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On naît ultrariche, on ne le devient pas, ou en tout cas de plus en plus rarement. Mais le dernier rapport d’Oxfam sur les inégalités a montré qu’en outre, une large part de leur fortune vient du colonialisme et de ses conséquences.
Le dernier rapport d’Oxfam explique qu’une large partie de la richesse des milliardaires est issue du colonialisme et de ses conséquences.
Les récentes mobilisations contre la vie chère en Martinique trouvent leur origine dans le passé colonial : 80 % de la distribution alimentaire de l’île sont tenus par quatre familles de békés (descendants de colons), et le groupe CMA-CGM, contrôlé par le milliardaire français Rodolphe Saadé, bénéficie d’une situation de quasi-monopole sur l’approvisionnement maritime. La colonisation et son héritage ont créé des situations de rente encore d’actualité, et c’est ce que dénonce Oxfam dans son dernier rapport sur les inégalités.
« Économiquement, la colonisation, c’est l’exploitation des ressources et la surspécialisation de la production à des fins d’exportation vers la métropole, en l’occurrence la banane et la canne à sucre », explique Layla Abdelké Yakoub, responsable de plaidoyer justice fiscale et inégalités à Oxfam France et autrice du rapport. « En plus d’avoir créé une catastrophe écologique, ces territoires sont complètement dépendants de la métropole pour leur subsistance », poursuit-elle.
Un cercle vicieux qui entretient la rente et accroît les inégalités : le taux de pauvreté est deux fois plus élevé dans les Dom, quatre fois en Guyane et cinq fois à Mayotte, selon l’Insee, avec respectivement des taux de 53 % et 77 %. Une situation aggravée par le fait que, à cause des marges permises par la dépendance à la métropole, les prix à la consommation sont en moyenne de 9 à 16 % plus chers que dans l’Hexagone, et de 30 à 42 % plus chers pour ce qui est des produits alimentaires.
Héritage et situations de monopole
L’exemple français est loin d’être isolé et les conséquences de l’histoire coloniale sur les inégalités Nord-Sud sont immenses. « Le colonialisme a été mené par des multinationales privées qui se sont souvent vues accorder des monopoles et ont tiré d’énormes profits de leur expansion à l’étranger. Le concept de multinationale privée, financée par de riches actionnaires, est d’ailleurs un produit de l’ère coloniale », rappelle Oxfam. Daron Acemoglu, économiste au MIT (Institut de technologie de Boston), a calculé que les inégalités économiques entre le Nord et le Sud, modestes au début de la colonisation, ont été multipliées par 10 au cours de cette période. « Rien qu’entre 1825 et 1947, la France a ainsi extrait de ses colonies africaines 313 milliers de milliards d’euros (en euros constants actuels) », a calculé Oxfam.
Conséquence de cette histoire : 60 % de la fortune actuelle des milliardaires dans le monde sont hérités ou le fruit d’une situation de monopole. L’ONG insiste sur ce point : « Les entreprises en position de monopole peuvent contrôler les marchés, dicter les règles du jeu commercial et les conditions d’échange. » On peut penser aux Gafam, mais pas que. Aliko Dangote, l’homme le plus riche d’Afrique (11 milliards de dollars), contrôle le marché du ciment dans plusieurs pays africains, dont le Nigeria. En outre, selon Tax Justice Network, 70 % des abus fiscaux proviennent d’entreprises dont le siège est dans des pays l’OCDE, pour beaucoup au détriment de pays du Sud.
122 années de remboursement aux anciens propriétaires d’esclaves
Les pays riches préservent leur situation de rente via le système financier mondial et leur contrôle des monnaies de référence. « Dans le Nord, s’endetter en investissant dans le Sud rapporte, quand l’inverse est faux, puisque les taux d’intérêt sont très défavorables au Sud, explique Layla Abdelké Yakoub. Ces pratiques à elles seules engendrent un transfert de près de 1 000 milliards de dollars US par an des pays du Sud vers les pays du Nord » assure-t-elle. Elle a calculé que, en 2023 en France, les 1 % les plus riches ont perçu près de 20 milliards d’euros du Sud via le système financier.
Bolloré une fortune sur le dos de l’Afrique
En février 2012, une note de la BNP Paribas estimait que les activités logistiques de Bolloré en Afrique représentaient 80 % des bénéfices du groupe ! Vincent Bolloré a commencé en 1985 par prendre le contrôle de Socfin, propriétaire entre autres de grandes plantations de tabac en Afrique. Il a ensuite profité au maximum de la politique du FMI : en échange d’aides du fonds, les pays africains devaient privatiser une à une leurs infrastructures de transport (concessions portuaires et ferroviaires…). Bolloré était aux aguets pour mettre la main dessus. Petit à petit, il a pris le contrôle d’un gros quart des exportations de cacao, de café, d’huile de palme, de coton du continent et s’est bâti un empire de la logistique et du transport, présent dans 45 pays africains. Il a revendu en 2022 sa filiale Bolloré Africa Logistics et fait plus de 3,15 milliards d’euros de plus-value. Depuis 2015, le groupe Bolloré prend peu à peu le contrôle de médias (et groupes) majeurs en France, comme Canal + et iTélé devenue CNews, Europe 1 ou plus récemment le Journal du dimanche…
Par exemple, à la suite de l’abolition de l’esclavage et après avoir arraché son indépendance à la France, Haïti a été forcée d’emprunter 150 millions de francs à son ancien colonisateur (l’équivalent de 20 milliards d’euros au cours actuel) pour rembourser les anciens propriétaires d’esclaves. Le pays a mis cent vingt-deux ans à rembourser cette somme, à 80 % accaparée par une petite oligarchie française. Ce cycle d’endettement reste un problème qui perdure aujourd’hui. Entre 1970 et 2023, les gouvernements des pays du Sud ont dû payer 3 300 milliards de dollars US d’intérêts à leurs créanciers des pays du Nord. Et la situation n’est pas près de changer. Les pays du G7 détiennent encore 41 % des voix au FMI et à la Banque mondiale, alors qu’ils représentent moins de 10 % de la population mondiale.
La France exerce toujours un contrôle économique important sur 14 pays de la zone CFA (Communauté financière africaine ou Coopération financière en Afrique) par le biais du franc CFA. Ces pays doivent déposer au moins 50 % de leurs réserves de change sur un compte spécifique du Trésor français, et la Banque de France détient près de 70 % des réserves d’or de l’Union économique et monétaire ouest-africaine.
Aux côtés de celles et ceux qui luttent !
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