter dans les établissements privés où ils peuvent trouver des perspectives professionnelles et des revenus meilleurs. La suppression de nombreux lits hospitaliers a bien évidemment fortement diminué les capacités de formation de nouveaux médecins et l’idée des cercles gouvernementaux d’utiliser les établissements privés pour la formation ne se fera pas sans la demande par ceux-ci de nouveaux fonds publics et le renforcement de la concurrence avec le secteur public y compris pour attirer des spécialistes dans une situation de pénurie nationale. 

Enfin, on assiste à une financiarisation accélérée du système de santé. Les hôpitaux privés à but lucratif sont passés massivement dans des mains société capitalistique. Plus récemment, les détenteurs médecins ou pharmaciens libéraux de laboratoires de biologie médicale ou d’imagerie vendent massivement leurs parts d’actions à des fonds d’investissements. En réponse à la pénurie de professionnels libéraux, des sociétés anonymes investissent dans l’ouverture de cabinets médicaux et dentaires en milieux urbains en employant des professionnels français attirés par un statu salarié et non plus libéral ou provenant des pays est-européens. 

Pendant ce temps, l’administration française laissent croupir les professionnels hors UE (PADHUE) dans un statut précaire et mal payé en refusant de les intégrer dans le statu de praticien hospitalier alors qu’ils assurent les mêmes fonctions que leurs collègues français parfois depuis de nombreuses années.

Dans un tel contexte, la loi Garot actuellement vivement discutée au parlement ne peut que décevoir tout en reflétant l’affolement d’élus vis-à-vis du désastre créé par les politiques gouvernementales des 50 dernières années. 

En effet, ce serait comme après avoir transformé la Bretagne en Sahara, on essayait d’irriguer le désert en pompant l’eau des quelques oasis subsistante (13% du territoire selon les chiffres officiels). 

Le système de santé est en crise globale et la réponse politique doit être à l’échelle des enjeux et ne pas se limiter à des rafistolages du système. Par ailleurs, pour bien comprendre les le sens des manifestations corporatistes actuelles, il faut prendre en compte que d’une part les médecins salariés constituent désormais une majorité des médecins (chiffre du CNOM, 2023) et d’autre part que le milieu médical est historiquement très hiérarchisé avec des écarts de revenus bien supérieurs à 10 fois. Ceux qui peuvent donner le tempo à l’agitation actuelle sont certains spécialistes libéraux qui cherchent à préserver leur marge de manœuvre au sein d’un système libéral menacé par la financiarisation.

Le maintien du paiement à l’acte, de la liberté d’installation et d’une certaine pénurie de médecins sont les seuls leviers qui peuvent leur permettre de tenir la dragée haute aux fonds financiers et aux assurances complémentaires dans la négociation de leurs revenus. Ils utilisent bien évidemment les généralistes et plus largement les jeunes médecins en s’appuyant sur le réflexe corporatiste et leur méfiance largement justifiée vis-à-vis de l’administration française.

Quelles sont les orientations politiques e fond nécessaires ? J’en citerai ici trois à débattre :

- Rénover le système de Sécurité Sociale Française en lui redonnant ses missions d’orientation de la politique de santé et d’évaluation des besoins en santé de la population. En 1981, Jack Ralite, ministre de la Santé avait lancé une politique de création d’observatoires locaux de la santé. Celle-ci a été bien évidement abandonné après le tournant de la rigueur en 1983. On ne peut s’appuyer pour cela sur les milieux de médecins ou autres professionnels libéraux ou sur des experts mais il faut associer largement la population.

- S’orienter vers une politique d’offre de soins reposant sur un service public apte à répondre aux besoins en soins primaires et spécialisés ambulatoires de la population, à promouvoir la collaboration entre professionnels de santé, à organiser les délégations de soins cohérentes entre ces professionnels, en leur offrant des statuts salariés dignes aux quelles ils aspirent en terme de temps et de cadre de travail, de protection sociale, de formation continue et sortant de l’archaïsme du système de médecine libéral qu’il s’agit de mettre en extinction doucement mais résolument.

- Rénover les formations en santé en les intégrant toutes de l’aide-soignant au médecin dans des cursus universitaires publics. En ce qui concerne les facultés de Médecine, en finir avec le système de concours de spécialités actuel en fin de 6ème année qui est profondément lié à la médecine libérale et au payement à l’acte et qui stérilise le deuxième cycle de formation au profit d’un bachotage contre-productif.                                          

 

JEAN-LUC OLIVIER, adhérent PCF PAYS DE MORLAIX, Médecin et professeur en faculté de médecine en retraite

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